29. Cette Nuit

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Et quoi qu'il arrive cette nuit, confiez-le à votre réflexion, mais pas à votre langue

William Shakespeare, Hamlet


Une fois la rue traversée et nous sommes déjà devant la porte d'entrée. Avant que Jonas ne la pousse, le prends la main de Matt. J'avais oublié combien il était grand. Il me sourit. Ses yeux chocolat pétillent. Il se languit. Jonas attend que je le regarde à son tour pour baisser la poignée et nous laisser pénétrer dans la maison. Gabany et Faeny nous attendent. La table est déjà mise et une bonne odeur de légumes et de viandes emplie l'air du séjour. Faeny s'approche rapidement, doublant Gabany qui allait saluer Matt. De sa petite taille elle lui demande de se baisser pour pouvoir lui faire deux bises sur les joues. Matt est un peu surpris, mais d'autant plus ravi. Et cela se voit sur son visage. Vient le tour de Gabany, qu'il connaît bien sûr.

- Installez-vous tous, on va passer à table, c'est que vous devez avoir faim, s'exclame Faeny en allant chercher le plat.

J'essaie de la convaincre de l'aider à tout amener, mais elle refuse. Elle me jette même de la cuisine quand, contre ses ordres, je viens l'aider. Alors je vais m'asseoir entre Matt et Gabany.

- Je suis heureux de voir que tu es en forme, Matt.

- J'allais bien l'être un jour ou l'autre.

Une fois que nous sommes tous servi, je ne peux m'empêcher de dévorer mon assiette. Je prendrais comme prétexte le fait que j'ai fait beaucoup de sport aujourd'hui.

- Alors comme ça vous êtes amis depuis combien de temps ? demande Faeny, curieuse.

- Nous nous connaissons depuis que nous sommes nés, et nous ne nous sommes jamais quitté, raconte Matt un sourire au coin des lèvres.

- Nos familles habitaient ensembles, c'est pour cela. Nous avons toujours vécu sous le même toit, mis à part ces derniers temps.

- C'est plutôt inhabituel de ce genre de situation, réfléchis Gabany.

- Pourquoi vous viviez dans la même maison, c'était pour des problèmes d'argent.

Je réponds à Jonas que je n'en sais rien. Je n'ai jamais posé la question à ma génitrice. Enfin, si mais elle ne m'a jamais répondue. Elle arrivait toujours à détourner la conversation sur autre chose. Je me suis toujours dit qu'ils étaient seulement bons amis lorsqu'ils avaient décidé ceci.

A la fin du repas, nous décidons que Matt dormira avec moi comme il n'y a pas d'autres chambres. Nous débarrassons. Au moment de monter, Jonas nous dit de le suivre. Il nous amène dans sa chambre. Je n'y suis jamais rentrée. Les murs sont simples et blancs. Ils sont cependant abîmés, comme si l'on avait retiré plusieurs affiches ou décorations après une trop longue exposition. Il n'y a pas beaucoup d'affaires. Les seuls qui viennent habiller le manque de décoration sont des objets venant de la Caserne. L'on pourrait jurer que sa vie se résume à être soldat si l'on voyait seulement sa chambre.

Il ouvre sa penderie et en sort plusieurs habits.

- Tiens, tu auras besoin d'un tee-shirt pour dormir et d'une tenue pour demain. Sans vouloir te vexer, on dirait que tu as fait la guerre avec ce que tu portes.

- C'est vrai, merci.

- T'en fais pas, c'est rien, je peux bien faire ça pour l'ami de Tery. Ça devrait t'aller, même si je suis un peu plus petit que toi.

Matt prend ces vêtements et, tandis que Jonas referme son placard, nous nous apprêtons à rejoindre ma chambre.

- Tery ? Demain matin tu viens à la Caserne avec moi ou tu accompagnes Matt chez la dirigeante ?

Alors que j'allais répondre, Matt me coupe.

- Va à la Caserne t'entraîner ce sera plus utile. Là ça ne concerne que moi, donc tu n'es pas obligée d'être présente.

- Sûr ?

Il acquiesce. Je le regarde comme si j'essayais de le déchiffrais alors qu'en réalité je réfléchis plutôt à ce que je vais faire. Il a raison, l'entraînement est indispensable. Surtout vis-à-vis de ce qui nous attend.

- D'accord, je viens à la Caserne avec toi demain matin.

Sur ce, nous nous souhaitons bonne nuit. Une fois dans ma chambre, je baisse le rideau, atténuant la luminosité extérieure. Matt et moi nous tournons le dos pour retirer nos habits et mettre notre pyjama alias un seul grand tee-shirt au-dessus d'un sous-vêtement. Alors que je me dirige vers le lit pour me coucher, je réfléchis à comment je vais me réveiller cette nuit. Si je règle ma pendule, elle réveillera aussi Matt. Cela fait plusieurs soirs, maintenant le cinquième, que je me lève à la même heure. Je prie pour que ma fameuse horloge interne à enregistrée l'horaire et me réveillera à celle-ci.

Je me réveillerai au milieu de la nuit.

Je me réveillerai au milieu de la nuit.

Je me réveillerai au milieu de la nuit.

Je dois me réveiller au milieu de la nuit.

Pas après.

Je me persuade mentalement. On dit souvent que je mentale à une très grande force. J'espère que c'est vrai. Par précaution, je règle tout de même ma pendule, mais plus tard que l'heure habituelle de 45 minutes pour le « au cas où ». Et puis je n'aurai qu'à prétexter son dérèglement lorsqu'elle sonnera. Puis, enfin, je m'allonge près de Matt après avoir éteins les bougies. Je me tourne vers lui. Machinalement, il me prend dans ses bras. Cela fait si longtemps que nous n'avions pas dormi comme cela. Je pose ma tête sur son torse qui se soulève au rythme de sa respiration. Son parfum de cannelle, de bois humide et de menthe fraîche embaume mes tracas et m'ensorcelle. Alors que je bascule doucement dans le pays des rêves, il chuchote à mon oreille.

- Tu m'avais manqué.

Je lui réponds d'un baiser là où repose ma tête. Et je me laisser porter par les brumes du sommeil.

Je dois me réveiller au milieu de la nuit.

Je dois me...

Mes paupières sont toujours closes, mais je suis à moitié éveillée. L'épais manteau de la nuit me sert encore de couverture et je veux m'y replonger. Je commence à me rendormir lorsque je me souviens que je dois retrouver Wyden. Je me demande alors si ma pendule a déjà sonné. Cette pensée finit de me réveiller. Le bras que Matt avait autour de mes épaules est retombé. Tant mieux. Le plus lentement que je peux, je me soulève de son buste et m'extirpe du lit. Je regarde la pendule, mais je ne vois rien. Je la soulève alors avec la plus grande précaution et m'approche de la fenêtre où je tire légèrement le rideau. Elle n'a pas encore sonné. J'annule la sonnerie et la repose. Malheureusement peut-être pas assez paisiblement puisque le plancher craque. Je me fige. Matt ne bouge pas. Je souffle. Je retire mon pyjama et enfile des vêtements de sport. Je m'avance vers la porte de ma chambre.

Une fois sortie et la porte fermée, je lâche la pression. J'avance seulement d'un pas que celle-ci je réouvre. Je me tourne et vois apparaître Matt. Le regard mi-ensommeillé mi-alerte, il me regarde.

- Qu'est-ce que tu fais à cette heure-ci ?

Je vois qu'il n'a rien perdu de ses réflexes de guerriers. Se réveiller au moindre bruit.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant