La fin du Voyage.

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J'étais persécutée par les autres affreux élèves,ces nains malfaisants que l'on surnomme mes camarades de classe, depuis mes 4 ans.Je sais ce qu'est un pogrom depuis mes 5 ans,et je crains mon père depuis la préhistoire.J'ai pensé naïvement que je n'avais plus rien à craindre de la vie.

En voyant la Statue de la liberté,j'ai repensé qu'un jour je l'ai vu comme un symbole de liberté effectivement.Pendant que je la regardais,Edmée et ce fils qui m'avait sauvé la vie se dévouaient à une autre tâche surhumaine consistant à empêcher les filles de se perdre dans le flot des survivants qui allaient descendre,tous ensemble,presque sans distin...Ah,non,j'ai rêvé.Nous sommes aux USA,ce pays où aux XIXème siècle même des nationalités étrangères comme les irlandais étaient méprisés,pas au paradis.

J'ai commencé à me montrer utile,à faire cette valise,à ravaler mes larmes et mes pâmoisons futiles.Il me serait difficile de décrire la volupté avec laquelle j'aidais à descendre des gens que je ne connaissais pas ou que j'avais aperçu et dont la survie m'était agréable.J'essayais de recoudre mon esprit,mais la souffrance provoquait en moi un manque si violent qu'il entraînait des spasmes douloureux me laissant choir.Je n'osais même pas me sentir pauvre.

J'avais l'impression que cette pluie c'était toutes les larmes du monde sur moi.Sauf que le beau temps jamais ne viendra.

En posant le pied sur le quai je suis tombée.Mais il fallait que je sois forte,pour ne pas avoir fait des promesses en l'air.Si je faiblis,je ne survivrais pas.Il me faudra garder de la force,beaucoup de force pour continuer,braver une foule compact qui veut m'interroger sur ma survie,comme si j'avais envie qu'on parle de moi et qu'on taise le sort d'une famille entière.J'allais profiter du petit cours de tennis de l'hôtel,sans lui.Ou aller me baigner dans un carré d'eau chauffé adjacent,sans lui.Le plus clair de tout,c'est que je devrais oublier.Pour être heureuse.Mais il est de ces choses qui vous blessent à jamais.

-Qu'est-ce qu'il va leur arriver?a fait ma meilleure amie,en larmes,en montrant d'un coup de menton ceux qui passaient à l'inspection.

Je ne le saurais jamais,car comme des célébrités soudaines,nous sommes entrées dans notre bus,une invention nouvelle.Une petite musique passait,au fond.La ville semblait passée au crible,au vitriol sous mes yeux,je ne la trouvais pas accueillante,elle était la façade d'un pays vide et impitoyable,dans lequel j'espérais trouver quelques semaines de paix.Dans 15 jours seulement j'allais pouvoir me faire réconforter par ma famille.Je regardais le paysage,assise,et dans ma tête repassaient ces airs de folklore celte sur lesquels j'aurais aimé que nous nous embrassions encore une fois.Je m'attendais à ce que l'on chante dans ce bus,je m'attendais à ce que l'on vante les mérites de ce pays.Mais la satisfaction personnelle d'être séparée de ma ville natale par un océan me terrorisa,elle avait conduit à la mort ceux qui auraient dû rester chez eux.

Le pire de tout,ai-je pensé en descendant ma valise Vuitton devant le charmant hôtel de briques rousses,typiquement New-Yorkais avec les escaliers qui permettent d'arriver aux balcons,c'était que si j'avais pu remonter dans le temps et prévenir la famille de ne jamais embarquer sur ce bateau,je ne l'aurais pas fait,je n'en aurais jamais été capable.Je suis si odieuse que je ne pourrais supporter ne l'avoir jamais rencontré.Tant pis pour moi,mon karma s'est permis cinq jours de bonheur,il va le racheter en sacrifiant celui qui avait osé faire mon bonheur.J'avais l'impression d'être empoisonnée par une toxine très puissante.

Le hall était carrelé de blanc,les murs peints de rouge,décorés de croix d'osier,de miroir laqués,de photographies d'une surprenante netteté.Un escalier,dur à franchir pour de jeunes filles épuisées et habillées comme nous,donnaient à une chambre de 4 filles.

-Haha,a fait Katty,on a droit à encore deux semaines de répit avant d'attaquer la dernière période scolaire de l'année,qui s'annonce pleine de choses géniales.

La moquette grise râpait ses bas.Leslie la regardait avec des yeux interrogateurs.

-Tu la perçois l'ironie dans ma phrase ou t'es idiote ?

--D'où tu lui parles comme ça?me suis-je retournée,en train d'essayer d'allumer une cigarette sur le balcon.

Il faisait un froid de janvier,d'après les autres,mais moi le froid je ne le ressentais plus.J'avais survécu à ce qui a tué des centaines de gens.Je n'osais en parler,et seul Martin avait le secret.La version officielle était la même que pour Katty,je m'étais retrouvée sur une porte apte à supporter mon poids,mais pas apte à supporter celui de Tristan.

Quand je rentrerais,je claquerais la bise à mes parents et leur demanderait pour la première fois quelque chose.J'allais parler à mes parents d'une chose dont je n'ai jamais parlé à mes amies.J'allais leur en parler,il fallait qu'ils m'avouent quelque chose.

J'ai mis les mains dans mes poches et j'ai suivi le groupe en bas,expliqué que je mangeais pas de viande,et ils ont dit qu'ils avaient l'habitude.De toute façon,à quoi bon me servir quelque chose que je ne suis pas sûre de garder.Je me sentais si morte.Il ne me restait qu'à compter les jours avant mon retour.


Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant