2 Juin 1912.

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C'est marrant à quel point nos destins sont liées,Katty et moi.D'après Leslie,l'un des critères de sélection des académies de danse est le poids.Afin d'avoir des mouvements plus légers je pense,de donner l'impression de nous casser comme du verre.Très bien,si je dois maigrir,ça élimine déjà pas mal d'aliments.Ensuite,il faut manger à intervalles très réguliers pour éviter d'être une réserve de nourriture sur pattes.Et je devais être escortée d'au moins une bassine à chaque déplacement pour me débarrasser d'un surplus de nourriture.Alors que comme je le disais à Katty,d'autres n'avaient rien.

Personne n'eut un regard pour moi quand je m'évanouis en cours.Je vois que personne ne se rend compte de mes efforts.Personne ne voyait pourtant le regard que je posais sur le monde voilé derrière cette émotion qui prenait plus d'ampleur.Un regard de larmes séché vrillé par la haine.

L'année scolaire est presque finie et bientôt j'aurais 14 ans.Voilà à quoi je pensais quand je la retrouvais devant l'école.

Katty était sortie de chez elle après un mois de réclusion volontaire.Elle avait pris un vélo,avec lequel elle prenait un bien fou à pédaler soudain libre,et elle tendit le bras pour nous le montrer,sur les marches de la chapelle de l'école.

Mais bien vite je m'aperçus qu'il n'y avait rien.Elle n'était pas là,puisque personne ne la voyait.

-Ania?interrogea Leslie.

-Oui,je suis là,ça va on y va.

Bien sûr,déjà que Katty ne compte jamais sortir de chez elle,je ne vois pas pourquoi elle arrêterait de déprimer dans son lit ou de se lamenter sur les touches de son piano juste pour nous attendre à la sortie de l'école,ça n'avait pas de sens.

Mais quand je désirais que quelque chose soit vrai,j'étais très forte pour me convaincre que c'était réel.

Je passerais bien toute l'après-midi à la supplier de venir se balader avec moi dans le bois de boulogne,déterminée à ne pas la laisser seule avec sa tristesse.Alors,elle finirait par céder.

Je me rappelais du jour où j'étais arrivée chez elle,et que,désemparée,elle m'avait supplié de rester jusqu'à minuit car ma présence la sauverait.Elle pourrait enfin dormir et profiter du caractère biologiquement indispensable du sommeil.Je n'eus pas le temps de les informer un peu plus,car il fallait immédiatement que j'aille chez Katty et il fallait pour cela faire un véritable détour dans Paris.Je n'eus plus de nouvelle de leur après-midi à toutes les deux.

Je fus donc une petite élégante seule,jusqu'à ce que je sonne chez elle.Que ce soit une bonne qui m'ouvre et me guide à la chambre de la pauvre mademoiselle Catherine.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé?Pourquoi tu veux pas me le dire?

Normalement c'est à cet instant que l'acte doit s'accélérer.Elle s'est assise à mes côtés,lourdement et laissant échapper un soupir.

-Je ne veux pas en reparler pour le moment,mais tu sais très bien ce qui s'est passé Ania.Je suis juste moins forte que toi.

J'ai haussé sincèrement les épaules,et je me suis allongée confortablement sur les coussins du sofa,l'invitant à faire de même.J'ai fixé mes yeux sur le plafond blanchâtre.J'ai suivi son regard et elle scrutait le plafond aussi.Nous restions en silence et la raison était la suivante:Je ne voulais pas qu'on s'engueule.Je voulais qu'on profite du fait d'être proches.C'est alors qu'une bonne arriva avec le goûter,du pain perdu à la confiture au lait.Chose curieuse,mon amie déprimée le mangeait avec des couverts.Sans doute uniquement pour faire le maximum de bruit avec sa fourchette,ça la faisait rigoler.Je me suis revue plus jeune,quand ma petite soeur et moi faisions ce bruit immonde et que mon père nous regardait tour à tour toutes les deux.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant