41. Engloutie (part. 3)

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La surprise me fige intérieurement. Ma gorge se vide de son air. Je ne bouge pas, analysant le moindre mouvement à l'horizon. Qu'est-ce qu'il a bien pu se passer ? Le corps s'écrase mollement dans l'océan, déjà mort. Ce bruit semble raisonner dans toute la ville, déchirant un silence muet. Mon sang ne fait qu'un tour. Cela risque de ramener toutes les créatures des alentours. La nuit est encore noire et les immeubles nombreux. Matt me prend la main et je le vois dans son regard. Lui aussi se rappelle de ce que Wyden nous a raconté. Cette ville est infestée de créatures. Je le vois alors bredouiller. Il se demande sûrement si nous avons le temps de rejoindre les marais ou s'il ne nous reste qu'à attendre et affronter cela ensemble. J'ôte alors tout doute de son esprit.

- Si un d'eux ressort vivant alors cela voudra dire qu'ils auront tué toutes les créatures du bâtiment. Ce sera l'occasion ou jamais.

Mon meilleur ami acquiesce mais ne se libère pas de son regard anxieux. Je pose ma main sur son épaule droite, tâtant ses Etoiles Diseuses du bout des doigts. Il souffle, expirant avec l'air toute son inquiétude. Ça va le faire.

Un hurlement m'arrache les oreilles, mais je ne frémis pas. Cette ville est habitée, je le sais, ce n'est pas la peine de frissonner. Mes yeux furètent, décrivent chaque millimètre nous entourant. Si je connais parfaitement mon environnement, je pourrai l'utiliser à mon avantage.

Au loin, j'aperçois des ombres bouger. Peu à peu, elles se rassemblent silencieusement au même point. Aucun grognement ne sort de toutes leurs gueules. Immobiles, elles attendent décidément quelque chose. Les pattes au bord de l'eau, elles semblent fixer un point précis. Mes yeux suivent les leurs et tombe nez à nez avec une masse, flottante au beau milieu de l'eau. L'éclaireur. Son corps, à moitié immergé, est à la merci des petites vagues... le ramenant sur la rive. Elles l'attendent. Elles savent qu'il arrivera tôt ou tard à leur hauteur. Tout est une question de temps. Lorsqu'il sera suffisamment proche pour qu'elles ne se noient pas, elles se battront. Et cette nouvelle me fait froid dans le dos. Les créatures possèdent une intelligence. Sûrement pas comme la nôtre, mais elles ne sont pas idiotes comme j'aimais le penser. Et je ne devais pas être la seule.

Alors que je me cache à l'abris de leurs regards, je ne pense plus aux deux guerriers dans le bâtiment d'à côté. Soudain, Matt me tire par les épaules et me plaque contre lui. Ne pouvant dire un mot, je l'imite en baissant moi aussi ma tête. Aussi immobile que le béton derrière lequel nous nous trouvons, je me fonds dans le décor. Alors que normalement tous les muscles et articulations de mon corps me crieraient de bouger, ici, l'instinct a pris le dessus. Je suis figée, priant pour qu'on ne nous remarque pas. J'ai le sentiment que même mon cœur a cessé de battre, de peur de faire trop de bruit.

Je sens quelqu'un, ou peut-être deux, passer à seulement quelques mètres de nous. Ils ne s'arrêtent pas. J'attends d'être sûr qu'ils soient partis pour souffler tous l'air que contenaient mes poumons. Enfin, une pression redescend et je m'écarte de Matt. Je me tourne afin de voir nos deux éclaireurs s'éloigner. Je me demande s'ils vont s'en sortir avec toutes ces créatures là-bas. Une voix dans ma tête se pose la même question à notre égard mais je ne l'écoute pas.

- Nous devrions les suivre, murmure Mattelos.

- Tu rigoles j'espère ? Notre occasion est là, j'affirme surprise. Nous n'avons jamais été aussi proche du but.

- Tu es sûre ?

Avant que je ne puisse le lui confirmer, il reprend la parole le regard plein de malice.

- C'est évident, tu as raison. Suis-moi, ma Sœur.

