X - AIMER

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Chapitre 46

Mardi 11 juillet 2017

La journée avait bien commencé, pourtant il a suffi d'un appel et d'une réflexion pour que je me braque totalement...

Nous sommes attablés sur la terrasse. Le dîner a commencé il y a une vingtaine de minutes. Grillades, poêlée de légumes, frites maison, un repas délicieux qui en ferait saliver plus d'un, pourtant je n'ai pas faim. Ma petite altercation avec Mathieu me travaille. Est-ce que j'ai dépassé les bornes ? Il est difficile pour moi de rester calme lorsqu'on parle de mon père, et encore plus quand le garçon avec qui je sors se met soudainement à prendre sa défense...

- Bon, j'attends vos avis, annonce Anis, impatient.
- Honnêtement, c'est délicieux ! Vous avez fait du bon boulot, les félicite Léa.
- La cuisson est pas mal, sourit Ilyès.
- Pas mal ?
- Bon... Elle est réussie, t'es content ?
- Je préfère, mon reuf !
- Les filles aussi on fait du bon travail, intervient Ormaz. Les frites maison, une tuerie !
- Pour les frites, il faut s'adresser à Sybille, précise Lea.

Tous les regards se posent sur moi dans l'attente d'une explication.

- Sybille ? T'es avec nous ? me taquine Lesram en agitant sa main devant moi.
- Désolée, j'étais ailleurs. Vous disiez ?
- Tes frites, elles sont top !
- Pourtant, elles ont rien d'exceptionnel.
- Tu dis ça mais elles font vraiment la dif' ! affirme Ilyès.
- Merci, c'est gentil,
- C'est pas gentil, bébé, c'est la vérité.

La réplique de Mathieu me surprend, mes joues rougissent instantanément quand je fuis son regard en posant le mien sur mon assiette.

- Au moins l'un de nous a une copine qui sait bien cuisiner, reprend Lesram pour embêter sa copine.
- Alors toi ! râle-t-elle.

Je souris à ses railleries, tout en essayant de me détendre davantage. Les autres ont certainement remarqué que quelque chose n'allait pas, mais ils ont la politesse de faire comme si de rien n'était et ça, ça me met plutôt à l'aise.

À la fin du repas, je prends le soin de débarrasser la table pour tout mettre au lave-vaisselle. Alors que Léa prépare du café, Mathieu la rejoint. Ils parlent quelques minutes et j'en profite pour partir m'isoler sur la terrasse. Un lit à baldaquin s'y trouve. Je m'installe, tout en fixant le ciel attentivement.

Les moments joyeux de mon enfance refont surface et les larmes me montent instantanément. Je m'étais promis de ne plus pleurer pour lui, mais c'est difficile de faire comme s'il n'avait jamais existé. J'essuie mes joues, prête à me reconcentrer sur le ciel étoilé quand Mathieu se joint à moi.

- Je peux ?

Je hoche la tête quand il vient s'allonger à côté de moi. Nos regards sont tous deux rivés sur les étoiles.

- Je tiens à m'excuser pour tout à l'heure. J'ai été maladroit.
- Non, c'est moi qui m'excuse. Mes émotions ont pris le dessus. Je suis désolée.

Sa main vient serrer la mienne.

- Tu dois me prendre pour une dingue hystérique mais j'ai mes raisons.
- Une dingue hystérique ? J'irais pas jusque-là, mais j'ai été surpris.
- Surpris au point de plus vouloir de moi ?
- Non, surpris au point de me dire que Noé avait raison. T'as du caractère.
- Hey...

Ma main droite vient taper délicatement son bras en guise de réponse quand il reprend plus sérieusement :

- Tu sais, si tu as besoin de m'en parler, je suis là. Être en couple, c'est pas qu'une question de sexe, Sybille. J'ai besoin dans savoir plus sur toi, j'ai besoin de sentir que tu peux te confier à moi sans la moindre crainte, tu comprends ?

Je le fixe un instant, son regard est sincère, quant à ses mots, ils me touchent.

- Mes parents se sont séparés lorsque j'avais onze ans et Noé, seulement deux...
- Attends, t'es pas obligée, me coupe-t-il.
- Je sais..., souris-je. Pour faire bref, ma mère a découvert qu'il la trompait avec une fille de vingt-cinq ans, une stagiaire de sa boîte. Il a essayé de se racheter mais à quoi bon ? Il avait dépassé la limite à ne pas franchir. Elle a demandé le divorce. Au début, mon père était très présent. Il nous prenait tous les week-ends. Ça a duré deux ans avant qu'il rencontre sa femme actuelle. À partir de là, tout a changé. On est passé d'un week-end sur deux à un week-end dans le mois avant d'avoir le droit à des excuses bidon comme : « Je ne peux pas prendre les enfants ce mois-ci, je suis occupé avec Rose et les enfants. » Rose a trois enfants et visiblement mon père les a rapidement adoptés. À cause de ça, j'ai beaucoup douté de moi. Est-ce que les enfants de Rose étaient mieux que Noé et moi ? Pourquoi les faisaient-ils passer en priorité ? Les moments père-fille se sont faits de plus en plus rares, jusqu'au jour où c'est moi qui ai décidé de couper les ponts. En grandissant, j'ai compris à quel point il était minable. Ma mère a fait de son mieux pour nous élever correctement. Elle a enchaîné plusieurs boulots, des gardes à rallonge alors que lui, il était même pas foutu de nous donner un peu d'attention. Je lui en veux tellement, Mathieu... Il n'avait pas le droit de nous abandonner sous prétexte qu'il était amoureux. On était si proche... Noé est moins impacté car il était petit mais moi, je me souviens de tout. Des bons moments, comme des mauvais. Et là, monsieur essaie de me recontacter pour me souhaiter un joyeux anniversaire ? Il essaie quoi ? De se donner bonne conscience ? Désolée mais ça ne prend pas avec moi.

Mes yeux sont remplis de larmes tandis que Mathieu m'observe, silencieux.

- Voila, tu sais tout...
- Je suis désolé.
- De quoi ? C'est pas ta faute si mon père est un con de première, si ?

Je souris de façon à détendre l'atmosphère. Certes, mon père est un sujet sensible mais ce n'est pas pour autant que je vais le laisser me pourrir la vie.

- Alors tu m'en veux pas ?
- T'es sérieuse là ?

Je baisse légèrement la tête, honteuse, quand celui-ci vient la relever à l'aide de son index.

- Ton père est un con, il sait pas ce qu'il rate.

Sa réplique me fait sourire. Je viens embrasser ses lèvres en guise de remerciement. Ses paroles me font du bien.

- Ah vous êtes là ? nous interrompent Ilyès. Anis veut faire une partie de pétanque, ça vous dit ?
- De la pétanque ? répété-je, enthousiaste. Pourquoi pas ?
- Si madame est OK, je le suis aussi.
- Ah la la ! L'amour ça fait cramer des têtes ici.
- Sois pas jaloux, Ilyès, le taquiné-je.
- T'as pas une copine à me présenter ? Sérieusement ?
- Tu perds pas le nord toi ! rétorque Mathieu, amusé.
- Tu me connais, mon reuf, on est là.

C'est sur ces paroles que nous rejoignons le reste du groupe devant la maison pour une partie de pétanque improvisée. Parler à Mathieu m'a fait beaucoup de bien. Je sens que notre relation devient de plus en plus forte et ça, ça ne pouvait pas me rendre plus heureuse.

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant