47. Une courbure inattendue

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Je m'étonne que les hommes osent se fier aux hommes ; à mon avis, les invités ne devraient pas voir de couteaux ; ce serait une économie pour la table et un surcroît de sécurité pour les existences.

William Shakespeare, Timon d'Athènes

Un élan maîtrisé, grâcieux, l'homme s'en va, laissant derrière lui le bras droit. Ce dernier se détend alors, comme s'il venait de terminer un entretien douloureux avec ton directeur. Je m'étonne d'une telle attitude envers un homme bien plus jeune que lui. Un sourire apparaît tout de même sur ses lèvres, l'air de dire « mission accomplie ».

Je m'avance pas à pas, imitée par Wyden. Nous nous glissons de part et d'autre d'Arthentus. Petit à petit, nous nous rapprochons. Ce n'est que trop tard que ce dernier s'en rend compte et se retrouve entre nous. Il ne chercher pas à s'enfuir, sachant pertinemment que nous le rattraperions aussi vite. Au lieu de cela, il nous observe approcher, attendant que nous soyons suffisamment proches pour savoir ce qu'il en est. Peut-être se demande-t-il si nous avons vu cet homme à la chevelure rougeoyante ?

Les longues herbes vertigineuses frottent mes jambes, harmonisant leur mélodie avec celle du vent. Faiblarde, je me force à récupérer mon assurance. La présence de mon co-équipier m'aide. Je toise Arthentus en franchissant les derniers mètres me séparant de lui. Face à lui, je me plante à près d'un mètre. Je le détaille, de haut en bas, analysant les moindres sueurs ou tremblements indicatifs.

- Que me vaut l'honneur de votre visite ? demande-t-il.

Je ne lui réponds pas. Je lui tourne simplement autour, les mains croisées dans le dos, comme le général s'aime tant à le faire. Après un lent tout, je ralentis et m'arrête sur sa gauche, regardant dans la même direction que lui.

- C'était intelligent de votre part de vous débarrasser d'un précieux élément en le donnant à une personne de confiance, bluffé-je.

Je me tourne vers lui, plongeant mon regard verdoyant dans le sien. Il croise ses bras, tentant de camoufler l'agitation de ses mains. Trop tard je l'ai vu.

- Seulement, trois soldats sont actuellement à sa poursuite, dont un entraîné par vos soins. C'est fort regrettable.

Une moue faussement navrée s'affiche sur mon visage. Sans rien laisse apparaître, je décrypte chaque micro-expression afin de savoir si j'ai touché juste.

- Vous êtes ridicules, rit-il, je ne vois personne aux alentours.

Ayant compris où je voulais en venir, Wyden saisit la perche et enclenche la suite d'une voix assurée et froide.

- Pensez-vous que nous sommes venus jusqu'ici, à Ew York, sans la moindre information à votre sujet Artenthus ?

Je perçois un éclair de panique dans son regard, se dissipant aussi vite qu'il n'est apparu. Je me demande alors si je n'ai pas rêvé. Je n'ai pas besoin de dire à mon co-équipier d'enfoncer le clou, il l'a compris, et c'est pour cette raison que le bras droit pivote peu à peu vers lui.

- Nous ne sommes peut-être pas aussi nombreux que vous, mais nous avions bien plus d'informations que vous ne le pensez. Mes co-équipiers savent exactement où votre ami était censé se rendre. Ils l'attendent sur le chemin.

Silence, le bras droit réfléchit.

- Au Sud-Ouest, près des hauteurs.

Le bras droit blêmit et je me demande comment Wyden a pu toucher juste et disant quelque chose d'aussi précis. Son regard croise le mien et il m'intime de lui faire confiance sur ce point. J'acquiesce imperceptiblement alors que notre interlocuteur ne me regarde pas.

- Et à quoi cela leur servirait d'obtenir ce qu'il y a dans ce sac ?

- Ce n'est pas à vous de poser les questions, enchaîné-je rudement.

Il fronce les sourcils, révélant plusieurs plis de son front frappé par ses années de service. Il n'a pas aimé cela.

- Ce n'est sûrement pas une femme comme vous qui va me dire quoi faire, rétorque-t-il entre ses dents.

J'hausse un sourcil, le regardant du coin de l'œil.

- Parce que vous pensez avoir le choix ?

Sa mâchoire se contracte.

- Nous récupérerons le contenu de ce sac avant que vous n'ayez eu le temps de prévenir qui que ce soit, Wyden détourne l'attention.

Après quelques secondes de réflexions, le bras droit sourit.

- Si vous avez tout prévu et que vos amis sont en train de faire face au mien, que faîtes-vous ici à bavarder avec moi ?

Mince. Je réfléchis. Je prends une grande inspiration et regarde le ciel. Faisant cela, ma main gauche vient encercler le manche de mon épée à lame courte, accrochée à mon sac. A deux mains, j'observe la lame brillant sous les rayons du soleil. Caressant lentement cette dernière, je prononce quelques mots : « Nous souhaitions simplement discuter ». Je tiens ma lame en équilibre sur mon indexe, puis la fais tournoyer dans ma main, retrouvant une souplesse familière. Du coin de l'œil, je le vois avaler lentement sa salive, réalisant la portée de ma phrase. Maintenant, plus rien ne sert de tergiverser. Allons droit au but.

- Même si l'idée était légèrement intelligente, pourquoi ne pas avoir garder le remède ? Vous êtes plus nombreux que nous.

Toujours en passant mes doigts sur le métal glacé, j'entends un silence inhabituel suivit d'un rire de soulagement. Mon visage se tourne vers Artenthus, hautainement surprise. Wyden fronce les sourcils. Le petit rire grinçant du quinquagénaire rappe le fond de sa gorge. Atténuant enfin son gloussement, il souffle, détendu. Un mépris se répand alors sur son visage encore semi-éclairé par les derniers rayons du crépuscule.

- Le remède ? Mais de quel remède parlez-vous, jeune fille ? se moque-t-il.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant