Je me rattrape dans un hoquet de surprise. Je souffle alors que Thaym me lance un regard intrigué. Ses ondulations ont troqué leur couleur rayonnante pour un or sale. Malgré ma méfiance omniprésente, je commence à l'apprécier. Même avec son attitude changeante, il a su me faire confiance. Et dans l'époque dans laquelle nous vivons, toute personne sensée sait à quel point il est difficile de donner sa confiance. Je vois, près de moi, Jonas accélérer et me dépasser en quelques temps. Mon cœur se sert. Depuis mon arrivée chez lui, il a toujours été adorable avec moi. Il est tellement gentil, compréhensif et joyeux en temps normal que de savoir qu'on l'a fait autant souffrir me brise le cœur. L'homme qui a remplacé mon père, qui m'a jeté en dehors de ma ville, qui m'a pris Matt a aussi torturé à mort la fille que Jonas aimait devant ses yeux. Je ne veux pas m'imaginer cela. Même si mon père est mort pour une raison qui m'échappe encore, au moins je ne l'ai jamais vu souffrir de la sorte. Ces images ne me hantent pas à l'inverse de Jonas. Cette tristesse se change peu à peu en haine envers Victhorion et sans effort mes pas s'enchaînent de plus en plus rapidement jusqu'à ce que ce soit à mon tour de dépasser Jonas.
L'effort s'accentue alors et mes poumons s'ancrent dans un mécanisme différent. Je respire rapidement pour subvenir à mes besoins. La brûlure de l'air ne caresse comme une vieille amie. Mes mollets se tendent comme le fil d'un arc prêt à tirer. Avant que celui-ci de claque lorsque la flèche prend violement son envole, nous atténuons le rythme. Je fais quelques pas pour rejoindre Matt tandis que mes muscles s'obstinent à rester contractés.
- J'espère que vous avez encore de l'énergie, s'exclame mon meilleur ami.
- Perso, je commencerai bien ma nuit maintenant, commente Jonas en s'étirant.
- Pourquoi tu dis ça ? s'intéresse Thaym.
- Ce soir ce ne sera pas moi qui ira chasser, sourit-il.
- Et qui t'as dispensé ? le taquine mon ancien co-équipier.
Matt se désigne en élargissant de plus en plus son sourire, faisant joliment remonter ses pommettes.
- Espèce de flemmard ! s'exclaffe Shesy.
- Quoi ? s'offusque-t-il en articulant ridiculement cette syllabe.
Dans un mouvement de tête, il s'approche d'elle et écarquille les yeux. Alors que ses sourcils se haussent, il tend son oreille en se baissant vers son visage moqueur.
- Ai-je bien entendu ou tu as osé me traiter de... (Matt ravale ironiquement un sanglot.) de « flemmard » ?
Ses lèvres rosées s'étirent d'un air provocateur.
- Exactement.
Sa confiance en elle sur ce simple mot d'éblouit. Matt joue l'étonné à en faire pâlir les grands comédiens de l'Ancien Temps. Je secoue la tête sans m'empêcher d'esquisser un rire.
- Aller, je me dévoue pour ramener de quoi se remplir le ventre, craque Wyden avec son éternel sourire.
- C'est gentil. Après tout, il faut bien que quelqu'un s'en charge puisque toi t'as décidé de ne rien faire, reproche-t-elle avec une pointe d'amusement dans la voix.
Elle lance un long regard à Wyden même si la personne visée n'est autre que Matt, évidemment. A mon grand étonnement, Wyden semble légèrement embarrassé et cela me serre doucement le cœur. Je prends alors une grande inspiration et la recrache en expulsant ce semblant de jalousie. Ses yeux grisonnants papillonnent.
- Il faudrait que quelqu'un vienne avec toi, concède Jonas.
Tandis qu'il s'apprêtait certainement à se proposer, Wyden enracine ses yeux dans les miens.
- Tery, tu veux bien m'accompagner ?
Sa voix rauque et douce est semblable à son assurance habituelle, mais son regard hésitant trahit son envie que je le rassure en y allant avec lui. Jonas ne semble pas le moins du monde offusqué qu'il l'ait coupé pour me proposer cela. Avant qu'un mot ne franchisse mes lèvres, Matt retrouve son sérieux et m'interpelle. J'avais presque oublié, il m'avait prévenu ce matin de cela. Mes lèvres se pincent et mon cœur s'affaiblit à nouveau.
- J'avais prévu de revoir certains paramètres de notre avancée avec Matt. C'est pour cela qu'il reste ici. La prochaine fois ?
J'essaie de lui faire passer un « je suis désolée » dans mon regard, mais il ne semble pas le voir. Les épaules du soldat se crispent imperceptiblement, puis, quelques secondes plus tard, se détendent lorsqu'il prononce dans une mimique éphémère ces six mots :
- Ça n'a pas d'importance.
Son regard croise celui de Thaym qui hoche la tête à la compréhension d'un message que seul lui a su percevoir.
- Je viens avec toi.
Je suis assise, concentrée, face à Matt. Il a déplié la carte volée du général Tray entre nous.
- Au fait, désolé de t'avoir retenue avec cela.
En relevant les yeux vers lui je ne peux que fondre devant son regard.
- Je ne voulais pas vous enlever une petite balade en « co-équipiers », raille-t-il.
Je lève les yeux au ciel et le tape gentiment.
- T'étais si bien parti que j'ai failli te croire !
Je ris nerveusement à l'évocation de Wyden. De toute manière, il ne se serait rien passé de plus si j'y étais allée.
- Non, je suis sérieux.
J'hausse les épaules.
- C'est rien, ne t'inquiète pas.
Comme si ces mots scellaient la fin d'une scène, nous retrouvons instantanément notre concentration sur cette étude cartographique. L'indexe de Matt trace une courbe invisible sur le papier abîmé. Puis s'arrête.
- Nous sommes ici. Ou du moins, à peu près.
J'hoche la tête et pointe Ew York.
- Et nous serons bientôt là.
- Bientôt ? Tu veux rire ? Sourit-il. Nous y serons demain !
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Guerrière
Science Fiction2183, Westen : 2 751 habitants Cela fait maintenant un siècle qu'un virus a contaminé la majeur partie de l'espèce humaine, les mutant en créatures ignobles. Westen, ville entourée d'immenses murs la protégeant, est dirigée par un système sexiste et...