Flash Forward 4:Avec Martin.

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Avec Martin,c'était différent.Ce garçon était la seule personne qui me permettait de tenir,parce que nous parlions la même langue couramment.Les autres se lassaient très fortement de l'idée de constamment s'adapter à moi dans leur propre pays.Mais Martin était debout.

En fait,nous n'étions pas les seuls français et j'ai dû attendre les batailles les plus marquantes de l'histoire française pour m'en rendre compte.Je n'ai pas été à l'école de la République.Mais n'importe quel instituteur,professeur de collège,de lycée,maîtresse,serait fier de nous.Et je pense qu'Edmée aussi,qui s'était inquiétée pour notre intégrité.Je suis restée deux années scolaires dans cette agence,celle de 1914-1915 et de 1915-1916,avant que l'on prenne fuite.

Je me rappelle,peu de temps après cette fameuse rentrée,de la victoire décisive de la Triple Entente à la bataille de la Marne,le 12 septembre,soit une semaine après une rentrée scolaire au sein de cette agence.Nous étions dans la salle de réception où se prenait le repas du soir,et Martin et moi avions pris une petite table,prêt de cette terrasse 'parfaitement inutile puisque non en hauteur',où d'immenses fenêtres nous servaient de mur vers un monde extérieur constitué de voitures.J'étais nouvelle,tout juste et dans un état de déprime intense,au fond de la mer,littéralement.L'attachement émotionnel que j'avais éprouvé pour une famille morte sous mes yeux ne cicatrisait pas et l'éloignement que j'avais jugé indispensable à la réalisation de mes rêves appuyait encore sur l'oedème de ce sentiment.En plus martin n'était pas venu alors je manipulais une boule de pain,recouverte de farine entre mes mains.Et c'est Martin qui est apparu dans la salle,dépassant celle qui cuisinait devant nous,devant un grand feu qui me rappelait étrangement celui qui avait emporté la famille de ma mère.Martin s'est précipité vers la table que l'on avait choisi,parce qu'on y avait entendu parler sans accent mais les gens étaient intimidés par mon silence.C'est dans ce contexte qu'il avait retrouvé les nouvelles du jour,me collant presque le journal sur le visage.Peu importe l'issue du conflit,toute nouvelle est bonne à prendre,d'une importance capitale.

-On a gagné!

Malheureusement on a pas compris tout de suite ce qu'il voulait nous dire.

-Excusez-moi,je peux vous les emprunter cinq minutes,a-t-il dit à la vieille serveuse qui arrivait avec les soupes.Elle m'arracha le pain des mains pour le projeter violemment dans l'assiette.J'ai traversé le réfectoire,suivie de ces parfaits inconnus,pendant qu'il montrait aux autres,du moins à ceux qui pouvaient le voir ici,le contenu et j'entendais des murmures.

-Gagné?a fait une voix féminine après que la porte se soit refermée sur nous.

-Tu lis le russe?

-Les français,nous,regarde...Les russes sont de notre côté,ils ont gagné eux aussi!

-A la Marne?

Et voilà,ça s'arrachait déjà le journal des mains.Ils ont stoppé l'invasion allemande.On nous le rappelle,ils auraient pu aller jusqu'à Paris.Des fois ça passait devant nous en s'étonnant qu'on aille pas manger,et Martin prenait alors un vrai tempérament de leader,retournant alors le doigt levé en l'air dans le réfectoire,des cuillères tombaient dans des soupes huileuses et roses,les nôtres nous attendaient sagement à notre place.Vu qu'on était français,il y avait compréhension.Mais c'était pas suffisant pour Martin.Au début je ne comprenais pas trop ce que faisaient ces gens qui m'avaient fait me lever autour de moi.Bien sûr très vite j'ai compris.Ils chantaient notre hymne national.Et je m'y suis jointe aussi,on m'intégrait dans cette communauté,me surprenant à en connaître naturellement les paroles.

-Bon faudrait vous calmer!

Bon,ça pérore,vitupère,mais on les suppliait intérieurement de nous laisser profiter de ce moment de gloire.De ce moment de joie en pensant que mon père est peut-être toujours vivant.De là à deviner que cette victoire avait eu lieu grâce à lui il n'y avait qu'un pas.Les paroles formaient comme une caisse de résonance autour de nous,nous étions pratiquement sur le point de nous tenir les mains,isolés des autres par cette nationalité qui nous réunit.Certains tentaient de mimer les paroles sur leurs lèvres,attention qui me toucha,qui m'offrit un grand sourire,tandis que le groupe,sans applaudissement,comme après une prestation scénique,est allé retrouver la soupe qui refroidissait.

Alors les langues des cinq français se sont déliés;on avait Camille Petit,l'ascenseur social du groupe,Léontine Alabert,une fille qui faisait deux fois son âge et qui avait d'extraordinaire cheveux noirs verts liés par un ruban derrière la tête,et Valentine Audomarois,dont on dirait qu'elle allait mourir si elle allait au soleil,bref,des noms bien plus français que les nôtres.Ainsi c'est à ça que ces fameux compatriotes ressemblaient.Et littéralement,on a alors rompu le pain ensemble.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant