La danseuse et le guitariste.

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Après le déjeuner,je suis allée le voir,pour qu'il me regarde danser.La raison n'était point enviable.Comme n'importe quelle jeune fille superficielle,je voulais qu'il admire mes pas.Et ce fut bien fait pour ma poire,car il n'apprécia pas totalement mon style,allant même jusqu'à me reprocher des choses et pire encore,jusqu'à me donner des conseils.

Je ne supportais pas la critique et encore moins lorsque j'aimais la personne qui me critiquait.En plus,qu'est-ce qu'il y connait en danse.Je me suis donc soudain recroquevillée sur moi-même,mes nattes noires tombant le long de mes jambes,et je le lui ai lancée des choses au visage.

-Nom d'un chien!a fait Tristan.Qu'est-ce que tu es susceptible toi!

-Et ça ta plaît?

-Tu n'es pas obligée d'en faire autant.Sinon il est quel heure?

-3H moins le quart.Dire qu'en ce moment même,normalement,je devrais commencer ma première heure de cours.Je n'arrive pas à réaliser que si tel était le cas ma vie serait tellement différente.Je ne t'aurais pas rencontré.J'aurais passé ma vie à me morfondre.Je ne connaitrais ni toi ni ta famille.

-C'est si terrible de ne pas avoir connu ma famille?demanda-t-il,surpris.

-Oh oui,j'ai répondu en pensant l'émouvoir.

Je me suis dite que la rencontre avec cette famille écossaise en partance pour le nouveau monde n'avait rien d'anodin,sans même porter attention au cadre de notre idylle.Le Titanic.Mythe avant sa naissance.Attendu comme le Messie.Je pourrais dire à mes enfants,si j'avais été calculatrice ou orgueilleuse,que c'était sur le Titanic que j'ai aimé leur père.Mais je dirais,plus simplement,que c'était en 1912 que cet homme est entré dans mon journal intime.J'espère que ce sera pour aussi longtemps.

-J'aurais besoin d'une énorme liasse de feuilles.Un bon millier suffirait.

-Pour pouvoir y mettre suffisamment d'adjectif pour qualifier ton amour?

J'ai applaudi à la perspicacité du garçon.

-Je n'ai pas besoin d'écrire,en revanche.Parfois,pour comprendre,j'ai besoin d'un peu de silence.J'ai besoin de partager des moments.J'ai besoin de ne pas trop me prendre au sérieux.

-Là,t'as l'air de prendre au sérieux.

-Je sais.Mais ce que j'aimerais faire,c'est te faire un french kiss.

-Oui,ce serait très à propos!

J'ai avalé sa langue,cette langue qui avait dit tous les meilleurs mots que j'ai pu entendre dans ma vie,avec une rapidité et une courtoisie exemplaire.Nous n'avions pas à dire que nous nous aimions,et déjà on s'embrassait.On s'embrassait au terme des défis grinçants.

Nous avons pris la direction de ma classe,et nous avons marché pendant ce qui me parut une centaine de mètres.Je ne savais pas trop comment évaluer des distances,sur un bateau.Je sautillai devant lui,je sautillai en marchant en arrière,sur la pointe des talons,sur la pointe des pieds.Bientôt,nous avons tourné à droite dans un escalier sentant étrangement l'urine humaine.Bientôt,Tristan s'est arrêté de nouveau.

-Qu'est-ce que ça sent quand même...j'ai murmuré.

-Oui,je sais.Crois-moi,je n'aime autant pas en parler.

-Mais je n'ai rien vu,rien entendu.Je ne vais pas rapporter des ragots sur votre classe alors que je ne devrais même pas avoir envie de m'y situer,si j'avais été normale.

-Alors selon toi la normalité c'est d'être méprisant?

-Quand je vois ce que les gens normaux ont fait du monde,je suis fière d'être une anormalité.

Il me regarda dubitatif.Puis séduit par mes paroles.Par mes paroles.

Comme nous n'étions pas en période scolaire,il n'y eut aucune sonnerie,aucun clairon,pour nous séparer.Le dîner était dans deux heures.

-Dommage qu'il n'y ait pas de soirée ce soir,j'ai fait.

-Il reste quatre jours,on en fera une autre.Et puis,peut-être que cette nuit je pourrai aller avec Brian dans votre chambre,et passer la nuit,et m'enfuir au petit matin..

-Je pense que,connaissant ma prof et son fils,tu te feras griller de suite.Elle lit dans nos pensées.Mais faut dire qu'elle nous a depuis le début de l'année.

-Ma mère m'a légué une partie de son ADN et elle ne pige rien à moi.

-Moi c'est plutôt à mon père que je m'oppose fortement.

-Oh mais je m'entends bien avec elle...cela se passe particulièrement bien dans ma famille en général.J'ai des choses à te raconter.

-Je voudrais tellement savoir,mais je croyais qu'on devait se taire.

Mais d'accord,je vais te le dire.De toute façon c'était avant ma naissance.Mes deux aînées,alors qu'on vivait en Angleterre,ont été sauvagement assassiné.Leurs corps n'ont pas été retrouvé.Mais si on en croyait la couleur du lit ils ne se sont pas simplement enfouis.Maintenant,baladons nous dans le labyrinthe de notre classe.

-Je suis désolée.Est-ce que je pourrais...être utile à ta famille?

-Mon frère Fréderick va se marier en Floride.Alors,allons plutôt prendre notre temps.Profiter de notre jeunesse.Nous,on va plutôt aller explorer le labyrinthe.C'est vrai quoi,pourquoi on le fais pas?

J'ai pris sa main,comme si j'étais un garçon et que lui c'était mon pote.Et j'ai avancé dans ses coursives,où vivaient ces gens que je ne connaissais pas et pourtant,que j'étais tellement fière de côtoyer.J'enviais tellement leur insouciance.Je la respectais tellement.

Ce que je faisais n'était pas correct,surtout pour une écolière bien élevée fille de chef d'entreprise,mais j'allais pas m'en plaindre.C'était vraiment quelque chose qui me plaisait,d'être une fille issue d'un milieu riche et qui fait la rebelle.C'était une bonne thérapie pour me détacher du regard des autres.

Ce labyrinthe me mena à un réfectoire où prenait tranquillement,dans une solitude qui la comblait.C'était une jeune fille de 14 ans,couverte de ses vêtements qui lui apportaient une certaine contenance classe,mais elle sirotait,solitairement et posément,son café glacé.J'ai troublé sa tranquillité:

-Bouh!

-"Italien,Italien..."

-J'ai rien compris.

-Tant mieux.

-On peut s'asseoir?entreprit Tristan.

-Attends,je te couvre avec mon manteau.C'est un manteau de fille mais qu'importe,t'as besoin d'une couverture.

-Je vais m'endormir et je vais suer.

-Oui,mais si on voit ton look,on va se précipiter sur toi et...

-Oh je suis désolé...a-t-il fait en rougissant à peine.Peut-être devrais-je redescendre.

-C'est pas grave,j'ai fait,d'ailleurs la proposition d'Alizzia m'a faite rire sur le moment!

J'étais bien,mais j'avais mal.L'évènement était tombé au mauvais moment.Vraiment au mauvais moment.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant