17. Du Sang sur les Mains

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De toutes les choses étonnantes dont je n'aie jamais ouï parler, la plus étonnante pour moi, c'est que les hommes puissent sentir la crainte, voyant que la mort est une fin inévitable, qui arrivera à l'heure où elle doit arriver.

William Shakespeare, Jules César




Nous avançons dans la pénombre. La lumière de la lune nous empêche de trébucher sur certains rochers. Cependant elle est trop bien filtrée par les feuillages pour nous en indiquer plus. Ma respiration m'endolorit légèrement les poumons. L'air nocturne est moins frais qu'il y a quelques jours.

Je crois entendre quelques bruits venant de derrière. Cependant, ni Matt ni moi ne nous retournons. Si il y a bel est bien quelqu'un derrière nous, se tourner lui ferait apprendre que nous savons sa présence. Mieux vaut faire comme si de rien n'était mais tendre l'oreille au cas où il déciderait de nous rendre visite. Je suis à l'affût.

Il faudrait encore un certain temps avant que notre invité – que dis-je nos invités fassent connaître leur présence. Une flèche frôle mon mollet, éraflant mon pantalon au passage. S'il avait été en tissu normal, il serait bien déchiré. Ce qui n'est le cas. Ça y est. Ils attaquent. Je me retourne. Prête à dégainer. Au début je ne vois rien. Puis Matt tire une flèche et nous entendons un homme étouffer un cri. Ils se ruent vers nous. Je lance mon sac à dos plus loin. Il ne faut pas qu'il me gêne. Son poids me ralentirait. Deux guerriers. Trois. Quatre. Non, cinq. Mon dieu, comment on va se sortir de là ?

Mes lames sont sorties. Matt a lâché son arc. Au corps à corps, il manie mieux ses longues dagues. Un homme de quelques centimètres de plus que moi m'attaque. Je pare un de ses coups et lui en envoie un. Toutes mes attaques contre lui sont vaines. Moi, j'évite les siennes de justesse en tentant de ne pas perdre mon équilibre. Allez Tery, concentration. Je me baisse comme pour lui entailler la cuisse. Au dernier moment, je le blesse à l'épaule. Il ne fait pas un bruit, comme s'il ne ressentait la douleur. J'évite rapidement une de ses tentatives, mais je perds l'équilibre. Sans le vouloir, je tombe contre le dos qu'un autre guerrier que je fais également basculer. Puis derrière moi j'entends un bruit de sectionnement. Je me dégage de cet homme avant de me faire blesser. Sous moi, le corps est pris de tremblement. Une vision d'horreur me submerge. Le guerrier qui m'avait attaqué m'attrape violement. Il me dort les poignets de sorte à ce que je lâche mes armes. La pression de ses mains fait bleuir les miennes. Je recule mon genou et lui enfonce entre les jambes. Dans cri synchronisé avec le sien, je retire mes mains de son emprise. Avant que je ne puisse me baisser pour récupérer mes dagues, il me donne un coup de tête. Je bascule en arrière. Je me rattrape à l'aide d'une pirouette. En faisant cela, je sors mon épée à lame courte de son baudrier. Dans un froncement de sourcils, il envoie sa lame vers mon ventre. Mais il ne me touche pas ici et m'entaille le biceps. Mes yeux s'écarquillent. Avec l'adrénaline, la douleur est diminuée. Il élance son bras. Je ne cogne pas ma lame contre la sienne pour l'arrêter. Je lui taille son poignet. Sa main pend le long de son bras, inerte. Il hurle. Sa lame tombe au sol. Je l'achève d'un coup dans la trachée qu'il n'arrive à éviter. Ses yeux se révulsent. Je m'écarte avant qu'il ne m'éclabousse. Un guerrier dévie son regard de Matt et me vois seule. Sans une hésitation il se rue sur moi. Avant qu'il ne m'atteigne, je vois un guerrier que je reconnais parer un faible de Matt.

- Non, tu sais très bien que je ne veux... commence Matt sans pouvoir finir sa phrase.

Un de ses amis à qui je n'ai jamais parler. Un de ses amis qui l'éviscère devant mes yeux. Dans un gargouillis, Matt s'effondre au sol. Je n'ai pas le temps de l'aider ou de penser quoi que ce soit. Un guerrier me blesse. Je lui renvoie la pareille. Le dernier guerrier restant se mêle à notre duel. Je donne tout ce que j'ai pour ne pas me faire toucher. Je sue à grosses gouttes. Je suis essoufflée. Je ne vais pas tenir très longtemps. Soudain, j'entends des pas de course. Non non non ! Des hommes armés arrivent. Ça y est. Je suis morte. Je n'ai plus envie de continuer. Mais quitte à mourir aujourd'hui, mieux vaut donner tout ce qu'il me reste. J'empoigne toute l'énergie qu'il me reste pour me défendre.

Je ne comprends plus rien. Les renforts qui viennent subvenir aux besoins des deux guerriers vivants sont en train de les tailler en pièce. Un homme me regarde. Il fait signe aux autres de ne pas me toucher. C'est là que je remarque que leurs tenues de combats ne sont pas identiques aux nôtres. Ce ne sont pas des guerriers.

- Toi, viens par là.

Il me tire. Mais je le repousse et lui hurle de me lâcher. Il obtempère. Il me questionne du regard. Je coure vers Matt, au sol. Ses yeux papillonnent. Il baigne dans son propre sang. Des larmes silencieuses ruissellent sur mes joues. Je lui frappe la joue.

- Regarde-moi. Matt ! Tu me voies ?

Je tente de le réveiller complétement. Le même homme s'approche derrière moi.

- Vous ne voyez pas qu'il a besoin d'aide ?! je lui hurle.

J'ai mal. J'ai très mal. La douleur est insupportable. Je ne peux pas le perdre. Pas comme ça. Pas maintenant. Je viens à peine de le retrouver. Des larmes ne cessent de couler sur mes joues. Pourtant, je ne suis pas en sanglots. Je ne peux pas y croire. Je refuse d'y croire. C'est faux. Il n'est pas mort. Je ne peux pas être mort. J'ai encore besoin de lui.

L'homme fait un signe de tête que je perçois mal au travers de mes yeux embués. Deux hommes s'approchent et prennent Matt. Je hurle encore plus. Je leur crie dessus. Je ne veux pas qu'ils me le prennent. Ils partent avec.

Je reste accroupie au sol. Je baisse la tête sur mes mains. Elles sont trempées. Rouges. Collantes. Elles sont recouvertes de sang. Du sang de mon meilleur ami. Je dois enlever ça. Je ne veux pas voir ce sang sur mes mains. Je frotte frénétiquement mes mains sur ma veste. Rien ne part, au contraire je l'étale encore plus. Je me lève brusquement et continue. Je bouge dans tous les sens. Il y a trop de sang. Je ne veux plus en voir. Stop. Je crie. Je ne peux pas me calmer. Une boule s'est formée dans ma gorge, immense. Je vais étouffer. Je ne peux plus respirer. Je vais mourir.

Soudain, des bras forts m'encerclent. Mais ce ne sont pas ceux de Matt. Mes hurlements redoublent. Après avoir longtemps crier, j'éclate en sanglots. Je ne pourrais jamais m'arrêter. C'est si douloureux. Je ne m'y habituerai jamais.

-        Calme-toi. Calme-toi. Ça va aller, il y a encore une chance pour lui.

J'entends ses paroles, mais je sais qu'il dit cela seulement pour que j'arrête de lui hurler dans les oreilles. Je l'ai vu tomber au sol. J'ai entendu cette horrible lame lui découper la chair. Ce son passe en boucle dans ma tête. Il me donne la nausée. Je crois que je vais vomir.

-        Viens, avance. Si d'autres guerriers arrivent, ils te feront dix fois pire.

Je me force à le suivre. Je me force à ne pas tomber, à ne pas m'écrouler. Ce n'est pas le moment. Matt a besoin de plus d'attention que moi. Pauser un pied devant l'autre. J'ai l'impression d'apprendre à marcher. Je puise la force d'avancer dans l'infime espoir qu'il reste pour qu'il ne meure pendant le trajet. Même s'il doit me laisser, que je lui dise aurevoir. Je ne veux pas refaire la même erreur. Je ne veux pas m'en vouloir plus que c'est déjà le cas.

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