Lettres du 14 août 1911

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Dear Diary,

Ce qui va suivre ne sera pas agréable à lire,car ce qui va suivre est mon histoire,ma petite vie terrible et triste.

Dans ma famille,nous sommes cinq.Les cinq roues du carosse,et inutile de préciser laquelle est la cinquième.Mon père s'appelle Ryszard Pietrucheka,et il a 29 ans de plus que moi.Etant le président d'une entreprise qui fabrique des glaçons et qui rapporte pas mal d'argent.Je le vois donc peu,et quand je le vois,il me demande si je réussis en cours.Donc,on parle de mes notes.Sans surprise,quand elles sont bonnes,on parle d'autre chose,de la vie du milieu,et quand elles sont mauvaises,il râle que je me repose trop sur l'héritage familial.C'est le seul mode de communication entre nous.Cet homme n'a pourtant pas un air menaçant,et il ne me punit jamais très sévèrement.Il n'est pas le fondateur de l'entreprise Frozone.C'est ses parents qui ont fait tout le boulot,et elle vient de Pologne à la base.Mon père est déjà né dans le luxe,dans la bourgeoisie juive de Varsovie,alors que ses parents,Jakub et Biala,n'étaient partis de rien.Il a une soeur,qui est donc ma tante,et qui se nomme Ewa.Elle me semblait à l'opposé de mon père,une femme de 41 ans ressemblant à une suédoise,ou une Finlandaise,et bien moins tourné que lui vers la superficialité.Bon,c'est surement dû au fait que je la voie moins.Elle vit en Pologne de l'est,et elle a quitté l'héritage familial pour se marier avec un simple aubergiste de campagne,et j'ai deux cousins.Zygmunt,un gamin de mon âge que je commence à apprécier,maintenant que ce n'est plus un petit dur dont le plaisir n'est plus de reproduire le conflit cow-boy indien en torturant des pauvres poupées de porcelaines décoratives qui ne lui avaient rien fait.Non,maintenant,son seul plaisir est d'embrasser d'autres lèvres que les miennes.C'est vrai,c'est un beau brun aux yeux noirs et à la peau claire.Il a aussi une petite soeur de cinq ans,Mara.Ma soeur aime passer son temps à l'asticoter.La famille d'Ewa,on la voit peu,parce qu'elle vient rarement ici,et que je n'ai mis les pieds qu'une fois en Pologne.

Maman,ça n'a rien à voir.Mon père a rencontré ma mère la veille de son départ pour la france,alors qu'il avait 24 ans et elle à peine 20.Ma mère dormait paisiblement sous le prosche de la demeure,et il l'a réveillée doucement.La légende raconte que sa beauté l'a ébloui et qu'il l'a gardée chez lui jusqu'à leur mariage,et l'an prochain,ma grande soeur naissait à Paris.Ma mère est l'idéal maternelle,la meilleure chose que m'ait donné ma vie.Quand on sait que c'est elle qui me l'a offerte...Elle est plus belle que je le serais jamais,on comprend bien ce que mon père lui trouve.Elle a de longs cheveux noirs,les yeux sombres,la peau cuivrée,les jambes,les hanches,les poignets minces,tout en elle n'est que légèreté,douceur et amour.Quand je passe une journée particulièrement pourrie dans ce lieu terrible qu'un linguiste a nommé collège,je sais que je pourrais rentrer l'embrasser.Elle,ou Fifi,ma gouvernante française,ou la cuisinière,une polonaise comme mon père,mais chrétienne cette fois ci.C'est elle qui m'a appris la langue,et pas lui comme on pourrait logiquement penser.

Ma mère s'appelle Gerusha Moïsseïevna Samuda,et elle est née dans un tout petit shtetl perdu dans la Russie continentale.Elle en parle assez peu,pas parce qu'elle y était triste,elle y était sûrement plus heureuse que moi à jouer dehors devant les devantures de la rue pavillonaire,que moi je suis dans cette ville où je m'étiole.Non,la suite fut terrible.L'année de ces 19 ans,en plein hiver,le village s'est fait attaquer par les forces tsaristes,et elle a réussi à s'enfuir.Elle a grimpé dans un arbre,et elle a vu le village flamber comme une crêpe d'anniversaire.Pourtant,sept générations juives y ont déjà vu le jour,mais toutes les maisons sont neuves.Le petit village qui résiste à l'envahisseur,le très très méchant envahisseur,qui est pourtant du même pays.

Comme en Russie l'hiver il ne fait pas particulièrement chaud,elle est partie s'abriter,et chercher de l'aide en montrant d'où elle venait,dans un monastère orthodoxe pas loin d'ici.C'est là qu'elle fut sauvée,par un prêtre dont elle conserve d'adresse,qu'elle a gravé dans un des deux grands vases japonais qui gardent l'entrée de la maison.Un prêtre que je n'ai jamais vu,mais sur qui un jour je pourrais peut-être compter on ne sait jamais.Toute ma famille connaît cette histoire.

Ma mère fait vraiment juive,je l'avoue.Que ce soit le physique,ou la pratique religieuse et culturelle.Elle est en décalage par rapport au milieu riche auquel le mariage avec mon père lui a permis l'accès,elle profite discrètement des robes et des paillettes,mais au fond d'elle,elle reste une femme portée vers ses enfants.Une âme très pure,auquel je pourrais porter une floppée d'épithètes positifs:

Belle,mince,brune,douce,attentionnée,fragile,discrète,juive,aimée.Et russe aussi.J'aime dire que je suis d'origine russe,j'aime la langue,j'aime la culture.Je me sens russe,honnêtement,bien que c'est à cause d'eux qu'elle a perdu toute sa famille.C'st son pays.Ma mère m'a appris le russe,elle qui parle mal français.Le yiddish aussi,mais j'y arrivais pas,par manque de motivation.Pour m'aider,j'ai pris allemand seconde langue.

Bon,le seul truc pas bien qu'a fait ma mère,c'est d'avoir pondu Aïsha avant moi.Aïsha c'est mon aînée,qui passe son bac à la fin de la prochaine année.C'est un peu l'opposé de maman.Voluptueuse mais pas grosse du tout,contrairement à moi d'après elle,elle est d'une blondeur maladive,donc plus côté slave,et une grosse salope invétérée.Je ne sais pas si c'est pour se venger du fait qu'elle ait subie à l'école les même moqueries que moi,mais elle me sort souvent ses piques bien senties:

-"Tiens,la moche qui bouffe en cachette!"

-"Tu pues le parfum pas cher!"

-"Faible!Mauvaise élève!"

Elle est très douée à l'école,elle est garantie d'avoir 20 au bac,et moi j'ai un petit 16,ce qui n'importe où serait très bien.J'étranglerais bien cette hyène un jour,pour voir.Elle ne s'entend pas aussi bien avec maman que moi,une chance.

Heureusement,j'ai une autre soeur,de neuf ans.Avec l'autre qui a dix-sept ans,mes treize ans font que je suis pile la moyenne.Pas facile!Elle s'appelle Sasha,elle a des nattes comme moi.Alors que les miennes sont noires et m'arrivent aux seins(imaginez donc la longueur de mes cheveux!),les siennes s'arrêtent à hauteur de ses épaules.Elle est rousse à la peau claire sans les tâches de rousseur,petite,et sauvage.Tellement sauvage qu'on sait pas quoi en faire.Elle n'est pas mauvaise en classe,mais je crois qu'elle s'en fiche comme de son premier bébé en porcelaine.Elle refuse qu'on la coiffe,qu'on la mette dans des robes pas assez amples pour elle.Sasha aime ma mère comme si c'était son petit ami,elle aime la triture,les boutons,les oreilles,les cheveux,les broches,les doigts.Ce qui est drôle,c'est qu'elle dit rien,alors que si elle faisait ça sur l'une de ses deux soeurs,elle rentrerait pleurer dans les robes de maman avec une trace rouge sur les joues.Elle s'invente aussi des jeux,des amis imaginaires,mais pas question qu'on lui achète un chien.3 filles c'est suffisant.Heureusement la chatte de Leslie a eu une portée(oui l'animal,mais dans l'autre sens ce serait possible aussi)et elle va s'arranger pour me prêter un petit à la rentrée.Au pire,il restera chez la cuisinière.

Bon,faut que je fasse une pause,mon encrier est vide.Et puis,écrire est une drogue,tu commences tu peux plus t'arrêter.Demain,je parle de l'école.A demain alors,pour la lettre suivante.

Bizzzz.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant