25 Avril 1912.

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Martin est allé voir comment j'allais.Il est tellement obstiné qu'il ne me croit pas quand je lui dis que je vais parfaitement bien.En même temps,vu que dans une heure on va monter sur un bateau,le RMS Celtic,ce n'est pas si difficile que ça de s'apercevoir que je mens.Où est le problème?C'est que je suis trop perdue pour encore avoir besoin d'aide.Que je veux oublier à tout prix où je suis.Je ne veux plus culpabiliser en disant à d'autres d'aller se faire voir.Il m'a sauvée la vie alors qu'on se connaissait à peine,et moi je faisais ce que ma souffrance me donnait le droit de faire.Celui d'être une bonne à rien.

Je ne me souviens plus de ces choses là,car il y avait plus grave.L'histoire de notre malheur gagnait en popularité y compris dans la classe.Ils sont longs à la détente pour comprendre l'ampleur du truc,ceux là.Les conseils de filles qui n'en avaient rien à faire de moi
étaient incohérents.J'y voyais comme un certain sadisme,car il n'y avait rien à attendre d'elles.Respecter un de leurs conseils revenait à ne pas respecter les autres.Les conseils les plus cruels me dictaient de ne pas tomber amoureuse à nouveau.D'être irréprochable.Je n'ai connu l'amour que cinq jours tant pis pour moi,ce n'est de la faute de personne.J'aurais beau voir 60,65 ans,et être toujours célibataire,si un homme me demandait sa main à ce moment là,je refuserais toujours.

Le retour se fit sans que je ne me retourne vers la ville de New York,dont je ne garderais aucun souvenir,sinon d'un lieu où j'ai consommé ma souffrance.Ce qui ne m'empêcherait pas d'y retourner avec mes meilleures amies,pour voir comment cette ville monde évolue,pour remplir un devoir.Quand je mourrais,je leur ferais don de tous les objets rapportés à Tristan,à l'Ecosse,au Titanic.Ces objets n'ont certainement pas une grande valeur marchande,mais je tiens à eux plus que tout au monde.Des souvenirs cruellement matériels.

J'ai l'impression que je vais enfreindre l'une des règles les plus élémentaires de ce collège.Ne lever la main sur personne.Au risque de déclencher une guerre dans la classe.

-Ania?Je peux te parler?

-Oui?

Je commençais à chanceler.Prendre un bateau c'est vraiment difficile pour moi.Je voyais Edmée à côté de moi mais elle chancelait sous mes yeux elle aussi.

-Je pense que tu vas devoir reprendre des cours à domicile.

-Je pense que j'en aurais besoin aussi.C'est ce que je me tuais à vous dire...

-Car est-ce que ça te dirait d'être interne dans une école de danse?

J'ai reculé sous l'effet de la surprise.J'avais pas réalisé que réaliser mon rêve nécessitait une telle force psychique.J'ai reculé jusqu'à me heurter contre la barrière,lâchant ma sacoche,qui s'est ouverte,laissant tomber dans l'eau une laque.

-D'où vous vient cette réaction horrifiée?

Comment lui dire que ça me manquerait de souffler un bon coup après une dure journée de labeur,balançant mon sac près d'une plante en pot même si je savais que j'allais m'attirer les foudres de mon père?

-Mon père a beau être très sévère,je ne suis pas prête à quitter ma mère pour autant.Je pourrais me faire frapper...

Je n'ai pas osé lui parler de ma nature relâchée,bordélique.Je ne peux pas non plus lui dire que je ne voulais pas quitter mes parents juste après m'être rendue compte que j'étais aimée.Je ne voulais pas parler de les quitter alors que j'avais l'occasion de les revoir après ce qui me semblait plusieurs années.

-C'est prématuré d'en parler,c'est tout.

Effectivement,pour elle,ça semblait suffisant comme argument.

-Pendant les vacances,tu pourras revenir,on te fera payer tes billets de trains sans hésitation.

Les vacances?Rentrer pour les vacances?Mais je ne suis qu'une enfant!

-Je veux que tu saches que tu as la maturité nécessaire d'accord?

Je n'ai pas réussi à m'endormir parce que je réfléchissais à cette conversation,qui m'empêchait de penser que j'étais sur un bateau,qui me ferait faire des cauchemars.J'étais allongée sur le matelas trop mou de ma cabine à fixer un inspirant plafond.L'obscurité rappelait,à l'aide d'ombre,notre position marine.En plus de l'image de mes parents,il y avait l'image d'Aïsha.Celle-là,si c'est pas ma mort qui la rend plus gentille,je sais pas ce qui lui faut.Je m'étais donc interdit de penser à elle depuis le naufrage.Alors je ne comprenais pas pourquoi sans arrêt elle me revenait à l'esprit.

Il me restait encore une semaine de bateau pour boucler ce mois de voyage.Un mois de voyage.Dont quatre jours que je ne saurais qualifier de plein de surprise sans mettre le mot euphémisme en abîme.Il me restait une semaine de bateau durant laquelle je pouvais mourir,mais ça je n'en avais rien à faire.

J'ai revu en rêve mes retrouvailles avec papa maman.J'avais peur d'être déçus de leur accueil,mais j'étais sûre que j'allais pleurer dans leurs bras.

Toi qui étais si excitée de les voir,c'est tout ce que tu leur révèles comme accueil?me suis-je demandée.

-Hey,Ania!a appelé Katty.Tu dors pas?

-Comment veux-tu que je passe une bonne nuit sur un bateau?

Elle leva les yeux au ciel devant ma réaction.Elle est venue dans mon lit,touchant mon matelas.

-C'est sûr qu'on en a bavé.

Je me suis levée pour l'arrêter dans son élan.Presque pour lui poser un doigt sur les lèvres comme un bébé.

-N'en dis pas plus.

-Je suis pas venue pour en parler,Ania.Je te propose qu'on s'échange ses bracelets.

-Les bracelets d'amitié?Comme à l'école primaire?

-Oui,eux-même.

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26 Avril 1912.

Pensive,j'ai suivi le troupeau des élèves jusqu'à la salle de petit déjeuner.Les mots de Katty ne quittaient plus mon esprit.C'est bien pour cela qu'on est amie.Elle avait le pouvoir de me faire réfléchir.Tout n'était plus vraiment clair dans ma tête.J'étais comment dire...Un peu perturbée.

C'est un steward qui nous a réveillé,nous disant simplement "debout"comme si on était au chenil,nous ordonnant de nous habiller en vitesse si on ne voulait pas rater le petit déjeuner.J'avais l'impression de revenir à mon arrivée au collège,aux débuts du port de l'uniforme,aux leçons de savoir vivre,à l'enseignement de ce putain de christianisme,au début des rictus et des vengeances personnelles.Oui simplement parce qu'un steward est venu nous réveiller dans une cabine de bateau,j'ai repensé aux enfers des années précédentes.

-Bon,allez,on descend?ai-je proposé aux autres.

C'est là que j'eus une vision qui excita une compassion entièrement tournée vers les victimes depuis dix jours.Martin était là,à sangloter,sans que personne ne fasse le moindre geste pour m'aider,y compris celui de m'obliger à le faire.Je n'étais pas douée pour me montrer affectueuse toutefois je devais me surpasser.J'ai posé ma main sur l'épaule de celui qui m'a sauvé la vie.

-Hey,ça va pas?

Ses yeux se focalisèrent instantanément sur les miens,ils se sont donc rencontrés,et c'est comme si la sécheresse absolue de mes yeux noirs avaient communiquée dans ses yeux bleus délavés.Avait-il fait tout cela pour que je daigne être sensible à sa douleur?Il avait cette manière,pourtant,de garder la tête baissée,en espérant cacher quelque chose de son malheur,sans succès.Il semblait se sentir encore plus honteux qu'auparavant.

-Ne pleure pas Martin,c'est normal de craquer au bout d'un moment.Je trouve même que pour un type qui a dû naviguer au milieu de cadavres de femmes,d'enfants et de bébés,tu t'en tires bien.





Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant