35. Méfiance (part. 2)

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Une sensation me tire des douces vapes d'un court sommeil. Elle m'agrippe et me fait émerger. Des doigts courent sur ma joue. Mes paupières sont lourdes et ont du mal à se soulever.

- Nous allons bientôt partir.

Après cette phrase, je l'entends se lever et s'éloigner. Je le regarde avancer, dos à moi. L'aube inonde son uniforme de soldat d'une lueur féerique peu comparable avec les autres moments de la journée. Je remue mon cou et mes bras, déverrouillant mes articulations. Une douleur me lance, me rappelant les précédents événements. Je me lève à mon tour et vais rejoindre mes camarades, tous assis en cercle en train de parler.

Pour la première fois, je vois nos deux fameux arrivant. Je reconnais immédiatement Thaym. La seule différence entre cette vision de lui et celle que je gardais ne concerne ni ces yeux émeraude, ni sa grande cicatrice. Ses cheveux, d'habitude parfaitement et soigneusement bien lavés et peignés sont en désordre sur son front. J'aperçois alors sa co-équipière que je n'avais encore jamais vu auparavant. Mais son air de famille la trahit, cela ne fait aucun doute. Mes muscles se crispent. Ses cheveux coulent en cascade et s'arrêtent juste avant de rencontrer ses épaules. Malgré la luminosité particulière, ses mèches réfléchissent leur pâleur semblable à un long tapis de neige estivale recouvrant une prairie endormie. Lorsque ses yeux bruns se posent sur moi, ils ne retranscrivent pas du tout la même froideur que celle de sa chevelure. Elle me sourit et me fait signe de s'asseoir près d'elle. J'ai dû rester debout, droite comme un piquet, à la détailler. Je me laisse glisser au sol avec prudence. Je sais qu'il ne faut pas juger les enfants en fonction de leurs parents, mais tout de même. La prudence n'a jamais tué personne. Enfin, j'espère.

- Excuse-nous de te causer des ennuis, j'm'appelle Shesy.

A son regard, je sais qu'elle connaît mon nom. Je me contente alors d'hocher la tête, réticente.

- Et t'en fais pas, si c'est ce que vous voulez on vous quittera le plus tôt possible pour vous laisser continuer votre... voyage.

Je me tourne brusquement vers Jonas et Wyden. Matt, de son côté, a l'air d'être en pleine conversation avec Thaym. Avant que Wyden puisse ouvrir la bouche, elle reprit.

- Ils ont rien voulu me dire sur la raison de votre présence ici, même si ça a forcement un rapport avec la section dirigé par Victhorion.

Je suis rassurée au moins sur un point.

- Et vous deux, qu'est-ce que vous faîtes là ?

- On était venus négocier un accord avec le général. Au lieu de parler tranquillement avec nous, il a préféré essayer de nous garder en otage. Il a même pas réussi ! se réjouit-elle.

- Quel genre d'accord ?

Une grimace barre alors son visage.

- Je peux pas te dire. C'est entre Le Conseil et Lesly.

C'est bien ce que je pensais. Elle est évidement du côté de sa mère et ne voudra rien de dire qui puisse lui porter préjudice. Mais je ne peux pas la laisser rentrer chez elle et dire à sa gentille mère où nous sommes et qui nous suivons. Shesy sait sans problème que nous sommes là à cause des guerriers et qui sait ce que sa mère pourrait découvrir grâce à cette information. Lesly doit déjà nous avoir marqué sur sa liste noire nécessaire, d'après elle, à la survie des habitants de sa ville. Elle sait déjà assez de choses compromettantes sur nous, et a assez de bonnes raisons de nous vouloir six pieds sous terre, je ne voudrais pas en plus qu'elle sache où nous nous trouvons. Non, je ne peux pas laisser Shesy dire à Lesly où nous sommes et lui laisser deviner pourquoi. Pas tout de suite. Il faut que je trouve une solution à long therme. Et non, l'idée de la faire taire par la violence c'est hors de question. En attendant, elle reste près de moi. Sois proche de tes amis, et encore plus de tes ennemis. Et puis, avec elle à mes côtés j'ai une longueur d'avance sur Lesly.

Nous mangeons un bout avant de rassembler nos affaires. Et ce repas se déroule dans une atmosphère étrange. Malgré quelques plaisanteries de la part de Wyden ou Matt, je ne suis pas à l'aise et ne le cache pas. Je réfléchis. Si Shesy ne rentre pas chez elle, cela veut dire qu'elle restera avec nous jusqu'à ce que nous atteignions Ew York, au moins. Je ne peux pas faire ce trajet dans une perpétuelle hostilité à son égard. Mais je ne peux pas lui faire confiance. Cette tension nous fragilisera. C'est en tout cas ce que j'avais reproché à Matt. Cependant, je ne veux pas que l'expression « fais ce que je dis, pas ce que je fais » s'applique à moi. Alors je me comporterai comme si j'avais confiance en elle pour deux raisons : Tout d'abord cela renforcera notre nouveau groupe, et puis ce serait suspect si je l'incitais à rester pour être méfiante vis-à-vis d'elle.

En parlant d'elle, elle s'approche de moi et me dit de la suivre. Je marche à côté d'elle alors que nous nous éloignons de sorte à ce que personne ne puisse entendre notre discussion.

- Ecoute Tery, je vois bien comment tu me regardes. Ce n'est pas parce que je suis la fille de Lesly que je suis comme elle. Je sais que tu as fui avec les autres et que pour cette raison et sûrement d'autres ma mère souhaiterait te voir morte. Mais ne va pas t'imaginer que je suis sa copie conforme et que par conséquent je pense la même chose qu'elle. Je ne te connais pas, ni toi ni ta réputation ni toutes tes actions passées. Je ne sais pas qui sont tes parents, mais je pense que tu n'es pas toujours d'accord avec eux. Il en est de même pour moi. Alors, s'il te plaît, arrête de me regarder comme si j'étais ma mère. Nous ne sommes pas pareil.

Sa manière de parler m'interpelle. Elle ne construit plus ses phrases de la même façon. Cela prouve bien qu'elle ne se montre pas comme elle est réellement, qu'elle change. Une petite voix me dit que, moi non plus, je ne me montre pas comme je suis véritablement et personne ne se met à nu au premier abord. Mais je fais taire ma conscience et lui fait remarquer cela.



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