20 avril 1912

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-Est-ce que ça va?me demanda Martin en me tendant une main destinée à m'aider à me relever.

Il m'aida à m'asseoir sur un des ployants du salon adjacent au hall de l'hôtel.J'eus l'impression de revoir des lampes braquées sur moi.

-Hé bien ça va comme une fille qui s'est faite rentrer dedans...Oh,pardon,pour le sous-entendu,ironisai-je.

Je savais qu'il avait fait exprès de me bousculer.Je ne sais pas pourquoi il me suivait autant après qu'il m'ait sauvé la vie.Ou du moins,je n'avais pas vraiment envie de le savoir...

-Excuse-moi de t'avoir fait tomber,je ne savais pas vraiment où j'allais.

Après quoi il m'a proposé qu'on petit-déjeune ensemble.Certes,je n'étais pas enthousiaste ou admirative,mais j'acceptai vraiment.J'ai daigné offrir mon attention à autre chose.J'ai daigné aujourd'hui voir les buildings,la skyline immense et si haute,vantée pour les immigrants qui devront la construire.Les écureuils de central park.La seule verdure typiquement américaine qu'il me sera donné de voir.

J'étais là pour oublier les diktats imposés par la société,formée par mon père,ma sœur,les camarades.Si à 25 ans je n'étais pas mariée,j'aurais de bonnes raisons d'avoir honte,disait papa.Si je ris à l'école,je ne suis pas distinguée.Et ma sœur,et mes camarades,qui se moquent de moi chaque fois que mon visage exprime un sentiment,qui font les éffarouchées chaque fois que j'ose exprimer un mot vulgaire.Apparemment,la mentalité américaine est la même.

-Hé bien ça prouve que nous sommes tous humains,ironisa Clara.

-Tu avais peur de l'oublier?rétorqua Eurénice.

Eurénice.J'étais sûre d'avoir déjà marqué au moins une fois son adresse.Je l'avais effacée,Clara et Marianne aussi,pourtant,je voulais devenir son amie.Mon répertoire contenait peu de vivants,et,c'est là le plus douloureux à écrire,il était devenu un cimetière.Sont-ils morts pour m'avoir connue?Qu'avais-je fait de mal?

Avant cette terrible nuit je n'avais vu que le cadavre de mon arrière-grand-mère,une antiquité qui ne demandait qu'à y passer.J'étais prête.

Je regardais par la baie vitrée donnant sur le balcon de notre petit appartement.Je cherchais du regard,quelque chose,un point,quelqu'un dans cette ville à qui j'aurais pu me rattacher.J'étais tellement heureuse de ne pas être seule.Mais d'un autre côté,je n'avais pas envie de me reconstruire.

Hé bien avant tout,qui je suis de toute façon?Je me suis couchée avec cette dernière idée en tête.Ce n'est pas me reconstruire qui ramènera Tristan.Alizzia m'adressa un clin d'oeil malicieux,je hochais la tête en la dévisageant.

-Ania,a fait katty allongée.Ils ont retrouvé le cadavre d'un bébé.Moi je pense que c'est Sydney.

Sydney Leslie Goodwin.Incroyable de penser que cette personne n'a eu qu'une seule et unique chance de vivre et de faire quelque chose sur Terre et il l'a eu pour une durée si brève qu'il n'en a pas réellement profité.

-Je sais,a fait Katty.C'est ça qui m'effraie.Et m'attriste aussi.

J'allais devoir pousser ma famille à faire des démarches pour le rapatriement du corps de Tristan en Ecosse.Et puis...Ne vaudrait-il pas mieux qu'il repose en Amérique?Qu'au moins son corps,même si il ne le saura jamais,touche ce pays et y reste pour longtemps?Tant pis pour l'Ecosse.

Au beau milieu de la nuit je suis descendue chercher une gaufre au sucre dans une assiette du petit restaurant de l'hôtel.J'ai jeté un coup d'oeil circulaire à la salle violette et orange impeccable et vide,sous les lumières de la nuit,parfois troublée par les voitures qui circulaient.Une fois rassurée,je me suis retournée vers la serveuse,une américaine typique.

-Ma pauvre amie...

-Oui,voilà maintenant vous savez déjà tout de moi.Mais puis-je vous faire promettre de ne pas tout dire à d'autres élèves?Vous semblez si bavarde...

-Oui.Compte sur moi.

Je me levai et déposais un billet de dollar obtenu au bureau de change pour payer ma commende.J'avais envie de l'enlacer cette Mary.Apparemment,j'étais de ceux qui avaient compris d'où elle venait.Mon père était né dans la richesse,mais pas ma mère.

Quelques nuits plus tard,c'était toujours les même cauchemars qui revenaient.Je me revois en train de leur promettre de leur donner mon saphir,estimé à 723000 dollars de prix,ce qui est juste énorme.

J'avais fait une liste des noms de toutes les personnes qui recevraient cette somme.Il fallait que je gomme ceux qui sont morts.C'est un peu cruel à dire,mais ce serait de les gâcher que d'en faire profiter des âmes qui seront trop mortes pour dépenser leur dû.Je ne suis pas superstitieuse.


Ania.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant