La Bourgogne.

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On est déjà à l'été 1913.C'est curieux,mais la force d'écrire ne m'avait toujours pas regagné.Les sentiments qui m'épuisaient étaient toujours les mêmes.

Je suis en route pour le village dont ma propre enseignante,qui ne s'était jamais intéressée à mes problèmes quand je me faisais martyrisée par la bourgeoisie et la noblesse locale,nous conduisait en voiture passer une partie de l'été dans son village natale.

J'ai commencé à admirer son fils,après avoir dit que j'avais compris,et accepté sa proposition,et reçu un baiser de sa part.Martin est un excellent danseur,balançant avec force ses articulations,ses tendons tendus le plus loin possible alors qu'il cavalait sur la scène.Et personne n'égalait ni sa puissance ni sa précision.C'était remarquable.Nous étions dans une bienheureuse ignorance,avant que l'Histoire ne nous prouve à nouveau qu'aucune ethnie n'était plus violente que la nôtre,nous peuple caucasoïde.A la veille du déchaînement de puissance qui embraserait le continent européen.C'était dans un an,et quand j'écris à nouveau ces mémoires avec rétrospection,j'ai l'impression de les attendre encore.Quand la guerre,que l'aigle allemand aura attrapé la France dans ses serres,Martin et moi ne serons pas mécontents d'être déjà à St-Pétersbourg.On avançait sûrement.

-Au début,je pensais que vos résultats médiocres si peu en phase avec l'intellect que vous dégagiez était une façon de protester.Ou de saboter.Et puis je me rendais peu à peu compte que vous ne faisiez pas exprès d'être aussi mauvaise,qu'en réalité vous souffriez d'intimidation.Vous m'en voyez désolée mademoiselle.

-Je vous crois.

-Je le jure,Ania,je suis désolée,mais bon,vous aviez un bon groupe d'amis,des domestiques attentionnés,deux parents qui vous aiment,et en ces temps troublés,nous risquons une guerre avec l'Allemagne...

-Mes parents viennent de l'empire...

Mais la voiture s'était déjà arrêtée à destination.Je resterai là-bas deux semaines,et mes parents,inquiets pour moi depuis la crise de panique du 15 avril qui causa un internement temporaire,étaient très reconnaissants envers cette brave dame.

-Je peux savoir ce qu'elles t'ont fait?m'avait-elle demandé alors que nous nous étions arrêté au milieu du voyage.

J'ai hoché les épaules et j'ai lancé un pas la peine pour vous de savoir vous n'y êtes pour rien.Vous m'avez déjà offert un amant.A la place,dîtes moi plutôt ce que vous vous saviez,mais vous ne voudriez pas me répondre.

-Nous arrivons au clos des mûriers,notre résidence familiale.N'est-ce pas charmant,ma fille?Vous auriez dû voir à quel point c'était beau au mois de décembre sous toute cette neige,on est venu fêter la nouvelle année ici et il y avait pleins de monde,tout le monde se connait dans le village.

-Pourquoi vous me parlez de la nouvelle année?

L'endroit avait l'air assez froid,et elle semblait devancer mes remarques.Le village s'étendait derrière nous,et les collines parcourues de vignobles grillaient sous un soleil presque latin.Et au moment où mon talon cogna contre le parquet,je sus que j'étais faite pour vivre ici.Si je ne tomberais jamais amoureuse de Martin,je suis instantanément tombée amoureuse de l'endroit,des chauve-souris attrapant les souris chevelus au grenier.Et elles sortirent toute en trombe par la porte d'entrée,si bien que par un réflexe de pruderie qui avait dû lui plaire,je l'ai serré contre moi en hurlant.

-Ne t'en fais c'est rien.

Un petit homme arriva,nous observant avec attention.Il devait être celui chargé de chasser les chauves souris en notre absence,mais manque de chance nous sommes arrivés en avance.Il a pris nos valises,et les a monté dans les chambres du deuxième étage.Il ne nous a pas mis ensemble,heureusement.Je n'en avais même pas envie après tout.Je voulais disparaître ici.Je voulais que Katty vienne,elle aussi,ma meilleure amie.J'aimerais tellement qu'elle aussi,ici,trouve quelqu'un.Que comme moi,elle laisse tomber toute considération,et qu'elle vienne avec nous ici,pour boire les meilleurs vins pétillants avec toutes les classes sociales réunies dans un même magnifique éco système,tous les âges,même.Madame Spencergates s'appelle en réalité Edmée Fontanelle,et elle a 2 ans de plus que ma mère.Son cousin vit ici,avec sa femme de 48 ans alors que lui en a déjà 56.Ils ont deux enfants,Georges,27 ans,et Lucien 25.Georges est marié avec une jeune femme de 23 ans,et ils ont une petite fille de 2 ans,élise,une petite fille blonde aux yeux sombres qui me rappelait étrangement l'amie de Sasha.Je me demandais ce que j'avais à voir avec ces gens.C'était ce qu'Edmée avait comme famille la plus proche.Elle était fille unique.Ses parents sont morts il y a peu et sont enterrés au cimetière de la ville.Elle n'a jamais revu son mari et ne connaît absolument pas sa belle-famille.Il ne lui reste donc que ce cousin obscur,qui profitait moins qu'elle de la fortune de son père.Et moi j'étais là au milieu de tout ça,mal à l'aise,écoutant tout de lointaines histoires de famille,autour d'une table qui baignait dans un soleil de fin du monde,dans un village qui pendant la nuit était si rempli d'étoiles que telles des perles,elles menaçaient de briser la toile de velours noir qui les empêchaient de tomber sur nous comme le croyaient les ancêtres des français ethniques.Ce que Martin n'était pas non plus par ailleurs.Et je me rappelais désormais absolument de toutes ces sensations que j'étais déjà consciente d'être destinée à revivre.Le bruit parfait d'un verre à pied qui rencontre doucement la pierre médiévale.Un baiser refusé à Martin le jour de mon anniversaire autour de luxueuses pâtisseries.Les paysans qui jouent dans du foin de soupente et mon refus de les rejoindre qui passerait pour du mépris de classe.La rencontre parfaite entre le vin et le fromage.Manger du jambon devant les yeux outrés de ceux qui voulaient justement que j'en mange.Trouver ça bon.Visiter la maison vieillie de la famille éloignée.Vouloir se marier avec Martin parce qu'on aime cette ambiance.Rencontrer les vrais amis,ceux du village,devenir amis avec eux aussi,et pleurer parce que ceux ci nous rappellent tristement le peuple de la troisième classe.Et parce que Martin sous certains aspects évoquait Tristan.Un artiste qui avait su voir ce qu'il y avait de beau en moi.J'avais de l'estime pour lui et en même temps non,il ne me faisait pas me sentir en accord avec moi même.Tristan,si,comprendriez vous la nuance?Deux semaines plus tard on rentrait sur Paris,et j'étais encore sous le choc,comme si je prenais ce voyage pour un avertissement.Si tu tiens à rester avec Tristan,c'est à ça que tu renonces.Et avoir des enfants?Hé,ça ne te plairait pas d'avoir des enfants dans ces conditions?Si,si.Il sera bientôt temps de partir une semaine dans le Vercors avant de partir pour le lycée.Car tes années collège se sont déjà finies,sans grande étincelle.Mais c'est sans grande étincelle que se terminent les périodes qui précèdes les âges d'or.Comme l'âge mûr précède l'âge pourri.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant