19. Une Nouvelle Maison

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Le personnage que nous sommes, c'est un jardin, et notre volonté le cultive

William Shakespeare, Othello.



Je marche vers mon établissement scolaire, portée par la lumière matinale. Mes chaussures foulent les dalles avec une certaine anxiété. J'espère que l'idée de j'ai fournis au médecin hier soir – ou plutôt très tôt ce matin va fonctionner. J'ai été bête de ne pas y penser avant.

Lorsque je m'assois à ma table, le cours n'a pas commencé. Chreas me fait réciter la leçon de la veille alors que les élèves ne sont pas encore tous arrivés. Puis il hoche la tête, visiblement satisfait.

-        Theresy, aujourd'hui tu vas passer dans le cours supérieur. Tu as appris l'essentiel de celui-ci.

J'acquiesce et change de salle suite à ses instructions. Ma nouvelle classe est juste en face. Je frappe à la porte et entre doucement. Tous les regards sont tournés vers moi. Cela me met mal à l'aise. Cette fois-ci ce n'est pas un professeur mais une professeuse. Ses cheveux sont relevés de manière stricte et son comportement dégage la même impression de sérieux. Elle m'assigne à une place.

Je me concentre pour ne pas penser à autre chose – à Matt. Elle nous explique le principe du temps et comment s'y repérer. Il y a les secondes, les minutes, les heures, les jours... et cetera. J'ai déjà mal à la tête. Je viens à peine d'apprendre les chiffres et les lettres que l'on veut déjà que je les assimile à un nouveau thème. Je fais les exercices qu'elle nous distribue et j'ai pratiquement tout faux. Il me semblait pourtant que dans chaque heure il y avait 60 secondes. Je me perds dans tous ces nombres.

Nous passons la journée entière sur cela et heureusement. Si ce n'avait pas été le cas, je n'aurais encore rien retenu ou compris. Maintenant je commence à saisir le principe et plus je m'exerce avec m'horloge au-dessus de tableau, mieux j'y arrive.

Lorsque la sonnerie annonçant la fin des cours résonne, assourdissant l'établissement, je me précipite vers la sortie. Ce soir, pas de travail supplémentaire. Je sais que cela ne correspond pas à ce à quoi je m'étais engagée mais je suis trop angoissée pour faire quoi que ce soit d'autre. Il me tarde de retourner à l'hôpital pour en finir avec cette attente interminable. Les infrastructures font... trois à quatre étages en moyenne. Elles sont peintes de différentes couleurs donnant un côté festif à ces rues passantes. De temps à autre je cours pendant quelques enjambés. Le bâtiment bleu apparaît devant moi. Je m'avance vers l'accueil où est assis le même homme depuis mon arrivée.

-        Savez-vous où se trouve le médecin... je pince mon nez en fermant mes yeux – réfléchissant à son nom que je ne connais pas. Celui qui s'occupe de Mattelos, au dernier étage.

Je regarde le blondinet, pleine d'espoir. Il feuillette un carnet griffonné de multiples mots indéchiffrables. Un peu plus tard il lève les yeux vers moi.

-        Gabany est en consultation avec un patient bien amoché à ce que j'ai pu voir.

Je ne sais pas quelle expression se lit sur mon visage, mais une de ses joues se contractent et il s'empresse de me dire qu'il me l'envoie dès qu'il a fini. J'acquiesce et monte ces escaliers blancs, en pierre. Je me retourne tellement l'esprit qu'avant que je ne m'en rende compte, je suis déjà à l'étage souhaité. J'enroule mes doigts autour de la poignée. J'ai l'impression que le contact avec le métal froid m'enserre la gorge et m'assaille de sa température glaciale.

Je ne prends pas la peine d'inspirer profondément pour me calmer et entre dans la chambre. Je traîne des pieds jusqu'à ce lit ferroviaire qui ne m'inspire que du malheur. Mes mains s'agrippent aux barreaux. Je les serre fortement, voulant extérioriser mon anxiété. Je fixe indécemment le corps de mon ami. Je guette le moindre mouvement. Je ne respire plus. Je crois apercevoir un infime changement de position. Mais je pense avoir rêvé. Les jambes flageolantes, je m'avance sur le bord gauche du lit. Je me baisse, mes yeux au niveau de l'abdomen de Matt. Je baisse le drap qui le recouvre jusqu'à sa taille. Mes pupilles observent le ventre seulement vêtu d'un bandage de cet homme. Un léger va-et-vient active subrepticement les côtes de Matt. Cela est si léger que je colle ma joue contre son visage pour sentir une quelconque respiration. Un déplacement d'air me fait frissonner, si furtif que je crois pendant un instant que l'avoir imaginé à force de l'espérer. Mais il est suivi d'un deuxième, troisième, quatrième. Je m'amuse à les compter, c'est si rassurant. Sa respiration est si difficile que l'on pourrait croire à première vue qu'il est mort.

Une pression se relâche et je me rends alors compte que je retenais mon souffle depuis de début. Je me laisse glisser sur le carrelage. Je m'effondre, le dos contre la paroi froide du lit. Ma tête est basculée en arrière, reposant contre l'avant-bras de Matt. Mes yeux se ferment. Il est encore là, pour l'instant.

Lorsque le médecin entre dansla petite pièce, je me lève.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant