Russe.

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La question n'a pas tardé à se poser:est-ce que je suis russe?Et puis c'est quoi être russe,d'abord?

Sasha et moi on s'est toujours senties russes,elle avait toujours rêvé d'y aller et moi aussi.Naturellement d'autres parents nous auraient interdit d'y retourner.Mais tout nous criait non.Pas seulement les gens qui ont brûlé le village,ça j'ai eu le temps d'y penser en France.C'est juste que j'avais du mal à préciser que ma mère était russe sans anticiper toutes les questions qui me seront posées alors:et qu'est-ce que ta mère elle est partie faire en France?C'est quoi son prénom?Pourquoi tu parles pas russe?Mais pas t'es orthodoxe du coup non plus,n'abusons pas.Est-ce que je savais parler russe?

Je prenais des cours.C'est pour ça que j'étais interne.L'éducation n'était pas terminée.Si je me cassais un membre j'allais devoir travailler d'une façon ou d'une autre,même en rentrant chez moi.Donc j'ai suivi des leçons,et naturellement j'étais assise à côté de Martin.Amitié franco-russe oblige,ma salle de classe ressemblait étrangement à celle où j'avais été martyrisée autrefois.Vous imaginez si je lui signalais que mes parents venaient de l'empire russe?Cela se voyait de toute façon à mon nom de famille.Pietroucheka ça sonne très russe.Sauf que c'est un nom sorti de nul part,sans racine,offert à nous par l'administration russe.

-Vous pensez qu'ils m'ont admis parce que j'étais d'origine russe et riche?ai-je demandé aux gens derrière moi.

-C'est quoi ton nom déjà en fait?

-Anya Pietroucheka.

-Bon allez salut.Léontine Alabert.

-Camille Petit a alors renchérit le garçon aux cheveux longs dans le fond,avant que l'on nous rappelle au silence.

La dernière personne s'appelait Valentine,et elle est passée derrière la table,au tableau.C'était en septembre.C'était peu après que la France ne gagne la bataille de la Marne et que l'on chante la Marseillaise en l'honneur de la France donc la première chose que j'ai su d'eux c'est que l'on était de la même nationalité et que cette victoire était très importante pour nos familles qui survivraient encore quelques mois avant que les allemands ne les trouvent.D'après ce que m'avait dit mon père avant que je m'en aille,des mots que je n'étais pas vraiment en mesure de comprendre,

C'était le mois de toutes les premières fois,l'entrée au lycée classique que l'on trouvait dans la mauvaise littérature,celle qui se revendait sur le trottoir mais qui ne parlait qu'aux filles capables de faire des études.Je faisais ce pourquoi Tristan et sa petite soeur avaient voulu que je vive.On commence avec le lac des cygnes,parce que c'est ce que les jeunes jouent habituellement.

-Comment j'ai fait pour être prise?j'ai fait après m'être changée dans des toilettes où mes genoux touchaient les murs zébrés.

-Tu les as ensorcelé,a fait Martin en haussant les lèvres.

Je commençais avec un rôle de figurante que l'on m'avait attribuée dans un autre ballet au tout dernier moment,vous pouvez croire que c'est une preuve de confiance,puisque je devrais être censée savoir apprendre une nouvelle chorégraphie en aussi peu de temps,que nenni.Non je suis rétrogradée d'un rôle important avec des parties solistes qui avait surpris tout le monde moi la première à un rôle invisible qui apparaissait toujours en seconde ligne dans les chorégraphies parce que c'était plus rapide.La suite à des coupes de scène rajoutées inutilement par une chorégraphe soit disant incompétante.

-J'ai rien compris,a fait Martin quand je lui ai expliqué,parce que oui,il n'était pas seulement logé à l'autre bout de l'établissement,mais on avait qu'un seul cours en commun et c'était le cours de russe,je compte pas le cours de maths où on est dans la salle de sciences toute en largeur et où on est chacun les points d'extrémités d'une diagonale.

Peu de temps avant la représentation,j'ai changé de chambre alors que ça ne faisait qu'un mois que j'étais avec des colocataires,qui ne se souciaient pas de moi et avec qui je n'avais pas de gros soucis,je suis partie dans la chambre des françaises.

-Je ne comprends pas,j'ai fait en passant chez elle pour récupérer mes affaires,une chambre avec des russes ça m'implique dans la langue,non?

-Alors pourquoi tu ne nous parles jamais?

Léontine et Valentine étaient déçues,en plus de tout ça,de partager leurs chambres avec une personne qui risquait de comprendre ce qu'elles se disaient la nuit.

-Parce que vous êtes déjà de supères amies à ce point?ai-je fait en lâchant ma valise sur le sol.

Au pire moi je m'en fiche,ai-je alors renchérit avec un tac au tac insensé,

-Tu sais que tu seras pas là pour longtemps surtout?Ta chambre elle est en travaux.

-Boh,je comprends plus rien,j'ai fait en m'allongeant sur le lit,puis cherchant à trouver à tout prix une solution de repli à cette mauvaise situation,je leur ai demandée:

-Vous aussi vous jouez dans la princesse des glaces?

-C'est la reine des neiges pas la princesse des glaces,et nous on joue dans le lac des cygnes.

Bon le contact n'est pas idéal.

-Vous savez s'il y a une bibliothèque française pas loin?

-Mais t'étais pas censée être russe toi?

-Mais arrête de l'agresser la blondasse!D'autant que tu sais pas quoi y a pleins de français ici.

-Non laisse tomber elle avait raison je pense qu'il faut mieux apprendre la langue locale.

L'ironie était que je n'ai su que la veille de ce spectacle que les filles de mon ancienne chambre étaient effectivement dans le même spectacle que moi,leurs blondeurs et leurs traits presque masculins,qu'elles partageaient comme des soeurs,mais je n'étais pas pour autant la seule française.Il y avait Camille qui me faisait face,et je voyais derrière le lourd rideau noir d'en face le pauvre maquille comme pour un spectacle de travestissement dans un cabaret de basement,par ce Camille qui portait déjà les tenues du roi de la nuit.Camille qui est plus vieux que nous,je suis mauvaise langue.

-Ma mère est russe,leur avais-je confié simplement.

Un jour viendra quelqu'un lâchera que c'était une juive,pas une russe,et que de toute façon il n'y a plus de juifs russes.Alors je leur ferais ça.Ce pourquoi ces ballets ont été si renommés.La lumière était habilement bleutée par les procédés qu'on verrait dans un cinéma,pour renforcer l'effet glaçant de la scène.Glaçant était le mot qui convenait.Comme l'avait dit un garçon venu me voir dans le public,on aurait dit de la vraie neige.

-Pourquoi me le dire à moi,tout particulièrement?

-Parce que vous m'aviez marqué par votre beauté.

-Vous avez un petit accent français,j'ai fait en rigolant.

->Oh mais c'est vrai vous aussi!

-Allez,laisse la tranquille.

-Martin, ai-je fait en souriant.

-C'était de la vraie glace hein,m'a-t-il murmuré à l'oreille.

Entendre Martin parler de glace,même au milieu de cette  chaleur et de l'effervescence grouillante de tous ces préparatifs m'a fait fondre en larme;le gars est quand même venu pour me rapporter un mouchoir,Martin lui a fait croire que je pleurais à cause de lui,je lui ai dis que Martin était un con,et bizarrement mon chagrin disparu aussi sec.C'est vrai que c'était beau,ces paillettes.J'étais plus une fée qu'une sorcière désormais.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant