Disparaître, c'est faire savoir au monde qu'il ne vaut pas un adieu
William Shakespeare, Antoine et Cléopâtre
La pénombre engloutit la chambre depuis plusieurs heures. Les draps défaits, reflétant les faibles lueurs de la lune me semblent lointains. Tous ces meubles me crient de rester et de les laisser en même temps. Ce brouhaha me rappelle que ce n'est pas ma chambre, mais celle d'Elona. Mon sac à dos en cuir est accroché à mes épaules. J'y ai glissé quelques vêtements. Matt a les siens où reposent encore ses armes. Il a évidemment mis sa tenue de guerrier, que j'avais lavé, et son arc pend sur son flanc droit, maintenu grâce à son épaule. J'ai emporté deux bougies et les allumettes. Je ferme la porte de bois sur la chambre, tout comme je viens de fermer un chapitre de ma vie. J'abaisse la poignée et laisse des espoirs et possibilités enfermés dans cette chambre. Je descends les marches en toute discrétion, suivant Matt. Je m'avance vers la cuisine et prends dans les panières différents vivres. Et Matt en fait tout autant. Ça y est, c'est l'heure de quitter cette maison avec toute cette familiarité. Je m'en veux de ne pas laisser ne serait-ce qu'un mot à leur intention, pour les remercier de tout ce qu'ils ont fait, donné, dit pour moi. Je m'approche dangereusement du débarra par lequel nous comptons sortir. Je m'arrête quelques secondes, laissant Matt me doubler. Mes paupières sont closes. J'inspire une grande bouffée d'air, le savourant. Cette odeur si chaleureuse et réconfortant de bois et de soupe tiède s'infiltre jusque dans mes veines. Je la grave dans mon esprit. En expirant, je recrache mes moments passés dans cette demeure. Je me tourne et passe au travers du trou. Je marche sans me retourner.
L'air de la nuit me caresse le visage de ses paumes chaudes. Cette ville endormie est si paisible comme à son habitude. Une nuit banale pour le monde. Mais pas le mien. Mon monde vient de ralentir pour recommencer à tourner dans un autre sens. Enfin, il prendra de plus en plus de vitesse et je ne pourrai plus l'arrêter. A moins qu'une collision lui soit fatale ou décroche une partie de son âme.
Mes pieds brossent sans bruits la surface des pavés grisonnants dans cette lueur affaiblie. Nous arrivons à hauteur de la Caserne. Je sais quoi faire. Je fais signe à Matt de me suivre en faisant attention. Je pousse lentement la porte d'entrée. J'entre et tends l'oreille. Un peu de bruit me parvient de ma gauche. Je jette un œil à la pièce principale. Une ombre m'indique qu'un soldat s'entraîne dans le coin non-visible. Le lancé de couteau. Il ne faudra pas faire de bruits. Non il y en a deux. C'est évident, ils doivent être co-équipiers. Je jette un dernier coup d'œil et avance dans le couloir sur la pointe des pieds. Les chaussures de mon uniforme sont vraiment bien, elles se posent sur le sol sans même un couinement.
Lorsque nous arrivons à hauteur du bureau de Tray, je colle mon oreille à la porte. Aucun bruit ne me parvient. Et puis s'il y a quelqu'un je n'aurai qu'à fournir une excuse banale en me faisant passer pour une petite idiote. Je tourne la poignée et ouvre délicatement. La porte reste fermée. Il doit y avoir un loquet. Tous les loquets de cette ville sont à peu près les mêmes. C'est un croquet qui s'enfonce par le haut dans une encoche. Je dégaine une de mes dagues de mon holster. Je glisse la lame antre le mur et le porte. Je la fais glisser à plusieurs reprises vers le haut, cherchant l'endroit exact. Quelque chose la bloque. J'ai trouvé. Après quelques mouvements de lame bien placés, j'entends le loquet de décrocher. Je maintiens ma dague et pousse la porte. Elle s'ouvre. Je me demande comment il fait pour l'ouvrir de l'extérieur. Il doit certainement y avoir une serrure dans un coin.
Le bureau est vide, sombre et se compose seulement d'un meuble et d'une chaise. Quelques étagères habillent les murs. Derrière nous, je ferme la porte, et le loquet avec. Je sors mes deux bougies et les allume. J'en tends une à Matt. D'un regard, je lui montre les étagères. Il cherchera là, tandis que moi je m'occupe de son bureau. Je regarde rapidement les papiers empilés sur sa table de travail. Rien d'intéressant. J'ouvre alors les tiroirs, un à un. Il y a un document concernant chaque soldat, rangé par ordre alphabétique. Il y en a un à mon nom. Je le sors et hésite quelques courtes secondes. Puis, je le fourre dans mon sac. Je vois le prénom de Jonas et Tahasym défilé. Mais c'est sur celui de Wyden que je bloque. Non. Je regarderai si j'en ai le temps après. Je reviens dans les « J », pour prendre celui de Jonas. Il est de garde cette nuit, oui, mais à quelle tour de guet ? Je comptais lui demander d'appeler un autre soldat, étant alors distrait, nous pourrons passer sans avoir besoin de faire du mal au soldat en question.
J'ouvre le dossier. Apparaît d'abord son nom, son âge, sa famille... et cetera ainsi que toutes les informations sur sa vie, puis sur son apprentissage et son avancé en temps que soldat. Mais rien n'indique les tours de gardes. C'est étrange. Je sors un autre dossier au hasard à titre comparatif. La présentation reste la même, mais une feuille supplémentaire est ajoutée. Les horaires, dates et lieux de gardes y sont inscrits. Je repose ce dossier et en sort un autre. Puis encore un autre. Maintenant c'est certain, il manque une feuille au dossier de Jonas. Quelqu'un la prise avant nous. Je suis certaine que ce n'est pas une coïncidence. Quelqu'un sait que nous comptons quitter la ville en nous servant de Jonas. Je range tous les dossiers en vitesse. Avant de fermer le tiroir, j'y jette un dernier coup d'œil. Mon regard se pose sur le dossier de Wyden, le co-équipier que j'ai eu depuis mes débuts en tant que soldat. Je n'ai qu'une seconde d'hésitation. Je prends le dossier et le mets dans mon sac. Je remets le bureau dans le même état que je l'ai trouvé. Je me tourne vers Matt et lui demande silencieusement si il a trouvé ce qu'il devait chercher. Il me fait signe que oui en me montrant la carte géographique qu'il range dans son sac. Il me retourne muettement la question. Je fais signe que non.
- Page manquante, je murmure.
Il se mord la lèvre et nous nous apprêtons à quitter le bureau.
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Guerrière
Science Fiction2183, Westen : 2 751 habitants Cela fait maintenant un siècle qu'un virus a contaminé la majeur partie de l'espèce humaine, les mutant en créatures ignobles. Westen, ville entourée d'immenses murs la protégeant, est dirigée par un système sexiste et...