La lettre de Martin.

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M'avait-il vraiment dit qu'il m'aimait?Ce ne serait pas la première fois qu'il le ferait.Il réfléchissait un temps à écrire en russe pour m'impressionner,mais ce n'était certainement pas dans cette langue que,naturellement,il s'exprimerait.De toute façon j'avais quitté la chambre des francophones.

On était en novembre.Ma petite soeur venait d'avoir 12 ans et la grande venait d'accoucher de jumeaux.On était liés par amitié,mais nous formions une paire,un duo,bien plus qu'un couple.Si Martin avait été Martine les choses n'auraient pas été différentes.A ceci près que je n'aurais pas été avec une fille;dans ce cadre on se croirait dans une colonie de vacances.Dans ce cadre,je me voyais propulsée deux ans et demi plus tôt quand notre histoire avait commencé.Ce n'est pas tant que je sois encore folle amoureuse du fantôme d'un garçon qui n'avait que deux ans de moins que moi.J'étais traumatisée par tout ce que je lui devais.Léontine,à ce sujet,pensait m'avoir reconnue.

-Je crois que je te connais toi,je vois enfin d'où je connais ton visage en tout cas!

-D'où?Il ne me semble pas t'avoir vue à Paris.

-C'est normal,je t'ai vue sans que tu ne puisses me voir.Je connais ton histoire,sur le Titanic.Elle est passée dans les journaux.

Je voulais vous dire que je suis désolée de vous avoir sous-estimée,après tout ce que vous avez fait.

-On irait même jusqu'à dire,a rajouté son amie...qu'on vous admirait.

Comme souvent quand je ne sais pas réagir et que ça me touche je me suis mise à pleurer.

-C'était tellement cruel ce qui est arrivé...Je ne peux pas le concevoir.Genre j'ai pu concevoir que la famille de ma mère s'était faite massacrer comme on me l'a racontée quand j'ai été assez grande pour savoir.

-La famille de ta mère s'est faite massacrer?

-Tu ne vas pas me faire croire qu'on est en démocratie ici?De toute façon ce n'est pas le sujet.Car j'ai besoin d'aide maintenant.Regardez un peu ce que j'ai reçu.

Je leur ai montrée le papier en le tenant bien fermement,histoire qu'elles approchent le visage pour lire.

-T'as reçu une lettre d'amour,trop romantique!

-Je le montre pas au russe,je n'ai pas la foi de leur traduire tout ça.

-Anya,

Tu ne le vois peut-être pas ici mais cela fait des années que je peaufine cette lettre que tu pourrais embrasser d'un regard.Je pourrais paraître opportuniste ou terriblement naïf d'espérer l'amour d'une fille qui en avait déjà tant donné.

Je t'aime Anya.J'ai tant de raisons de t'aimer.Et quel dommage que ce fut d'une petite jeune fille fraîchement veuve que je me sois amourachée.

-J'appellerai ça un goujat comme dit ma grand-mère.

-Oh tu sais j'ai été en couple avec lui quelques jours...avant tout ça j'étais un peu jeune pour ces bêtises.

Et pourtant,ai-je soupiré immédiatement après,qu'est-ce que j'en avais besoin,d'amour.

-Mais plus maintenant?

-Quand je vois à quoi ça avait mener ce pauvre garçon,je ne veux pas faire de mal à celui qui m'avait sauvé la vie.

Bref,ce qu'il m'a écrit,c'était:

-Crois-moi sur parole que je n'étais pas fier de tout ça.Mais as-tu idée de ce que c'est quand une telle image t'obsède?Cette fille qui avait survécu au froid contre toute attente,une telle tristesse se lisant sur son visage,ses cheveux restés si noirs et son visage devenu si blanc...Pardonne-moi Anya car je savais vraiment ce que je faisais.

-Rassure-moi,t'es sûre qu'il était vraiment mort le Tristan?

-Là c'est pas marrant,Valentine,la reprit son amie.

La lettre se poursuivait.

-J'ai eu l'honneur de devenir proche de toi.Tu as eu l'honneur de voir notre sanctuaire bourguignon,le sanctuaire de notre été.

Il sous-entendait clairement que si ça marchait pas avec moi ça marcherait avec une autre fille.On a que seize ans mon garçon calme-toi.Mes parents en avaient 21 et 25 quand ils se sont rencontrés.Merde,tu es le fils d'une mère célibataire...Ce qui ne me faisait pas peur.

Un poème aurait semblé trop générique,trop scolaire.Les sentiments que j'éprouve sont réels et il faudrait d'abord que je les maîtrise avant de les esthétiser.

-Il a l'air super bien éduqué ton prétendant.

-Il peut,sa mère était mon enseignante.On peut voir que ça paye.

-Je suis désolée de te le dire mais ton amitié ne me suffit plus.

Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant