Ania.

11 Avril 1912:Partie II.

Pour moi,la première classe faisait figure de rappel à la réalité.Comme une pause dans un rêve qui pourtant ne semblait jamais se finir.

Il ne m'a jamais dit qu'il m'aimait,il ne m'avait jamais embrassé,et pourtant je disais,pour moi seule,qu'il s'agissait d'une histoire d'amour.Il m'adressait,et je lui adressais,des regards droits,brillants,qui en disaient bien plus long,qui prouvait que ce que je ressentais pour lui allait inifiniment plus qu'une amitié un peu floue.

De ma vie je ne m'étais jamais sentie aussi comblée.Je n'ai jamais eu l'impression d'être aussi libre,d'être aussi digne de moi que lorsque je tentais de passer ces barrières pour profiter de cette relation théoriquement interdite que je souhaitais garder pour moi.

-Plus tard,commença Katty à travers notre tablée habituelle transposée comme par magie dans un restaurant à la carte,lorsque je me contenterais d'être Prix Nobel,je me dirais toujours que la plus noble partie de mon existance sera derrière moi et qu'elle sera acquise pour l'éternité.Alors que je n'aurais rien fait pour cela.Juste attendue que mes parents me payent.Juste ameutée un anglais pour aider ma meilleure amie.

Leslie et Alizzia n'ont pas laissé Katty énumérer les qualités de son prince charmant pendant toute la durée du repas.Alizzia se sentait seule,mais elle n'a rien dit.En effet,parmi nous il s'agissait de la seule à ne pas être en couple.Mais tout cela me dépassait déjà tellement.

A une vingtaine de mètres en dessous de moi,que je tentai de franchir rapidement,le spectacle de son visage était captivant.J'adorais son visage plus petit que sa frange immense,qui se réhaussait de telle sorte que son visage ne pouvait échapper à mon champ de vision.

Je me sentais étrangement à l'aise dans une famille aussi nombreuse,et pourtant je n'avais pas manqué d'affection dans mon enfance,en théorie.Je rentrais le soir dans ma famille après l'école,je dînais avec mon père,ma mère,mes domestiques et mes deux soeurs,j'avais connu mon arrière-grand-mère,qui fut la seule  mère de mon père,j'avais un oncle,une tante,deux cousins.Ne restait qu'un vide très mal comblé du côté de ma mère.

Je ne pouvais pas non plus dire que mes parents ne m'avaient pas gâtés.J'adorais ma mère.Mes parents avaient assez d'argent et de considération pour me payer un voyage de classe.Et pourtant presque toute ma vie je m'étais sentie seule,sûrement dû à mon harcèlement.

Je suis venue chercher Tristan à la seconde même où c'était prévu,où il est arrivé lui-même.Il ne m'avait posé aucune question mais je l'avais  senti réfléchir  à toute vitesse,il devait sans doute me dire quelque chose.

Ce que j'aimais,particulièrement,c'était que lui aussi était un artiste qui s'adonnait corps et âme à sa passion.Et puis,j'ajouterai qu'il a un physique de rêve,mais sans la perfection que l'on attendrait d'un prince charmant.Pas vraiment comme ce Brian,ce blond aux yeux comme des plans d'eau et à la peau bronzée comme si il avait passé sa vie sur une plage à Brighton.

Sa mère était belle.Elle avait un chignon immense  brun noir au-dessus de son visage extraordinairement jeune,ce qui me surprenait,car elle était assez âgée pour avoir une fille de 21 ans.Une fille nommée Stella,qui avait de longs cheveux couleurs noisettes assorties à ses yeux.J'a immédiatement remarqué que si elle vivait encore chez ses parents à un âge aussi avancé,ce qui j'espère ne m'arrivera pas tant j'aimerais quitter ce foyer,c'était parce qu'elle s'était concentrée sur son travail.Elle espère réussir,avant de s'engager dans la vie.

-J'espère que c'est là-bas que ça se fera.

C'est alors que la soeur de Brian est arrivée,elle marchait à l'intérieur du couloir,très étroits,avec Katty.

-Moi,c'est Ginnifer.

C'était une grande blonde aux cheveux frisés et à la peau blanche,avec un air très sûr,très assuré,et un immense noeud dans ses cheveux.

-Tu sais si ta mère est là?lui demanda ma meilleure amie,comme si elle la connaissait depuis des siècles.Peut-être était-ce dû au fait que ces gens étaient étrangers,ravis de parler avec nous en français,et qu'on était totalement indépendantes de leur classe,comme si on était descendus du ciel.

La barrière de la langue ne m'a pas empêchée de l'accoompagner avec lui sur le pont pour qu'il me joue de la guitare,afin de ponctuer nos conversations,où l'on parlait de tout et de rien.C'est là qu'une fille est passée saluer Tristan,une fille qui s'appelait Deryn et qui était irlandaise,qui voyageait avec sa mère et sa famille.

-Dis-moi,me demanda Tristan,est-ce que tu as un petit copain?

Je tressautais de partout en entendant la question.Le sommet du bonheur était si proche,et pourtant je ne voulais pas l'atteindre maintenant,pas tout de suite,je voulais qu'il me réponde,après que je lui ai dit non,et que je lui ai demandé pourquoi cette question,il me répondit:

-Juste pour savoir...

C'est vers la soirée que je suis remontée vers ma classe,dans l'espoir d'atteindre la piscine,mais c'est alors que je vis Madame Spencergates m'attendre.Elle avait les bras croisés,et elle avait mis ses lunettes rondes,celles qu'elle portait sous son chapeau à dentelle simplement pour se donner l'air un peu plus menaçant.

-Ania,je suis désolée,en fait je ne le suis pas du tout c'est juste une formule de politesse,mais je te colle trois heures dans ma cabine,et j'écrirais ce soir à ta famille qui sera ravi d'apprendre que tu as été collée,comme ta meilleure amie Katty,pour avoir ainsi disparu,sans même m'avoir prévenu.

-Je vous aurais prévenue,je demande avec un air emprunt d'espoir humilié,cela aurait changé quelque chose?

-Cela ne poserait aucun problème,a-t-elle répondu les dents serrés,comme si mon enseignante,qui a fermé les yeux par peur sur notre harcèlement alors qu'elle m'aimait bien,serais au courant de mon amour?

C'était impossible.

J'aurais pu être contente de pouvoir voir de mes propres yeux la suite rouge et or de mon enseignante,ce que Leslie m'enviait.J'aurais pu être contente d'avoir désobéi par amour,mais un sentiment d'injustice prima sur tout.Pour une fois que j'aimais,il fallait que cela m'attire une punition.Elle était là,à me surveiller,et j'étais surprise de voir à quel point sa présence ici la gênait,elle ne pouvait pas se permettre de manger devant nous,de prendre une douche,d'aller aux toilettes,cela était sa vie privée,son intimité,et de plus,elle a dû laisser son fils à l'extérieur,rallongeant son épuisant stage de steward.

Martin,justement.Je l'ai vu adossé au mur,et alors qu'il aurait pu regagner avec une impatience non dissimulée sa cabine qui lui revenait de droit,il m'adressa un sourire qui aurait pu décimer une forêt entière!

-Cette fois il est trop tard pour la piscine,j'ai fait tristement.

-Oui,j'ai demandé à Alizzia et à Leslie d'y aller sans nous,nous on ira demain matin,elles pourront y retourner avec nous,vu qu'elles par exemple ne vont pas à la fête en Troisième Classe.

-Parce que tu y vas toi?

Oui,je sais,j'aurais pu tout aussi bien lui dire qu'il n'y avait pas de raison qu'elle ne vienne pas,parce qu'étrangement,je n'ai pas vu de première classe qui dansent.

Ce serait quand même assez ironique de nous avoir fait payer si cher pour la première classe alors qu'on s'amuse plus en troisième,dans un cadre passable.Mais je suis sûrement la seule à partager ce point de vue.Alors je le garde pour moi.

-Oui,Brian y va.

-Ah oui c'est vrai.Vu que c'est une fête irlandaise,je ne vois pas ce qu'un anglais y ferait.

-Arrête,il y a des américains,des russes,et Brian aime bien charrier gentiment l'Irlande,je pense qu'il aime bien ce pays.

-Pas de raison qu'il ne l'aime pas!L'inverse serait plus vrai!

Elle m'a encore regardé d'une façon dramatique,avant de prendre les clés de la chambre pour l'ouvrir,s'étirant de façon disgrâcieuse en arrivant.

Les deux autres filles étaient restées encore à la piscine,et j'espérais qu'elle ne se faisait pas noyer par une bande de hyènes en bikini.

-On y va à quelle heure au dîner?je demande,mais c'est une blague,vous allez voir pourquoi tout de suite.

-Oui,je sais,mais ils appellent tout le monde au son du clairon,pas seulement nous.Comme si on était dans un camp de scout.

Comme si on était dans un camp de vacances.