Macbeth : La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur qui s'agite et parade une heure, sur la scène, puis on ne l'entend plus. C'est un récit plein de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte et qui n'a pas de sens.
William Shakespeare, The tragedy of macbeth, 1606
En apparence, c'est pourtant un jour banal, un merveilleux jour. Le soleil illumine les jardins et les gazouillis embaument l'air. Cependant, les mésanges ne cessent de se moquer de moi, de me rire au nez avec leur joie. Ce temps radieux semble vouloir me rappeler par chacun de ses rayons luminescents que je ne pourrais profiter de cette gaieté moi aussi. Puisque cette journée n'est pas une bonne chose. J'aimerai pouvoir passer directement au lendemain, à supposer que je vive encore ce jour-là.
Je suis assise sur les marches du perron, regardant les passants en me disant que cela est sûrement la dernière fois que je les verrais. Des hommes pressés filent à toute allure le long de l'allée, sans un bonjour, sans un merci. Des femmes se baladent avec une simple désinvolture sur les pavés, un panier suspendu à leur bras. Il n'y a que très peu d'enfants, tous se trouvent soit à l'école soit chez eux.
Je réfléchis. Je n'ai aucune idée de la sentence qui nous sera destinée, pourtant, il m'arrive assez souvent d'avoir ce genre de pressentiments. Mais aujourd'hui, rien.
Le soleil n'est pas encore haut dans le ciel, cependant, la température fait déjà rougir certains enfants. Certes, ce mois d'automne n'était point descendu à moins de 19°C, mais l'hiver approche ainsi que ses grandes chaleurs. Nous devrons attendre encore trois mois avant que l'air ne se décide enfin à se rafraîchir.
Soudain, la porte se situant dans mon dos s'ouvre. Sortant de mes pensées, je me mets debout, puis me tourne vers Matt. Celui garde une expression neutre et me salut. Après quelques secondes de silence, il vient s'asseoir sur la dernière marche du perron. Voyant que je ne bouge pas, il me regarde et me lance un minable petit sourire. J'expire doucement et viens me placer à ses côtés.
Je reprends alors ma fabuleuse activité qui consistait à observer les différentes formes m'entourant. Je pose mes coudes sur mes cuisses pour pouvoir faire tomber mon menton dans le creux de mes paumes. Je ne parle point et lui non plus. Je n'ai toujours pas digéré ses affreuses paroles. J'ai seulement besoin d'un peu de temps, pour réfléchir comme pour comprendre et relativiser. Je ne suis pas une personne très rancunière envers Matt, puisque tout simplement je n'y arrive point. J'ai trop besoin de lui.
- Alors, c'est le grand jour ? tente Matt de manière assez hésitante.
Je reste impassible. Ce n'est vraiment le jour que j'attendais le plus.
- Cette phrase ne devrait pas être employer pour ce genre de circonstances.
"Le grand jour", mon père l'aurait certainement éludé pour un mariage, une cérémonie ou un départ de mission. Mais sûrement pas pour un procès contre sa fille.
Nous restons comme ceci durant de longues minutes à penser et à regardernotre environnement. Le reverrons-nous peut-être un jour ? Ou l'apercevrons-nous mais sous l'emprise du Conseil. Est-ce notre dernière journée en étant en vie ou est-ce notre dernière journée dans cette ville ? Nous le saurons malheureusement bientôt.
- Nous devrions aller manger, propose naturellement Matt.
J'hoche rapidement la tête et rentre dans la maison, le précédent. Lorsque nous arrivons dans la cuisine, je constate qu'il ne reste seulement qu'une salade et qu'une pomme de terre. Matt a dû prendre les viandes séchées et la carotte restante dans son sac, sinon je ne vois pas d'autres explications.
Tandis que j'attrape le légume plein de terre, Matt s'attaque à la salade. Je le rince, le nettoie, puis je laisse la place à l'homme pour qu'il puisse lui aussi laver son produit. Je pioche un couteau dans un tiroir et comment à l'éplucher. Une fois cela fait, je place les peaux dans une poubelle faite exprès à cet effet. Je me mets ensuite à découper la patate en petits carrés. Cette fois-ci, après avoir attrapé une poêle, je me décale de façon à me retrouver à droite de mon ami pour avoir accès à la cuisinière.
Le légume frémit dans mon ustensile devenu brûlant. La table est déjà mise et la salade déjà servit. Une fois cuit, je retire le retire de la plaque de cuisson et dépose les morceaux dans nos deux assiettes.
- Si nous rentrons à la maison cette après-midi il faudra aller faire le marché, établit Matt.
Cette phrase me met une claque. Bien sûr que je sais qu'il y a cette option, l'option de l'exécution qui est confirmée par le "si". Seulement, y penser et l'entendre dire n'est pas la même chose. Des fois la réalité aime vous montrer deux visages, et il y en a toujours un plus doux que l'autre. J'acquiesce simplement d'un hochement de tête. Mon regard bascule sur la pendule qui est déposée sur un meuble fait de bois, sous la fenêtre se situant à droite de la porte d'entrée.
- Il ne nous reste que trois tours de cadran avant de nous en aller, je remarque à haute voix.
- En effet, il presque onze heures.
Je termine mon assiette, et pars la placer dans l'évier. Je la nettoierai plus tard.
Je gravis les escaliers et me faufile jusqu'à ma chambre. Je tire une porte de mon placard et ouvre le deuxième tiroir. J'attrape quelques feuilles de papier et une fine planche de bois. Lorsque j'avais six ans, je l'appelais le "repose dessins" puisque justement elle me servait - et me sert toujours - à m'appuyer lors de mes séances de dessins. Je jette ces quelques affaires sur mes draps tandis que je dirige vers ma commode, à droite de mon lit. J'en sors un petit pot de crayons puis, je viens m'asseoir paisiblement sur mon matelas.
Je positionne mon "repose dessins" sur mes cuisses ainsi que par-dessus, une feuille blanche. J'attrape alors un crayon de couleur grise et pose sa mine sur le papier. A l'aide de ma main gauche je marque plusieurs traces. Les bases de mon dessin commencent à paraître. Je trace des lignes verticales comme horizontales en repassant sur celles-ci. Certains arcs de cercles viennent prendre place sur le rebord de quelques formes. Puis, mon crayon se met à jouer sur les perspectives, la profondeur, puis les petits détails. Des reliefs font alors surface lorsque des ombres viennent s'emparer de certaines blancheurs caractéristiques du papier. Je laisse encore un peu ma main divaguer sur le papier noirci, valsant entre un appui léger et une forte trace charbonneuse
Je relève enfin mon bras pour regarder mon nouveau souvenir. Je viens de reproduire le rez-de-chaussée de notre petite maison. J'aimerais emporter avec moi ce dessin si nous venions à être exilés, alors j'aurai une image de mon passé, de mon ancienne vie. Alors je pourrai contempler la demeure où j'ai grandi lors qu'une époque où tout allait pour le mieux. Enfin, c'est ce dont j'aimerai me rappeler.
Alors que je me lève pour la glisser dans une poche de mon sac, je me rends compte d'une faible trace grisâtre sur l'ensemble de la base de mes mains. Je devrais certainement aller me les laver, ainsi que la vaisselle d'ailleurs. Cependant, je veux encore dessiner, pour penser à autre chose qu'à ce qui m'attend dehors.
C'est comme cela que je me mets à tracer, ébaucher, représenter, accentuer et dessiner de divers paysages. Une multitude de feuilles gribouillées m'auréolent, en couvrant mon lit. Je dépeins un doux coucher de soleil, aux nuages luisant d'un bain lumineux et aux hautes cimes d'arbres majestueux. La mine grisonnante glisse doucement, berçant un soleil rougeoyant aux portes de son sommeil. Elle patine ensuite rapidement pour donner forme à une forêt dense en contre-bas.
Je dépose mon crayon et estompe quelques traits à l'aide de mes doigts. Mes yeux ne cessent de suivre d'innombrables contours présents sur ma dernière feuille de papier.
Je relève soudainement la tête. Maintenant que j'ai fait perdurer de ces instants, il faut que je fasse tout le reste. Je n'ai pas la vie devant moi. J'ai gâché beaucoup de mon temps à cette activité, en contrepartie il faut que je me dépêche.
Quoi que non. Je n'ai pas gâché mon temps, j'ai profité des simples choses que j'apprécie. Ces simples choses que je n'avais plus eu le temps de faire récemment.
Je respire lentement, puis je me lève. Avant toute chose, il faut que je me lave. Je ne vais tout de même pas rester avec des paumes pleines de charbons de bois. Cela me remettra d'humeur plus convenable.
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Guerrière
Science Fiction2183, Westen : 2 751 habitants Cela fait maintenant un siècle qu'un virus a contaminé la majeur partie de l'espèce humaine, les mutant en créatures ignobles. Westen, ville entourée d'immenses murs la protégeant, est dirigée par un système sexiste et...