Après un regard aux alentours, Matt se glisse dans l'ombre. Le suivant à la trace, nous nous glissons bientôt dans l'embrasure de la fenêtre du bâtiment. Alors que je me demande comment nous allons bien pouvoir trouver quelque chose, je me souviens d'une chose.

- Le troisième étage.

C'est de là qu'est tombé un des éclaireurs. Ils étaient là-haut. Tout en restant sur mes gardes, je pose un premier pied sur les marches d'escaliers. Tout est recouvert de poussières, de débris et de tâches noirâtres qui ne m'inspirent rien de bon. Tout le matériel autour de nous semble être resté à l'abandon bien trop longtemps pour encore fonctionner. Mes pas étouffés me mènent de plus en plus haut. Certaines pièces sont éclairées par le clair de lune grâce à de grand trous logés dans la façade. Si un des derniers – ou le dernier – remède se trouve ici, nous aurons de la chance de le récupérer intact. Une odeur étouffante me pique le nez. Je ne veux même pas voir ce qui recouvre le sol pour expliquer cela. Je monte une dernière marche et j'y suis ; le troisième étage. Un courant d'air me caresse la nuque, faisant voler quelques courtes mèches. Mes yeux parcourent les différentes portes autour de nous tandis que je marche lentement dans cette pièce délabrée. Seulement, une sensation étrange me retient. Ce bruit désagréable me fait frissonner alors que je continue d'avancer. Mes yeux se baissent vers ce sol visqueux. C'est alors que je me rends compte que je marche dans une flaque de sang. Je regarde Matt. Il l'a aussi vu. Mais il n'y a aucun corps autour. Il est impensable qu'ils aient déplacé le cadavre d'une créature, ce qui signifie... que l'éclaireur que nous avons vu chuter d'une de ces fenêtres s'est d'abord vidé de son sang ici. Sur ce sol. Entouré de ses co-équipiers. Et de son supérieur.

Mes yeux soutiennent le regard de Matt identique au mien. Il n'y a aucune créature ici. C'est eux qui ont tué un des leurs. Mais pourquoi ? S'est-il opposé à quelque chose ? Mes sourcils se froncent alors que je m'écarte de cette nuée sanguinolente d'une couleur encore trop claire pour nous tromper sur la fraîcheur de celle-ci.

Mes chaussures collent au sol, créant un léger fond sonore des plus insupportables. Je guète, fouille, retourne chaque millimètre de cette pièce. Seulement, mis à part de vieilles machines dont je ne connaissais pas l'existence jusqu'à présent, des verres brisés, de fins tuyaux et quelques bouts de tissus il n'y a rien qui ressemblerait à un remède.

- Toujours aucune fiole en vue ?

Je secoue la tête, exaspérée. Il n'y a rien par ici. Une sensation étrange monte en moi. Et si cette fiole fait aujourd'hui partie des multiples bouts de verre au sol ? Je secoue la tête, non, si cela avait été le cas les guerriers seraient restés plus longtemps pour inspecter cet ancien immeuble sous tous ses aspects. Non, il est ici. Ou était ici.

- Tery...

Je me tourne vers mon binôme. Il a la main posée sur une petite barre en fer. Après une inspiration, il tire brutalement dessus. Mon sang ne fait qu'un tour, ayant peu du bruit et de ce que cela pourrait révéler. Cette infrastructure a subi tellement de chose que je suis étonnée que tout soit encore intact lorsqu'un BIP retentit. J'en reste ébahie. Ce son...

- On aurait dit... commencé-je

- Une machine de l'Ancien Temps, complète Matt.

Les compétences de Matt dans ce domaine dépassent largement les miennes puisque, une fois au collège, il a pris des cours spécialisés dans cet univers-là. Et malgré ce qu'il a pu me raconter, je n'ai jamais assisté à une simulation sonore de ces engins.

- Mais c'est impossible qu'elle fonctionne encore, je murmure en m'avançant.

- Sans électricité cela n'est pas possible. Et cela fait bien longtemps que nous avons perdu ce savoir-faire.

- Alors comment ... ?

Mon ami secoue la tête, ahuri. Il pose ses mains sur le battant tout en le faisant coulisser, laissant apparaître une ouverture.

- Je n'en ai aucune idée, répond-t-il en posant un pied dans cette fente obscure.


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