18. Horrible Attente (part. 4)

486 39 0
                                    

Mon cerveau a comme cessé de fonctionner. Un bourdonnement emplie ma tête vide de pensées. Il n'y a plus de couverture. Il n'y a plus qu'un Matt à moitié nu, allongé. Il n'a plus de pansement et sa plaie est à vif comme si on venait de le réouvrir. Des bouts de chairs découpés pleins de sang entourent sa plaie. Le médecin, cheveux tirés en arrière a le visage dure. Il applique un alcool sur sa largue entaille. Le contacte de ce liquide avec une blessure comme celle-ci aurait fait crier n'importe qui – au moins grimacer pour les plus forts. Mais Matt ne bouge pas d'un poil, les yeux grands ouverts. Mon cœur me fait mal. Ma tête me tourne. Le médecin applique une pommade atour de l'ouverture. Je veux parler mais ma bouche ne cesse de trembler et ne veut pas m'obéir. Alors que l'homme en blouse ne semble pas me voir, l'infirmier me regarde en m'avertissant.

- Vous feriez mieux de regarder autre part pour ce qui va suivre.

Son regard inquiet de d'empathie me semble lointain. Je ne veux pas voir cela. Pourtant je refuse de bouger. Ce serait lâche de ne pas rester au près de lui dans ce moment-là. Je ne sais comment, j'arrive à m'avancer. J'appuie deux doigts dans le cou de Matt. Je sens à peine son pou. Ma gorge se noue et mes yeux me brûlent si fort que je pense pendant un temps qu'ils vont prendre feu d'un instant à l'autre.

Le médecin trempe une aiguille dans l'alcool. Il passe ensuite un fil épais dans le trou à l'arrière de celle-ci. Sa mine concentrée se renforce. Lorsqu'il appuie la pointe de l'épine sur la peau de mon ami et la transperce, je crois que je hurle. Cependant, il n'y a aucun bruit. Ma bouche est sellée. Une odeur écœurante et métallique envahit l'air. Il ressort l'aiguille maintenant pleine de sang de la plaie béante et perfore l'autre côté. Sa main gantée est à présent recouverte de la même substance pourpre et gluante que celle qui est encore sur mes mains lorsque je les regarde. Je crois que je vais vomir. Mon estomac est pris de spasme en voyant l'objet pointue percer une autre fois le corps de mon ami. Ni mon corps ni mon esprit ne supporte plus cette vision d'horreur. Sans que je ne décide quoi que ce soit mon corps s'écarte et accentue les spasmes. Je sors le plus vite que mon corps me le permet de la chambre. Je vomis mes tripes sur le sol, les larmes aux yeux. Même lorsque mon corps n'a plus rien à rejeter, les mêmes contractions continuent de me secouer. Je pleure maintenant à chaude larmes. Je vois encore les muscles en lambeaux de Matt ensanglantés se faire coudre. L'image de l'aiguille métallique pénétrant sa chair dans un bruit d'horreur ne fait que tourner en boucle dans ma tête comme un disque raillé.

Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé avant qu'une infirmière ne me trouve là. Des minutes, des heures ? Je ne sais même pas faire la différence entre les deux. Elle m'aide à me lever et m'amène dans une salle remplie de douche. Elle m'enlève mes vêtements. Je me laisse faire. Soudain, elle ouvre le robinet d'eau froide me sortant d'une transe en sursaut. Je crie. Je pleure. Je ne sais plus. Mes larmes se mêlent à l'eau glaciale qui glisse sur mon corps brûlant. Le froid me pénètre jusque dans les os mais je m'en fiche. Cela me raccroche à quelque chose. Cela m'empêche de sombrer.

Il faut un moment pour que je me calme. Je suis vidée. La femme m'enroule dans une serviette et je m'y blottis. Son visage est parsemé de tâches de rousseurs et son doux sourire est bien veillant.

- Allez ma grande, ça va mieux ?

J'hoche la tête incapable de parler.

- Désolée de te dire ça, mais tes vêtements sont fichus. Il t'en faut d'autres.

Je la regarde. Elle est plus petite et plus frêle que moi. Ses cheveux rattachés en un chignon ont l'air de vouloir s'échapper de l'emprise de son élastique. Alors qu'elle m'informe qu'elle va me chercher des habits propres, je m'assois par terre. Des pensées totalement contradictoires m'assaillent de toutes parts.

Je ne veux jamais retourner dans cette chambre, elle m'évoque tant d'horreur. Je meurs d'impatience d'y retourner, je ne supporte pas d'ignorer comment va Matt. J'aurai aimé naître ici, la vie aurait été plus simple. Je voudrais retourner à l'époque où je vivais à Westen avec mon ami dans son meilleur état. J'aimerai me faire toute petite et disparaître à tout jamais, j'ai trop mal. Je veux rester là, à attendre qu'il me revienne même si cela doit prendre des mois. Je souhaiterai qu'il se réveille en bonne santé ou qu'il s'endorme à tout jamais – peu importe mais je ne supporte plus cette attente infernale. Je voudrais attendre des siècles à son chevet si cela pouvait lui sauver la vie.

Je suis soulagée que l'infirmière fasse son entrée rapidement, cela m'évite d'être seule livrée à des pensées irrationnelles. Elle me fait enfiler un pantalon en jean avec une chemise qui me tombe mi-cuisses. Malgré les questions qu'elle me pose, je lui laisse le choix de me ramener ou non dans la chambre des horreurs. Elle me laisse devant la porte et entre sans moi. Le sol a été nettoyé. Elle m'ouvre la porte un peu plus tard. La pièce est propre. Plus de sang sur les draps. Plus de sang sur les mains du docteur. Plus de sang sur la table en fer à roulette. La fenêtre est ouverte. Je remarque un bol fumant sur la petite table. Il diffuse une odeur qui masque la précédente. Je respire tout de même difficilement. Je bloque ma gorge sentant mon ventre se manifester de nouveau. Arrête un peu ton cirque, j'ordonne mentalement à mon corps, c'est moi qui commande ici.

Je m'avance vers le lit à barreaux.

- Il va mourir ? je ne passe pas par quatre chemins.

- Si demain son cas ne s'est pas amélioré, il n'y a plus aucune chance, il marque une longue pause. Normalement le jour décisif aurait dû être aujourd'hui. Mais comme je lui ai refait ses points ça lui donne 24 heures supplémentaires.

Je regarde Matt. Ses paupières sont closes. Chaque instant qui passe depuis le soir de notre arrivée m'ôte de l'espoir et le remplace par de la douleur. Je contemple ses traits si familiers sur son visage doré où une barbe s'est installée.

- Que pensez-vous de sa blessure et de la manière dont il réagit ?

Il réfléchit. Il prend une longue inspiration en passant inconsciemment sa main dans ses cheveux poivre et sel.

- Je suis habitué à recevoir des blessés vu la situation actuelle. Les hommes de cette ville sont trop insouciants lorsqu'ils sortent de cette enceinte. L'emplacement de sa plaie montre que son adversaire ne comptait pas le tuer, seulement l'affaiblir. Cependant, compte tenu de la soudaine profondeur vers le côté gauche de son abdomen montre un changement soudain, certainement causé par colère, en déduit-il dans un haussement d'épaule. A présent, ce qui pose problème n'est pas la manière dont il a été transpercé, mais sa cicatrisation. Son corps ne veut pas cicatriser, pas assez rapidement pour qu'il s'en sorte en tout cas.

Ses mots me heurtent au plus profond de moi. Tous deux me laissent seule. J'observe Matt, chaque mouvement de sa poitrine, chaque tremblement imperceptible. Ses longs cils sont baissés et je me dis que je ne reverrais plus jamais la couleur de ses yeux. Je ne l'entendrais plus jamais rigoler. Je ne le sentirais plus jamais près de moi lorsque je fais un cauchemar. Mon corps entier est crispé par la douleur et la peur du lendemain.

Toute la nuit, je veille près de Matt. J'écoute chacune de ses respirations en me disant que c'est peut-être la dernière. Je réfléchis à d'innombrables moyens improbables de le sauver. Mais malheureusement ils sont tous impossibles et irréalisables.

Soudain, une lumière s'allume dans mon esprit. J'ai une idée. Une idée tellement idiote et évidente qu'elle me paraît ridicule.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant