Ania.

14 Avril 1912.

J'ai retrouvé Tristan pour parler des Amériques,pendant que toutes les autres sont à la messe.Je n'ai pas râlé de me retrouver à part.J'allais librement échapper à la vigilance d'Edmée Spencergates,et de ses élèves.Ma relation fusionnelle avec Tristan était toujours aussi libre de s'épanouir.

Ce matin,là,point de musique.Comme les choses avancent entre nous,nous sommes capable d'avoir une conversation sérieuse.Brian est passé au début aussi.

-Katty est assez désagréable,quand même.Elle m'a dit que j'étais un gros naïf de croire que j'allais devenir riche en m'installant aux USA,et que les choses ne se passaient pas comme ça.Sacré Katty.Sais-tu seulement que nous sommes des êtres doués d'intelligence qui savons faire la part des choses?

-Sans doute,j'ai répondu,c'est une grande humaniste.

Et je comprenais pourquoi elle aussi,comme moi,avait été séduite par des garçons de cette classe,qui plus est des garçons des îles britanniques.Ils avaient l'ivresse,de boisson et de liberté,ils avaient l'étoffe,je le sais,je lis beaucoup de romans d'aventures,de héros,et ils avaient pourtant,cette adorable méchanceté qui séduit les gentilles victimes comme nous.

Aimer quelqu'un d'autre que Tristan dans ma vie,cela aurait été la rater.J'espère que ma mère pourra le comprendre.

-Where Is Katty?demanda Brian.

-Dans ton anus,répondit Tristan.

-A la messe,répondis-je.

Brian allait me demander pourquoi je n'y étais pas,et puis il se rappela que mon prénom,en hébreu,avant d'être déformé par la langue polonaise paternelle,signifiait Grâce.Je le leur avait raconté sur le même ton qu'utilisait ma mère pour raconter des contes juifs.Elle en connaissait une multitude.

Arriva alors un steward affilé à une distribution de boisson lactées,pour les classes aussi supérieures que la nôtre.Brian faillit le renverser,et je faillis rire.

-Je suis laitier,a fait Brian,je vous l'ai déjà dit.

-Moi je vais être soit guitariste de rue,soit comptable.

-Moi soit épouse de guitariste,soit épouse de comptable,soit danseuse étoile.

-Ainsi donc,tu vends du lait,a fait Katty derrière nous,nous faisant tous hurler.

-T'es pas à la messe?

-Je suis la seule à avoir pu gruger.

Je m'en doutais.Elle ôta sa mante pour l'accrocher une poignée de porte.Brian admira sa beauté.

-C'était bien?

Elle se redressa un peu,frotta son fare à paupière vert et mima un bâillement.

-j'ai jeté un coup d'oeil discret à côté de moi pour voir si les autres étaient suffisamment concentrées sur cette cantique compliquée en anglais,et quand j'ai vu que c'était le cas,j'ai trompé la vigilence de Madame Spencergates et je suis partie.La première classe était vide.Impossible à croire mais ils sont croyants.Et une dernière chose,ajouta-t-elle avant de quitter avec Brian la cabine des hommes Sage.Ce soir,Madame Spencergates menace de passer dans toutes les chambres à 23H voir si tout le monde est couché.

Elle a vu que j'allais m'énerver.Et elle quitta la pièce.

Le pire,c'est qu'on me confirma par la suite l'énervante véracité de son propos.Notre chambre était,avec celle de Clara Eurénice et Marianne,la plus proche de celle de Martin et Edmée Spencergates.

-Moi qui aurait tant aimé dormir dans ton lit ce soir....

-Je ne vois pas ce qui,techniquement,t'en empêcherais.

-Je ne sais pas,pourquoi?a-t-il fait d'un air très mutin.

-Bon,j'ai répondu,on s'aventure sur un terrain glissant.On parlait des Amériques.

-Ah oui.

-Moi,c'est le grand canyon,et les terres rouges qui me fascinent le plus.Cela m'a l'air vraiment magnifique.Mais je pense que c'est du vol de terre.Les amériques n'étaient pas vides avant,et tu le sais très bien.C'est les blancs qui ont massacré sans vergogne une population vivant d'air pur et d'eau fraîche,pour des colons capricieux comme toi.

-Alors pourquoi tu y vas?m'a demandé Tristan très calmement.

-Parce que j'en avais par-dessus la tête d'être chez moi,ce voyage aux Amériques,ça me fera des vacances.Et puis,j'aimerais beaucoup y vivre.De toute façon,aucune nation ne se prête aux gens comme moi.Je serais juive dans l'empire russe,juive russe en France.

-Ha ha,j'aime bien les juives russes figure-toi!

-Et moi je raffole des scottish!Même filtré par leurs reins le whisky reste bon!

-Tu as de l'expérience on dirait!

-Plus que toi!Qu'est-ce que tu as vu dans ta vie?

-La chatte à ma maman au moment de naître.

Et on s'est mis à rire comme au comptoir d'une taverne et c'était délicieux.Ma mère n'acceptera sûrement pas ce genre de relation,même si elle dit vouloir avoir une fille heureuse et épanouie.Puis des membres de la famille Sage vinrent nous rejoindre et nous parlâmes des ressources du continent américain en baissant légèrement la voix.

Le pire moment de la journée est pour moi le break du midi.Je voulais être chaque instant de ce voyage en la compagnie de Tristan,et,lorsque ce n'est pas le cas,envoyer en éclaireur un fantôme invisible qui le suivrait partout.Lui non plus n'aimait pas.Et cela me faisait honnêtement du bien.

Je suis donc remontée pour pouvoir,avec les filles,trouver un bon coin de table où manger dans le restaurant à la carte.On a mangé avec la prof et son fils.Elle n'a rien ajouté sur le fait qu'il faille être chacun dans sa chambre ce soir là.On devrait savoir que ça l'énerve beaucoup de nous voir sans arrêt dispatché un peu partout sur le paquebot.Elle qui dort avec un garçon même si la situation l'y oblige quelque peu.Tiens,ça y est,elle remet ça.

-Si je vous reprends encore une fois en dehors de votre lit après 23H...

-Bon,ça va,a murmuré Leslie dans son assiette de saussiflard.Gaspille pas ta salive,on a compris la chanson,on est pas concernée.

Edmée lui lança un regard peu amène,avant de nous annoncer que ce soir,il y avait visite guidée du paquebot.C'est,d'une manière assez paradoxale,un peu le gros projet de la semaine.Elle dure pas plus de deux heures,c'est donc pas plus de deux heures sans Tristan.Ce sera supportable,franchement.D'autant que je pourrais lui faire un compte-rendu détaillé,entre deux baisers,de ce que j'aurais appris d'utile ou d'intéressant.