Annec du Compté de Cléerment

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Pas de problème. Je comprends la sanction. De toute façon, ai-je ajouté, je pourrais toujours servir la France j'ai pas besoin de vous après tout ouais. Je pourrais prétendre que je mettais ma carrière en pause, et de toute façon ce n'était pas comme si nous n'avions nul part où aller.

Alors je me lève, les fenêtres immenses laissaient entrer un soleil bloqué par une épaisse couche nuageuse. C'était le jour où je quittais l'institut pour accoucher et je me suis hâtée à l'escalier blanc qui menait au hall où m'attendaient ceux qui avaient partagé ses deux années scolaires avec moi. Je leur ai donc expliqué que mon contrat n'était pas renouvelé.

-Merci beaucoup je ne vous oublierai pas.

Ce hall fait office de grand salon dans cet institut , où les jeunes filles s'asseyaient souvent en cercle pour lire, ce que je faisais souvent moi aussi; je me sentais mal, vraiment, j'avais l'impression qu'on avait chié dans mon soutif et que des champignons verts s'étaient mis à pousser dedans. J'étais un peu étourdie d'avoir couru dans l'escalier comme ça.

-Vous allez rentrer en France?

-Non...Je vais aller retrouver ma mère.

-Mais tu sais où elle vit?

-En Russie continentale.

-Mais vous allez vous perdre! a fait la dame de la cantine, celle avec qui j'avais fini par créer des liens à force de manger ses soupes et ses pains.

-Vous en faites pas. Au moins je me casserai plus rien!

-Mais si vous accouchez sur une route de campagne en plein hiver...

Je l'avais envisagé cette possibilité, et justement. Je savais que le froid donnerait de meilleurs pouvoirs à mon enfant. Mon père me l'avait dit, à propos de quand je serais enceinte.

L'infirmière qui m'avait examinée pendant les quelques jours qui séparaient mon renvoi de mon diagnostic, est revenue et m'a demandée de monter dans mon dortoir vide pour procéder à un dernier examen gynécologique, que je ne pus refuser. La gêne.

-J'avais oublié de vous demander...C'est un peu personnel je suis désolée, mais c'était votre première fois?

Heureusement qu'elle m'avait pas demandée ça devant les autres. Là j'aurais été mal à l'aise.

-Oui ce fut mon premier compagnon. Enfin j'ai eu des copains avant mais c'est le seul avec qui...j'ai franchi ce pas.

-Vous n'êtes pas si jeune. Vous pourrez l'épouser sans éveiller les soupçons, m'a-t-elle alors répondue en tapotant mon ventre déjà un peu rebondi.

A présent il est bien trop tard pour avorter.

-Je n'y pensais pas! ai-je rétorqué en fronçant le nez.

J'avais les jambes coupées au moment de redescendre par cet escalier. J'ai alors rejoint les autres et je les ai enlacés comme s'ils allaient mourir à la guerre. Guerre qui continuait de faire rage. ne rentre pas en France, c'est dangereux m'avait-on dit. Les allemands nous couleraient. Ils ont éveillé alors ce que j'avais tenté d'enfouir pendant des mois. Je ne pensais qu'à retrouver ma mère, parce que je l'aimais énormément, mais alors mon père qui se battait pour mon pays natal de son plein gré je l'avais oublié. Mais sans doute préférerait-il que je ne revienne pas. Il avait tout calculé cela ne faisait aucun doute. Et soudain je suis dehors avec Martin et les valises. J'avais beaucoup pleuré, je sentais l'odeur de l'eau salée et on était loin de la mer. Mes paupières se décollent lentement. Je me réveille soudain dehors et Martin m'explique qu'il faut commencer par sortir de la ville. Ma vue trouble laisse alors voir l'agréable atmosphère portuaire de la ville, les nuages en coton sur fond bleu, fond bleu presque entièrement recouvert, et on voit l'immense étendue de l'activité industrialo portuaire.

-Pourquoi on prend pas un bateau pour rentrer en France c'est vrai ça?

-Non...Je veux voir le village de ma mère. On pourrait d'abord aller au centre-ville.

Mais après quelques secondes d'échanges on se fige prisonniers d'un spectacle terrifiant.

Nous n'étions jamais sortis non accompagnés de cet institut, c'était la première fois que nous étions lâchés dans la ville comme ça. Et le spectacle de ces manifestations était terrifiant. Je le sais. C'est moi qui les avais encouragées.

-Martin,cours,lui ai-je alors glissé.

Il faut absolument qu'on s'éloigne d'ici.

-Pourquoi tu dis ça?

-Ils vont tirer à balles réelles,on s'éloigne doucement, pour que les gens ne se doutent de rien.

Dés qu'on quitte la ville on se trouve une auberge, t'es un homme tu peux me protéger. La danse ça t'as fait de sacrés muscles tu vois.

-Bah préviens les gens non?

Je n'ai pas répondu et je l'ai tiré par les mains. Faire la sainte parole pour tous les inconnus qui m'entourent j'avais déjà donné.

-Tu connaîtrais pas un propriétaire d'auberge pas loin, avec qui tu pourrais partager une pinte gratos?

-Non.

Mais cela ne le rendait pas pour autant totalement inutile. Il avait chipé un plan de la ville sur le comptoir et il lui suffisait pour se retrouver d'observer les noms des rues.

-Et comment on paie? On a juste de quoi se payer des puces.

-Je fabrique de l'eau froide et des pierres précieuses tu te souviens de ça?Un petit morceau de trésor et ça devrait le faire,non? Allez dépêche-toi je n'ai pas envie d'assister au massacre.

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-Quelle est la raison de votre venue?

-C'est très joli ici (et c'est vrai). Je sens que je vais bien dormir.

Ils étaient surpris de ma bonne éducation. Hm,pas un très bon signe ça.

J'ai fait un rêve bizarre cette nuit. C'est pas à cause de l'inconfort du lit à ce niveau là même si j'ai des standards élevés je considère que cela passe. Non le souci c'est ce qui s'est passé cette nuit. Dans le rêve il y avait un champ fleuri , mais les fleurs étaient très grosses, les couleurs étaient bleus et jaunes criards et un petit lapin gris courait au milieu de cet étrange champ. Je lui courais après mais comme je portais une crinoline ce n'était pas réellement pratique.

-Annec du compté de Cléerment!

Je bondis. C'était le nom que j'avais indiqué à l'accueil de l'hôtel, mais on me parlait dans mon rêve.

Un homme d'une trentaine d'année, typé italien et avec une chemise verte et rayée me parlait et était le propriétaire du lapin. Ils parlaient d'une méchante sorcière. Pardon, LA méchante sorcière. La sorcière aux ours malades. Des petits mammifères russes s'étaient réfugiés dans l'arbre, on voyait d'ici leurs yeux, ils semblaient vraiment avoir peur d'elle. Et puis je me suis réveillée. Je rigolais en sursaut dans la nuit, en répétant hilare, que ça n'a aucun sens, PUTAIN.

Par habitude je me suis levée à six heures, pensant assister à mes cours théoriques du matin et mes cours de danse de l'après-midi mais pour la première fois de ma vie je me retrouvais totalement déscolarisée.

Peu à peu les jours passèrent. On a quitté l'auberge. Les pierres précieuses s'épuisaient rapidement et je sentais bien que je n'avais aucune piste. Martin proposait que l'on attende une visite de maman. Ou alors je continuerai de compter sur la francophilie russe en voyageant sous le nom d'Annec du Compté de Cléerment. Si je donnais mon vrai nom ils ne me prendraient jamais pour du français. Je vais sans doute m'habituer à cette vie. Je m'étais habituée au succès, habituée à faire partie d'une élite après avoir supporté le deuil et le mépris. Je trouverais bien du travail ailleurs qu'aux ballets russes.


Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant