Ania.

Il n'en restait qu'une coquille vide.

2 mai 1912.

Quand j'ai vu qu'on était arrivés au Royaume-Uni,et que la forte voix d'Edmée nous a appelé pour qu'on descende,je me suis immobilisée dans un coin de la chambre.D'une voix vacillante,Leslie vint me chercher avec des yeux exprimant une compassion émue,incroyablement sérieuse.

-Toute la nuit,j'ai pensé à ce qu'il allait t'arriver,ma Ania.Dire que quand je verrais ma mère m'attendre à Paris,toi tu feras le sale job...

A ma grande honte,j'avoue avoir oublié les adieux d'Alizzia.Sans doute était-elle si timide qu'elle n'osait rien me dire.Mais je n'ai pas oublié quelle élève se chargea de me dire au revoir,ni de quelle démagogie elle usa pour me faire des encouragements.

Hé oui,je vous le donne en mille,Christine Maclaret.En comparaison,le tsar aurait figuré comme un modèle de netteté.

-Bonne chance,Ania,tu vas en avoir besoin,pendant que Katty et moi descendions à Glasgow.

J'ai cru qu'elle allait poursuivre en déclarant qu'au final elle avait au final bien réfléchi et que mon origine européenne rendait,à la fin,mon appartenance à la race juive beaucoup moins grave.

Des membres de la White Star Line sont venues nous chercher avec nos valises,on est sorties du bateau,et il finit par me dire:

-Vous aviez de la chance d'être l'élève de Madame Spencergates,elle est si gentille avec vous.

?

-Bon,ok,je vais vous expliquer comment elle a fait pour avoir des places pour vous toutes sur ce bateau...

-Peut-être parce qu'il y avait encore beaucoup de place?

-Oui,et aussi parce que c'est ma cousine.

Il ne fallut pas attendre longtemps avant que Katty et moi soyons séparées.Avant de prendre le train,un train différent qui nous amenait dans des villes et des provinces différentes,j'ai fouillé dans ce petit sac qui m'avait accompagné partout,et j'ai brandi fièrement ma carte d'identité,avant d'enlacer ma meilleure amie rousse,pendant que les autres riaient.

-Au fait,Ania,apparemment ce ne serait pas Brian qu'ils recherchent...Apparemment ce serait son petit frère mais je ne peux pas me contenter de les croire sur parole.Il n'y a pas son nom sur lui...C'était un bébé!

Hier soir,ils avaient tenté de célébrer la fin du voyage,avant que nos chemins se séparent.Je m'étais montrée raisonnable au cours de cette soirée,ayant encore en tête les fantômes de la nuit celtique,les souvenirs des boissons noires gazeuses et alcoolisées refaisant surface toujours au bout de quelques heures.Après avoir traîné dans ce lit si chaud,je m'étais levée,me préparant à ce que j'allais affronter dans ce centre dé médecine légale.Il allait falloir que j'identifie Tristan Sage,seul membre de la famille dont on a repêché le corps.Il nous a fallut plusieurs heures pour trouver le bon couloir dans ce bâtiment curieusement beau,et une fois au bon moment,j'eus l'impression assez peu glamour que j'allais expédier mon petit déjeuner.Je n'étais absolument pas prête à voir ce que je savais que j'allais voir,mais je ne savais pas si c'était un bon choix de leur dire.De leur laisser le loisir d'insister,de me demander des explications.J'avais peur de passer pour une idiote,et surtout,de me faire du mal en me rappelant que la mort est une force insurmontable,et que je ne peux que m'y soumettre,si elle a pris Tristan si tôt.Après cette pensée,je suis entrée.

La vision s'enfonça profondément dans mes yeux.J'ai vu encore une fois celui avec lequel j'ai passé les plus beaux instants de ma vie,allongé sur une table.Lavé,conservé,encore blanc du froid qui l'a conservé.Un papier estimait à 14 ans son âge,son gilet gris,sa chemise noire,sa guitare restée accrochée au corps dérivant,des chaussures noires,des chaussettes.Il était cyniquement indiqué qu'il n'y avait pas de marques d'identité sur lui,et qu'il avait un ticket de troisième classe.