9. Haineux ou Chamboulé

723 61 2
                                    

           

Une poussière suffit à troubler l'œil de l'esprit.

William Shakespeare, Œuvres complètes I (1603) acte I, scène 1


Après tous ces brouhahas, seuls le bruit du métal crissant sur une feuille de papier et celui de particules s'imbibant d'encre noire flottent dans l'air. Du coin de l'œil, j'aperçois sa main et ses doigts bouger à un rythme d'une régularité extrême. Ses mains pourtant fines sont calleuses, cela sûrement dû aux nombreux combats qu'il a dû mener par le passé. Quelques veines sont apparentes, bleutées, à travers la peau de celles-ci. Ses sourcils se rejoignent presque dans une expression de concentration exemplaire. Soudain, sa main s'abaisse une dernière fois d'un mouvement vif et précis, puis elle lâche l'objet et viens se positionner près de la cuisse de sa personne. Il me lance un regard en coin et se remets bien droit et non avachit au-dessus d'une table. Il s'éclaire un peu la voix, puis prend la parole.

- Vous êtes tous deux convoqués par Le Conseil, demain, douze heures pile. Ne soyez pas en retard, dit-il d'une sévérité sans faille. Le Conseil vous jugera et décidera de ce dont vous méritez pour avoir ainsi transgresser plusieurs de leurs règles durant je ne sais combien de temps. Gardez cette lettre, elle vous indique où et quand vous devez vous rendre et tout le nécessaire dont vous aurez besoin pour ce genre de chose.

Le général se retourne vers nous, le visage d'une froideur extrême et d'une supériorité qui correspond parfaitement aux pensées du Conseil. Après un bref salut militaire, ils disposèrent, nous laissant seuls.

Enfin, je croyais... puisque suite à plusieurs minutes de silence une tête apparaît à l'antre de la pièce. Les mêmes yeux d'il y a, il me semble, une éternité, me fixent. Cela me fascine, je ne sais comment cela est possible. Avoir des iris aussi pâles est très stabilisant pour la personne d'en face, je vous l'assure. L'on dirait un grand galet de glace dans lequel un artiste a sculpté certains motifs faisant ressortir partiellement un bleu plus profond, mais qu'une pluie neigeuse est arrivée et a laissé sa marque dans ses yeux en y déposant quelques flocons d'une brillante pureté.

- Brion ? Mais que fais-tu ici enfin, pourquoi me rends-tu visite maintenant ? questionne Matt, perplexe.

Je ne lui laisse le temps de répondre, je ne sais pourquoi.

- Il était déjà là, il faisait partie des guerriers assignés à la mission nous concernant.

Tous deux me regardent surpris, moi-même je le suis. Il faut vraiment que j'apprenne à tenir ma langue, même si je pense qu'il est un petit peu tard pour cela.

- Je... Oui, c'est exact. Devant l'air perturbé de Matt il enchaîne, je sais que je suis un garde mais, tu le sais sûrement, avec les préparatifs de l'expédition pour le remède, énormément de guerriers sont réquisitionnés. Alors, Il comble les trous avec ce qu'il reste, dit Brion en se désignant.

Matt a du mal à réagir, certainement encore choqué de la scène précédente. Il hoche soudainement la tête de haut en bas, puis s'avance vers Brion pour lui faire une accolade amicale. Je suis toute gênée, non pas à cause de leur courte étreinte mais du fait que la seule fois que cet homme m'ait vu est à cette fameuse scène, au marcher. Une fois dégagé, Matt l'interroge alors sur sa présence actuelle. C'est bien vrai près tout, que fait-il encore là ? Il devrait déjà être parti, en train de faire un compte rendu au Conseil. Le garde hausse légèrement les épaules, un sourire en coin.

- Tu sais, je n'ai jamais réellement approuvé les méthodes du Conseil.

Et cette phrase suffit à me rassurer, à me dire qu'au fond tout n'était pas perdu. "L'espoir arrive toujours aux moments les plus inattendus" disait mon tendre père et il avait bien raison.

Il est maintenant tard, pourtant, sommes encore debout à nous activer dans ces pièces. Nous rassemblons quelques affaires, le strict nécessaire évidement, comme nous l'avait conseillé Brion. Lorsqu'il avait fait son apparition dans le sous-sol, nous avions pu discuter et surtout il avait pu nous prévenir. Matt, en tant que guerrier, était incollable dans son domaine relevé des nombreuses missions qui lui avait été données de faire, cependant, tout le côté pénal lui échappait complétement. Et c'est là que Brion était entré en jeu, puisqu'il est spécialisé dans le domaine de garde, où la formation n'a absolument rien à voir comparé au basique de guerriers, enfin, sans compter sur les bases, les grandes lignes bien-sûr. Celui-ci nous avait appris qu'en fonction de ce qu'ils avaient trouvés, trois possibilités s'offriraient au Conseil : l'exécution, l'exil, ou l'Examen. Toutes ces punitions comparées injustement à des exemples, apparemment, comme dans L'Ancien Temps.

D'un point de vue extérieur l'on pourrait juger l'Examen comme étant une punition assez ridicule par rapport aux autres, mais croyez-moi, elle peut être bien pire. Elle consiste à passer un marché avec Le Conseil. A être mis à l'épreuve, à être testé pour prouver sa loyauté envers le gouvernement, et cela en démontrant que votre faute, votre crime, ait été une simple erreur de parcours. Même certains des plus grands hommes de notre société ont dû passer par là, et en ont été brisés émotionnellement. Le Conseil se sert de ce genre d'ultimatum pour anéantir mentalement les révolutionnaires, pour ensuite les tenir sous leur coupe. Le choix étant soit les désirs du Conseil, soit la mort, et cela tout au long de la vie de l'homme en question. De mon avis, elle est la punition la plus affreuse de tous les temps. Vous pouvez très bien vous débarrasser des douleurs physiques, elles guériront, mais en ce qui concerne les douleurs mentales, invisibles soient-elles, et pourtant elles vous torturent l'esprit jour et nuit. Vous ne pouvez-vous en défaire puisqu'elles ne guériront jamais et resteront pour toujours ancrées en vous jusqu'à ce que le désespoir vous arrache au monde des vivants.

Lorsque Brion nous avait révélé cela, tout l'espoir que j'avais pu voir dans les yeux de Matt avait disparu, anéanti, englouti par les eaux de la tragédie qu'il essayait tant bien que mal de refouler et de ne les laisser dévaler ses joues. Ma tête s'était alors baissée, tristement déçus la soudaine tournure des événements. Même si d'après ses longs discours Brion voulait nous aider puisqu'il est en accord avec nos idéaux, il ne pouvait faire grand-chose pour la plupart des événements à venir. Si Le Conseil choisissait l'exécution, il ne pourrait nous aider ; si Le Conseil choisissait l'examen, il ne pourrait nous aider ; si Le Conseil choisissait l'exil, il pourrait certainement nous aider. Dans ce dernier cas, l'exil, certainement la meilleure solution, il lui était possible de nous épauler.

Comme les décisions du Conseil sont instantanées, soit elles sont directement appliquées, nous serions alors jetés derrière des murs de la ville en moins de dix minutes, et cela sans avoir ni l'autorisation de dire au revoir comme de porter une tenue adaptée ou encore d'emporter un brin de nourriture. Et c'est dans ce cas-là que Brion pourrait éventuellement nous être d'une grande utilité.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant