Et si je sautais?

38 1 0
                                    

7 novembre 1911

La semaine reprend.J'ai beau me dire que la vie vaut la peine d'être vécue parce que dans cinq mois nous partons et qu'il y aura même une réunion dans 24 jours,rien n'y fait,c'est toujours la même peur qui m'étreint quand je vais m'asseoir sur ce muret,que je triture comme une folle les rubans de mes nattes,au point d'en devenir toute rouge,et à chaque fois l'une des filles me demande pourquoi j'ai autant de manies,et elles partent en riant sans attendre ma réponse.Je suis en plus d'être complètement méthèque et moche bourrée de tics,si bien que même Eurénice et Marianne m'ignorent.Elles ne voient pas ma souffrance,peut-être ne veulent-elles rien voir...

Heureusement,il y a mes amies.On ignore ces blondes(beaucoup de blondes parmi elles)qui mé dévisagent,celles qui me crient dessus en me traitant de buveuse de vodka.La première nuit où Alizzia et moi avions dormi dans le dortoir,restant dans la crasse de cette dernière me paraît lointaine,elle a tellement de classe.Elle ne se cogne même plus dans la porte de la salle de classe,elle parle plutôt bien français.

Ce midi...

-Donc,comment il est maintenant le dortoit?demanda leslie à Alizzia qui est interne cette semaine,tout en lui chipant une frite dans son assiette.

-Mon quoi...

Elle est un peu sourde,je crois.

-TON NOUVEAU DORTOIR!

-Ah,ça...je l'ai pas encore vu,je vais le visiter après la classe.

Et elle quitte déjà la table où on mangeait.

-Si vite?fit Leslie avec un sourire narquois.

Je ne sais pas ce qu'on a pu lui dire,mais elle avait l'air pressée,mal à l'aise ou vexée...

11 novembre 1911.

"Elle aime le dortoir"Qu'est ce que je n'aurais pas donné pour que ce jour soit ferié.Qu'est ce que je n'aurais pas donné pour qu'on ne me laisse pas aller en cours,qu'on me garde à la maison.Mais non,ce genre de chose n'arrive jamais à moi.On me laisse monter les escaliers en me tenant à la rampe comme une infirme,pour ne pas tomber dans les citrons sous les rires des autres,avec les youpines qui fusent dans mon dos.Si jamais je sautais,qu'est ce qu'ils diraient?Qu'après tout on en a rien à faire?Je ne sais pas ce qui se passe mais je sens que je ne peux aller nu part.

-Avance!crie Corinne.

-Je suis fatiguée.

-Qu'est ce que tu as?demanda Madame Spencergates.

-Je ne veux pas trop en parler maintenant.

-Non,dis-le maintenant,comme ça tu ne pourras pas mentir.

Mon coeur me fait mal dans tous les sens du terme possibles,et je ne suis pas préparée à le lui dire.

La voix étrangement douce de cette prof et les yeux de katty sont les seules choses qui font que je ne m'évanouisse pas.Je ne me suis jamais sentie aussi mal,c'est pire que ce que je pourrais imaginer.

-Dis-le moi,ordonna-t-elle.

Et je tombe durement sur le ciment.Je me dépose sur la peinture encore fraîche de la cour,j'entends des rires puis plus rien.

J'ai voulu l'écrire et le raconter tellement de fois,mais je me suis réveillée à l'hôpital.Personne n'était là pour que je puisse leur parler.La prof devait m'avoir conduite ici.

-Je suis désolée,Ania,rajouta-t-elle,elle venait d'arriver,je ne savais pas que la situation deviendrait tellement hors de contrôle.

Puis ma mère est arrivée en pleurant,elle me demandait de lui raconter,tout,tout,tout,chaque petit détail.J'avais une grosse grippe et je ne pouvais pas aller à l'école pendant deux semaines.Katty prendra mes devoirs.Là,j'écris depuis le 15 novembre,journée que je vais vous raconter dans la lettre suivante,après ma sieste.

15 novembre 1911

-Sois tu parles,sois je te ramène là-bas,de force;

C'était Aïsha,sa légendaire curiosité et ses menaces bien senties.

Je prends une profonde inspiration et me passe la main sur le menton.

-Ok,qu'est ce que tu veux savoir?

-Cela faisais plus d'un mois que je tente tout pour me rendre malade,fit-elle avec son habituelle imitation de la pleurniche,mais rien n'y fait.Je n'arrêtais pas de supplier papa de me faire des mots d'excuse,cette idée m'obsédait vraiment.Tu étais en CP,ça ne doit pas te dire grand-chose.

-Euh...Non,en effet.

-J'ai passé une nuit d'hiver nue dans le jardin.Et je n'ai rien eu du tout!

-Rien?

Juste au moment où je me suis dit qu'elle ne pouvait pas du tout verser de larmes,elle le fit.Elle ajouta qu'elle n'avait nul à qui confier ce tourment,et elle est rentrée incognito à la maison.Etrange n'empêche qu'elle ait une telle résistance au froid.Mais ça reste ma soeur haïe,et le fait qu'elle me fasse des confidences ne change rien au fait que je m'éloigne exprès d'elle,dans mon lit.

-Ania,dieu merci que tu le saches enfin.

Et elle se met à tripoter mes nattes.Je crispe ma main sur son poignet.Non,pas elle,elle n'a pas le droit de faire ça.Pas elle,je la déteste tellement.

-Nie dotykaj!

-Pourquoi tu parles polonais maintenant?

-Je..Je ne sais pas.

Toutes ces choses dont je n'ai pas l'habitude qui arrivent...Je ne suis jamais malade,je ne parle jamais polonais,Aïsha ne me confia jamais rien...Sur ce dernier point,je dois revenir.Elle m'a quand même dit à moi une chose qu'elle n'a dite à personne d'autres dans la famille.Pas même à Sasha.Je dois lui dire quelque chose.

-Merci.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant