47. Une courbure inattendue (part. 3)

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Si Wyden a été surpris, il n'en montre rien. Son regard noir fixe l'homme transpirant contre ma poigne.

- Qu'êtes-vous venus chercher ?

Je ne saurai dire s'il s'étouffe ou glousse, mais il finit par tousser et jurer. Deux nouvelles gouttes de sang ruissellent. Comme si tout cela avait été prévu à l'avance, Wyden s'approche lentement. Il se baisse froidement afin d'avoir ses yeux en face de ceux du quinquagénaire.

- Je crois bien que nous vous avons posé une question.

Son regard sombre et la froideur de sa voix me donne des frissons. Je ne l'aime pas comme ça. Mais son attitude semble délier la langue de mon otage. Je diminue légèrement la pression afin de le laisser s'exprimer sans lui sectionner l'œsophage.

- Peu importe. Mais... Il s'étouffe alors que j'appuie un peu plus sur sa gorge.

- Il ne me semble pas que ce soit à vous de décider si cela a de l'importance ou pas, grincé-je entre mes dents dans un murmure empli de haine.

Il s'étouffe encore, tentant d'ajouter quelques mots, ses mains posées sur les miennes. Mais il n'essaie même pas de retirer mon épée. Il a bien plus à perdre à se risquer à cela plutôt qu'à me répondre. Cinq nouvelles gouttes. Je le laisse parler.

- ...Mm... Même si vous ré... récupérez mon sac, Il ne vous laissera pas revenir...

Le bras droit s'arrête, pâlit un instant, et je sens son ventre se comprimer. Je relâche un peu ma prise. Une grande bouffée d'air s'engouffre dans ses poumons, et il crache au sol. Je ne m'étais même pas rendue compte que j'avais resserrer ma poigne. Toutefois, Wyden ne me réprimande pas du regard comme je le pensais, il reste concentré.

- Nous ne voulons pas revenir. Nous voulons simplement annuler l'Examen de Mattelos, affirme mon co-équipier.

- Annuler sa punition pour avoir désobéi au pire moment... (Il prend une inspiration.) ne rêvez pas trop... Il ne vous pardonnera rien... surtout à toi Theresy.

Le ton faiblard de sa voix me donnerait presque l'impression qu'une pointe de compassion s'était glissé en lui. Mais j'ai du me tromper puisque ce qu'il me répond est imprégné d'arrogance.

- Uniquement puisque je suis une femme, grincé-je.

Malheureusement pour lui, il ne peut rigoler. Toutefois, je ne peine pas à me représenter le sourire qui désire étirer ses lèvres.

- Toujours à tout rapporter à ta condition et tes petites valeurs... Mais jamais tu n'envisages une autre possibilité.

Mon sang frappe mes tempes, vainement calmé par ma respiration mesurée. Ma lame appuie dangereusement contre son cou tendu, mais j'aime cette sensation. J'aimerai l'enfoncer encore plus. Il gargouille et je ne comprends plus un mot qui sort de sa bouche, mais je m'en fiche. Cette fois-ci, le regard noir de Wyden s'égare sur moi quelques instants. Suffisamment pour laisser mon épée s'éloigner une fois de plus de la mort du bras droit.

- Si ce n'est pas le cas, alors donnez-nous la vraie raison, avance Wyden en plongeant ses yeux dans les siens – c'est un regard que je ne voudrais croiser pour le moins du monde.

- Cela est trop risqué de vous laisser en liberté... à cause de ton géniteur... Davv...

A l'annonce du prénom de mon père, l'envie de l'égorger ne m'a jamais autant donnée envie. Je ne supporte pas d'entendre cela dans sa bouche. Et, encore moins lorsqu'il est prononcé avec autant d'animosité et de rancœur. Mon cœur, boiteux et fatigué, bat la chamade. J'aimerai l'empêcher de continuer, je ne veux pas qu'il dise un mot de plus au sujet de mon père, pourtant une petite voix dans ma tête, d'une grande curiosité juvénile, m'intime de le laisser poursuivre. En plein dilemme intérieur, je choisis.

- Qu'a-t-il à faire là-dedans ? je tonne, m'efforçant de cacher mes émotions.

- ... Tu es sa fille, alors Il ne te fera pas plus confiance qu'à lui...

Je réfléchis un instant, lui laissant plus de liberté pour parler et déglutir sans risquer une nouvelle entaille. Il était général, bien sûr que oui le Conseil lui faisait confiance. Mes sourcils se froncent et ma curiosité cohabite de nouveau avec ma colère.

- La pourriture ne guérit pas, c'est héréditaire couine-t-il dans un rire écorché.

Boum. Boum. Mon pouls hurle dans tout mon corps. Sur le coup de la haine et emportée par ses émotions, la petite fille qui est en moi le pousse en avant et lui tranche le flan. Il s'écroule alors au sol. Ce n'est pas un coup fatal. Il guérira. Mais s'en souviendra. Je m'avance. Je me penche au-dessus de lui en lui pointant mon épée sous la gorge.

- Je vous interdis de parler comme cela de mon père.

Et, sans un regard pour lui, je m'éloigne suivie de près par Wyden. Dans la pénombre signant l'agonie du crépuscule, il me prend la main. Calmement, ses doigts serrent les miens.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant