Ania.

21 avril 1912.

Mon histoire,c'était celle d'une fille qui ne savait qu'haïr et d'un homme qui ne savait qu'aimer.Je souffrais,quand je me dirigeais vers les cuisines en bas pour prendre le petit-déjeuner avec les autres la veille d'une journée de visites.Je m'attendais à voir surgir mes parents en train de passer une commende aux domestiques.J'ai tant d'appréhension,comme les autres,à l'idée de les revoir dans dix jours.Le cap de la semaine depuis le naufrage allait bientôt passer.Les parisiens avaient déjà découvert le naufrage.J'ai pourtant envie de serrer mon père dans les bras,chose que je n'aurais jamais fait même le jour de son anniversaire.

-Ania,me glissa Clara,pas loin de moi à la grande table des demoiselles parisiennes,Martin te regarde?

-Et alors?

-Moi je le trouve plus beau que Tristan,a réussi à placer Joëlle,elle n'en rate pas une celle là.

Je me suis contentée de répondre à cette phrase blessante par un indifférent:Tu trouves?

-Elle n'est pas la seule à le penser,a renchérit Christine.Lui au moins il aurait de l'argent à te donner.

-Et quoi?ai-je fait tremblante.Tu penses que les juifs sont riches?

-La famille de ton père ne l'est que depuis 1860.Quand à ta mère je rappelle qu'à la base ce n'était qu'une pauvresse maigrichonne qui dormait dans les caniveaux et...

J'aurais pu répondre qu'en Russie elle avait une grande maison de bois,mais Martin est venu m'aider plus tôt.Oui,il est venu à mon service.Me défendre de la façon la plus désintéressée qui soit.Catherine,s'excusant mille fois,en profita pour demander à la mère de mon sauveur si elle savait comment écrire à ses parents.J'y avais pensé moi aussi,et comme par hasard,pour une fois,je n'étais pas à l'aise à l'idée d'écrire une lettre qu'ils ne liraient pas tout de suite.Après le dîner,nous avons emboîté le pas comme des petits canetons derrière notre enseignante pour remonter le perron de l'hôtel.C'est là qu'au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires nous avons quitté les rangs pour "voir".Je l'avais attendu des années durant.Les quartiers qui ressemblaient à ceux qu'auraient pu connaître ma mère si elle n'avait pas rencontré papa,ceux qu'aurait pu connaître Tristan si il avait juste été vivant.Vu notre habillement,ils ont sûrement pris ça pour de la curiosité malsaine.Je voyais,devant le seuil de maisons qui me rappelaient pour certaines,dire à quel point elles sont dépaysantes,celles de Southampton,des cartons contenant tout ce qu'ils avaient et qui semblaient crier déballez-moi.

-Je crois qu'on s'est perdu a fait Leslie qui de toute façon comprend jamais rien.

Et nous avons quitté cette rue qui sentait la cave et les vieux champignons.La propriétaire d'un magasin italien s'est retourné et a fait face à Alizzia.

Je me demande en tant que spectatrice ce qui s'est passé dans son esprit à ce moment là.Elle semblait contempler une des innombrables possibilités,conjugaisons d'aléas de la destinée qui aurait pu se faire mais qui ne s'est pas faite.

-Bongiorno,a dit Alizzia.

Le temps a semblé s'arrêter autour des deux femmes.La proprio a répondu par le même mot.On avait,toutes les trois,envie de lui dire de se bouger,de s'excuser parce qu'on devait s'en aller et qu'il fallait alléger la punition qu'on recevrait une fois retournée en France.Retourner en France.J'avais l'impression que j'y étais dans un temps antédiluvien.Puis j'ai fait ce qui s'imposait,j'ai rompu le silence.

-Allô La Terre?

Et on a fait demi-tour,finit de chercher du sens à notre vie n'importe où dans cette ville,ce qui compte c'est de ne pas se faire choper.A l'entrée de l'hôtel,une personne bégayait plusieurs fois,elle-même lessivée par un savon bien moindre à celui que nous devrons essuyer.Madame Spencergates,déjà échaudée précédemment,était exaspérée par notre attitude,peut-être justement à cause du drame que nous venions d'essuyer.En laissant défiler sur l'écran de mon encéphale l'historique de mes punitions je ne me souviens pas d'en avoir connu plus sévères,mais je ne me souviens pas non plus avoir connu une punition qui me fasse autant plaisir.