Le passé est un prologue.
William Shakespeare, La Tempête
Je referme le livre. Mes doigts s'égarent quelques secondes sur sa couverture en cuir rouge. L'écriteau 'L'Ancien Temps' s'étend sur la peau animale dans de nombreuses arabesques. Cela fait deux heures que les autres élèves sont rentrés chez eux, et que moi j'étudie cet ouvrage.
Je quitte la bâtisse rose, traversant le petit jardin qui lui appartient. Je me dirige directement à l'hôpital, illuminée par les rayons de fin de journée. Rapidement, je suis dans la chambre. Surprenamment, j'y trouve Gabany, penché sur la table. Il prépare un nouveau bandage avec du baume. En me voyant arriver, il me salue.
- Pourquoi est-ce vous qui lui changez son bandage, un infirmier pourrait très bien le faire ?
- S'il-te-plaît Theresy, arrête de me vouvoyer ! Et bien disons que je voulais m'assurer qu'il allait bien.
J'hoche la tête et m'assois près de Matt sur ma place habituelle. Gabany ne cesse de me regarder. J'hausse un sourcil.
- Pourquoi tu me regardes comme cela ?
Il sourit et me lance un regard indéchiffrable. Je tourne légèrement ma tête en continuant de le regarder. Est-ce que...
- C'est vrai ? je demande hystérique.
Il acquiesce. Je bascule rapidement sur ma chaise et me penche vers Matt. Pourtant, il n'a pas l'air éveillé, mais plutôt inconscient comme ces derniers jours. Je regarde Gabany en biais, confuse. S'il m'a fait une farce ce n'est vraiment pas drôle. Il secoue la tête en souriant.
- Ne me regarde pas comme ça, c'est vrai ! Il est resté conscient quelques minutes par-ci par-là aujourd'hui. Peut-être que demain il le restera, il hausse les épaules.
- Est-ce que tu penses que...
- Non, ça m'étonnerait qu'il se réveille encore pour aujourd'hui. Il est fatigué, encore plus qu'hier. Le corps humain fait un gros effort lorsqu'il sort d'une longue période d'inconscience.
Comme je ne semble pas bouger, voulant rester à son chevet jusqu'à son prochain réveil, il reprend.
- Reviens demain, je te préviendrais s'il se réveille. Je suis de garde ce soir, il me rassure.
Après quelques minutes à caresser ses cheveux, c'est à contre-cœur que je sors de cette pièce.
Je dévale les marches et coure vers la maison avant de changer d'avis et de rester près de Matt jusqu'à son prochain instant de conscience. Je n'arrive pas à décider si je suis heureuse ou anxieuse. Je bouge dans tous les sens, faisant les cents pas dans ma chambre. Je n'arrive pas à m'arrêter.
Il faut que je m'occupe.
Je prends un livre sur une étagère et commence à le lire. Après quelques minutes je le repose, je ne suis pas assez calme pour me plonger dans une quelconque lecture.
Je vais sous la douche. Je me lave les cheveux, me frotte énergiquement tout le corps. Je me sèche. Cela ne me calme pas du tout. Je m'habille. Il faudrait que je me dépense un peu pour apaiser toute cette énergie.
Je descends, prête à marcher longtemps dans la rue. Sans le faire exprès, je passe trop près de Jonas et le bouscule.
- Désolée, je lance en passant.
Je l'entends qui me rattrape.
- Eh attends ! il m'attrape le bras pour me freiner. Qu'est-ce qu'il y a ? Je t'entends bouger partout depuis tout à l'heure.
Il me regarde en hausse un sourcil. Même si cette dernière semaine nous avons échangé plusieurs conversations, je ne me sens – là tout de suite pas très à l'aise. Je sautille sur mes jambes. J'ai – apparemment gardé l'habitude de la course depuis mon exil.
- Je sors, il faut que je bouge, comme tu le dis.
- Tu vas quand même pas courir dans la rue ?
Je laisse sa phrase en suspend, ne comptant pas répondre.
- Viens avec moi, il ordonne.
Sans me laisser le temps de répondre il quitte la maison et marche rapidement. Après une légère hésitation, je le suis. Nous marchons dans un dédale de rue, à l'opposé de l'école.
Un quart d'heure plus tard il ralentit et entre dans une grande bâtisse rouge. Le mot 'CASERNE' surmonte la porte. Nous traversons diverses salles que je n'ai pas le temps d'observer. Nous croisons différentes personnes que je ne connais pas, à qui – pour la plupart Jonas salue d'un signe de tête sans ralentir. Nous émergeons finalement dehors. Devant moi s'étend un grand stade. Jonas me tend une serviette que je ne l'ai pas vue prendre.
- Tiens, défoule-toi autant que tu en as besoin. Si quelqu'un t'embête tu lui dis que c'est moi qui t'y aies autorisée.
- Merci.
- 'Y a pas de quoi.
Alors qu'il disparaît par là où nous sommes venus, je pose la serviette et me mets à trottiner. Je n'ai pas une tenue adapter, mais ce n'est pas grave. A ce moment-là, je n'en ai rien à faire. La nuit tombe.
Je prends de la vitesse petit à petit. J'accélère encore. Encore. Et je reste à cette vitesse beaucoup trop élevée pour courir durant plusieurs heures. J'essaie de faire le tri dans ma tête. Mes foulées s'agrandissent. Je calme ma respiration pour réguler ma vitesse. Cet effort m'avait tellement manquée depuis que je suis arrivée ici. Seulement, je ne m'en étais encore pas rendue à quel point. Je savoure cette sensation de brûlure au niveau des muscles puisque je n'ai pas attaqué progressivement. Mes pensées dérivent vers Matt.
Je suis tellement heureuse qu'il s'en sorte. Il est réveillé. Il est réveillé ! Mes jambes accélèrent le mouvement. Non, Tery, ne prend pas plus de vitesse. Garde le même rythme. Je suis si anxieuse et excitée à la fois de le revoir en forme. Ou du moins de pouvoir échanger ne serait-ce que quelques mots. Je me languis de demain. Bientôt. Une nuit. Quelques heures. Quelques minutes. Quelques secondes.
Je suis à présent calmée. Mais je continue de courir puisque je sais que dès le moment où je sortirais de cette caserne je ne pourrais peut-être plus y revenir. Lesly me l'a dit. Il faut d'abord que je continue mon éducation. Je souffle. Ne vous détrompez pas, j'aime beaucoup apprendre, je l'ai toujours voulue. C'est ce que mon père aurait voulu. Mais la course, le sport, c'est ce que moi j'ai toujours connu. Ce que j'ai toujours fait. Il est normal que je veuille faire cela également.
Sans me prendre plus la tête, je cours de manière régulière durant encore trois heures.
VOUS LISEZ
Guerrière
Science Fiction2183, Westen : 2 751 habitants Cela fait maintenant un siècle qu'un virus a contaminé la majeur partie de l'espèce humaine, les mutant en créatures ignobles. Westen, ville entourée d'immenses murs la protégeant, est dirigée par un système sexiste et...