Rentrée 1912.

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-Tu es prête?

-Comme si j'avais le choix.

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Cette année,pas d'angoisse à l'idée de retrouver ce que ma mère appelait posément les chipies.Ce que je vais devoir éviter est beaucoup plus effrayant,et il ne s'agit pas que de l'abandon du monde de l'enfance,je vous arrête tout de suite.Martin sera toujours là.Et j'allais enfin savoir si il m'aimait vraiment ou si il n'avait aucun scrupule et profitait simplement du fait que j'étais célibataire pour satisfaire son instinct de mâle qui consistait à être sorti avec le plus de femelle possible.C'est une vérité que nous filles connaissons depuis toujours,et Tristan est un mâle aussi,mais ça ne m'a pas empêchée,moi qui étais si seule,de le regarder avec la mièvrerie d'une adolescente.Ma naïveté s'était manifestée pour Tristan,parce que je l'aimais.

Si Tristan n'était pas mort,si le Titanic n'avait pas coulé,que me serait-il arrivé?On aurait continué de me harceler et Tristan ne serait qu'un réconfort moral.Puisque pendant que l'on m'encadre,qu'on m'affiche,qu'on me méprise et qu'on me met la tête dans les chiottes,je pourrais penser qu'en Floride,au soleil,de l'autre côté de l'Atlantique,il y avait un garçon qui était tout pour moi et pour qui j'espérais être tout.Elles l'auraient su,que j'étais en couple,mais elles s'en ficheraient probablement,c'est pas un exploit,tout le monde est en couple à 13 ans.C'est douloureux,la lucidité.

Cette période si noire qui avait été mon quotidien,j'en ai pourtant enfin vu le bout.Il s'est fait dans la douleur et au prix de milliers de vies humaines.

-Non,maman,je ne me sens pas prête.

-Elle n'est pas prête,Ryszard,tu vois bien.

Maman était prête à me dispenser d'aller en cours.Poussée par une tendresse folle je l'ai enlacée.

-Si je ne suis pas prête aujourd'hui,je ne serais pas prête demain.Quand il faut y aller,il faut y aller.

-Chapeau ma fille,tu m'impressionnes!

La nuit qui précédait le rentrée en 3ème,j'ai dormi dans la cache capitonnée aménagée dans ma chambre.J'ai cru que j'allais encore mourir.C'était la dernière année avant de partir étudier au conservatoire,avec toutes mes amies.Après un réveil précipité au beau milieu d'un rêve,j'ai pris comme vous vous en doutez le petit-déjeuner,et on m'a demandé,comme par hasard,alors qu'on laisse d'habitude ça aux femmes de ménage,de débarrasser la table,avec un grand sourire,comme si ils étaient fiers de leur blague.Ils devaient s'attendre à ce que j'implore pitié.Comme je suis pourrie en répliques,je leur ai dit que tant mieux,que j'étais prête à les aider,car ça me permettrait d'arriver en retard à l'école.

-C'est la même prof depuis la sixième,elle sait que je suis une élève sérieuse!

-Ania,viens me voir immédiatement!appela mon père,juste après.

J'ai pas eu d'autre choix que de monter à l'étage dans le bureau de mon père.Il m'a dit que madame spencergates était tellement riche qu'elle n'était pas obligée de me garder,ce sera juste une part de son salaire qui diminuerait.

-Justement,elle ne me semble pas du genre à virer les gens,ai-je répondu très calmement,sinon mes bourelles seraient à la rue depuis bien longtemps.

-Tu es bien naïve Ania,prépare-toi,Albert t'emmène.

J'ai obéi,ne voulant pas que mes amies m'attendent trop longtemps et impatiente de savoir ce qui était arrivé si Katty allait revenir à l'école.J'ai donc pris mon sac et mon manteau et je suis montée dans la voiture,guidant un majordome mal réveillé à l'entrée d'un lycée où tout le monde semblait m'attendre.Avec mon parapluie de gente dame j'ai couru m'abriter sous le préau en brique où elles semblaient m'attendre,toutes ici,gentiment déposées par leur famille.Leslie et Alizzia ont couru vers moi,et Katty attendait en retrait,comme pour se préparer à l'intensité pluvieuse de nos retrouvailles.

-Tu es revenue!Tu es revenue!

Personne ne fit attention à nous.On nous a laissé un périmètre de respect;on ne nous a pas dit bonjour parce que définitivement,nous n'étions pas amis.Mais personne,pour la première fois,n'est venu nous déranger.Ma vie,mon histoire,mon romain,pas le film car on ne peut pas tout contenir en vingt minutes,aurait pu s'achever sur les images de nos uniformes verts qui entrent dans le couloir pour nous retrouver en classe ensemble.Je vais donc clore ce chapitre là-dessus.Bien entendu,il m'arrivera beaucoup d'autres aventures.J'ai eu une journée d'école à raconter,une journée où je ne m'étais pas torturée,où j'ai enfin pu aller pisser sans qu'on m'arrose.Où mon père peut dire calmement qu'il a commandé des plats de luxe dans un grand restaurant pour fêter la rentrée des classes.Le deuil amoureux nous offrait une forme de protection dont je n'osais dire si je me serais passée.Si j'avais passé les concours pour entrer aux ballets de New York,je serais dans le même pays que Tristan.Nous serions immigrés,et nous aurions le même gouvernement,même si séparés par plus de 1000 kilomètres.Martin était là,étudiant et suivant les cours avec nous,mais comme si sa mère avait réalisé que son qi ne lui permettait pas d'apprendre quoi que ce soit.

Je vais vivre ma vie pour toi.Je vais vivre deux fois plus.Je vais te laisser vivre à travers moi.Je vais aimer pour toi.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant