23 Avril 1912.

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Corinne avait essayé d'engager la conversation avec moi.Elle était assez agressive en tant habituel,mais cette fois-ci,c'était moi qui répondait brutalement que je ne voulais pas lui parler.Elle insista,vexée.Je lui avais répondu encore une fois de ne pas s'inquiéter et je suis remontée dans ma chambre.J'étais relevée au simple stade dans lequel j'étais il y a six mois,quand il y a eu ma maladie.Je ne parle plus,je ne souris plus,mais je ne l'ai plus fait depuis la mort de Tristan.J'ai passé la journée à me torturer avec les souvenirs que j'avais de lui.J'allais revoir son corps,jamais je n'avais accordé aucun d'importance à quelqu'un.J'allais à Inverness.

Le phénomène de réminiscence,de sursauts,de flash-back,se répéta à de nombreuses reprises,c'était proprement intolérables.Des chansons,des sons,des images d'un bonheur qu'il me faudra faire revivre à d'autres.J'avais envie lui,physiquement,même si je suis encore une enfant,j'avais envie d'exprimer rageusement mon amour pour lui,et ce encore maintenant,profitant de la vie que lui n'aura jamais eu.Et à présent,plus personne ne pourra douter de ma lâcheté.De ma vulgarité dans mon langage débridé.J'avais envie de déprimer,seule à côté du poêle,manger à grands bruits un bol de nouilles brûlantes.Entre la vie et la mort,je n'hésitais pas,en réalité.J'ai vu la mort,j'ai vu ce qu'elle a fait  à Tristan.Je savais pertinemment qu'elle ne serait même pas capable de nous réunir,elle nous a juste séparé à jamais.Je n'en veux pas.

C'est alors qu'Edmée nous a appelé.Elle recevait une professeur new-yorkaise d'un lycée semblable aux autres,comme une symétrie.

-Donnez-vous la peine d'entrer,a dit Edmée,je serais ravie de vous recevoir.

Elle ajouta avec hésitation,comme pour nous accabler encore plus.Nous étions toutes les quatre immobiles dans ce salon attenant,rouge velouté et rond.

-Nous nous sommes sûrement rencontrées quelque part.Vous ne m'êtes pas inconnues,enfin,il me semble.

Elle était à la recherche d'une fille qui portait mon nom.Elle aurait vécu à Saint Pétersbourg,en Russie.Elle était d'origine Russe en réalité,et avait toujours aimé la danse.Serait-il possible qu'après l'amour et la mort de Tristan,un miracle apparaisse?Dans d'autres circonstances,je serais extrêmement émue,touchée.A présent,j'étais amère,gênée.La violence affluait en moi,c'était ma seule force,et c'est alors qu'une sensation étrange se produisit dans mes poings.Comme si ils renfermaient de la glace.C'est alors qu'une force indescriptible,puisée au plus profond de moi,fruit de toutes mes frustrations,toutes mes souffrances,éclata de moi.Et je dansais par haine.Un afflux de haine,glacée,comme de la vraie glace,celle de l'iceberg tueur,me poussa à danser.

-Ania!tenta de maîtriser Edmée.Calme-toi immédiatement.

Je voulais danser jusqu'à épuisement.Danse jusqu'à en crever.Je laissai exploser ma fureur en français.Bien sûr,tout le monde ne parle pas ma langue maternelle.

Elle me dit,très franchement,comme une stricte cheffe de pensionnat,qu'elle ne comprenait pas un traitre mot de mon charabia roman,et que je devais garder ces mots pour moi.J'aime pas beaucoup ce genre de philosophie linguistique.Néanmoins,j'eus l'impression grisante d'être un personnage de roman débridé et atypique,brisant tout sur son passage dévastateur.Elle soupira une dernière fois,comme si elle eût été après tout réellement impressionnée par ma performence,et escortée par celle qui me passera un savon,même si elle me plaint faut préciser,elle sortit.Même mes amies admettaient que j'avais déconné mais je ne m'en soucie que,très franchement,comme d'une vieille souche.Si Alizzia en profitait pour me descendre afin de se sentir supérieure,Katty,elle,m'a dit:

-Tu l'as bluffée,je crois.

-Vraiment?ai-je dit comme illuminée.

-Oui,j'ai confiance en toi.

Je n'ai jamais eu confiance en moi.J'eus confiance en d'autre.Mais en moi non.Cette notion ne fit jamais partie de mon vocabulaire.Alors quand une confiance est placée en moi par d'autres,je me sens plus vivante.J'ai toujours été insignifiante.

-Je ne l'aurais pas si j'étais toi,ai-je dit simplement.

Peu de temps après,j'eus une convocation de la part d'Edmée.Pas à propos de la danse.Elle buvait du whisky,comme si elle devait se préparer psychologiquement à la claque dans la gueule qu'elle recevrait quand j'entendrais ce qu'elle me dirait.

-Ania.C'est à propos de Martin,celui qui t'as sauvé.

Oui je sais qui est Martin,et oui je lui en suis reconnaissante.Le reste de ma vie je l'espère ne sera pas qu'intolérable souffrance.La lumière est si douce à regarder que je me prendrais à son petit jeu de séduction.

-N'ignore pas qu'il t'as cherché partout.Il t'as sauvé parce qu'il t'aimait,Ania.

Cette révélation n'aurait pas dû mais elle me mis hors de moi.J'ai renversé le verre de Whisky,mais elle s'en fichait,elle était trop concentrée sur ma réaction.

-On ne boit pas devant ses élèves madame jamais.

Allez-vous me dire que je ne suis plus votre élève?

-Virer une élève?Tu m'as déjà entendu prononcer une telle sentence?Oui,je me sers de ma position pour aider mon fils.Mais n'est-ce point grâce à la position sociale de tes parents que tu es dans mon école?

Si,c'est vrai.De mon père surtout.Et je me rappelais que les parents de certaines filles ici préféraient voir leur fille morte plutôt que dans les bras d'une créature aussi insignifiante que Tristan.

-Si madame.J'estime beaucoup Martin mais je pourrais me servir de ma situation aussi si vous nous pousser trop dans les bras l'un de l'autre.

-Tu menaces ta professeure?Fais cela,personne ne l'a jamais fait,et je n'aurais aucune pitié pour toi,ragea-t-elle,acide.

Une enseignante en colère pouvait faire beaucoup de mal.Mais elle était presque comme une seconde maman,on en a qu'une.

-Il est aussi obstiné que toi tu ne l'ai dans le domaine de la danse.Elle a beaucoup apprécié ta performance de tout à l'heure.

-Est-ce ironique?

-La danse est une lueur dans ta vie.Comment veux-tu que j'ironise là-dessus?

Ma relation avec une prof qui ne s'est jamais occupée de moi évolue donc tant?Je n'avais jamais eu le temps de me concentrer sur elle en détail.Je connaissais sa famille,son enfance dans la campgne bourgignonne,son origine anglo-saxonne qui lui avais permis d'enseigner la langue,mais c'est tout.

Au dîner,nous avons eu un grand bol de nouilles brûlantes.

-J'avoue que j'aimerais beaucoup venir avec toi dans le pays de Tristan,a lâché Alizzia.

-Pourquoi?

-Je sais pas,il me fait envie.

-Je vais enterrer mon petit ami et toi tu veux faire du tourisme.

-Les hautes falaises,les moutons,le vert sauvage de l'herbe.C'est une terre sauvage pas loin de chez nous quoi.L'île de France,c'est calme,c'est policé.

-Quelle opportuniste tu fais.Mais j'avoue avoir besoin de soutien.

-Leslie a accepté de m'accompagner en Angleterre,a dit Katty.C'est   dans son habitude de soutenir une fille dans mon état.

Là non plus,pas d'ironie.Comme si depuis une semaine tous les masques étaient tombés.Elles nous avaient cherché,elles s'étaient mêlées à la foule des troisièmes classes pendant que nous nous perdions.Elles voulaient nous sortir de l'ombre,elles aussi.Si il restait de la place,on aurait pu former une chaîne humaine,comme ds fourmis,mais contrairement à ce que dit l'anthropocentrisme de ce début de siècle,même les animaux sont plus solidaires.Alors Martin s'avança dans notre direction et je mis en application la plus importante et la plus indécente leçon que mon enseignante m'avait dispensée.Je n'avais jamais eu de petit ami et je ne cherche pas à en avoir un tout de suite après,cela me semblait une récupération indécente.Mais très clairement Edmée me le signifiait,je n'étais pas en position de mépriser.


Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant