IX - UN PEU DE HAINE

2.1K 93 63
                                    

Chapitre 29

Vendredi 1er août 2020

Après avoir vérifié que la totalité de mon meuble soit imprégnée de décapant, je me redresse, satisfaite. Quoi de mieux pour se changer les idées que de redonner vie à une vieille table de chevet ? Ma première étape étant terminée, je traverse le séjour pour aller nettoyer mon matériel dans la cuisine. J'ouvre le placard sous l'évier, empoigne la bouteille de white spirit et verse un peu de liquide dans un verre pour y tremper mon pinceau. Ni une ni deux, le produit se détache aussitôt, de quoi me faciliter la tâche. Concentrée, je rince mes bibelots lorsque ma playlist qui tourne en fond depuis plus d'une heure bascule sur un son inattendu :

« T'as cassé le cœur,bébé,t'as cassé lecœur.
T'as cassé le cœur, bébé, t'ascassé le cœur.
Quand parler, c'est fini, ça pique la gorge comme les pili-pilis.
J'ai fouillé, j'ai trouvé, y avait la surprise comme dans Happy Meal »

Je reconnais immédiatement les paroles de « Meilleur Cauchemar ». Je tends mon bras et ne perds pas une seule seconde pour saisir mon téléphone qui se trouve sur le plan de travail afin de couper la musique. Je soupire, réalisant que la situation me fait toujours aussi mal.

Deux jours se sont écoulés depuis notre altercation. Dire que mon moral rayonne serait mentir. J'ai l'impression d'avoir perdu une partie de moi. Mes mots peuvent paraître lourds de sens mais pourtant, c'est ce que je ressens. La scène se répète en boucle dans ma tête et j'ai l'étrange sensation que cette fois-ci, tout est différent. Sa réaction, son attitude, sans oublier son self-control. Depuis quand Mathieu reste aussi calme ? J'ai du mal à comprendre. Au fond, si j'avais réellement quelque chose à me reprocher, j'aurais sans doute réitéré sans me poser la moindre petite question, mais là, il y a des limites. Ma fierté ne cèdera pas. J'ai beau réfléchir à une solution, j'en reviens toujours à la même conclusion : ce n'est pas à moi de faire le premier pas.

Je rince mon pinceau à l'eau claire et le sèche à l'aide d'un torchon avant de le placer sur l'égouttoir. Il est vingt-et-une heures et je n'ai toujours pas mangé. Toutes ces histoires m'ont clairement coupé l'appétit. Désespérée, je marche vers le canapé quand une personne frappe soudainement à la porte. Intriguée, je m'avance doucement jusqu'à celle-ci dans le but de regarder à travers le Judas optique. Mes yeux s'écarquillent dans la foulée. Merde, Sacha ! Depuis notre conversation téléphonique, mercredi, je ne lui ai pas donné de nouvelles. Bien qu'il ait essayé de me contacter à plusieurs reprises... Hésitante, je me résigne à lui ouvrir. Après tout, je ne vais pas l'éviter pour le reste de ma vie.

Lorsque j'ouvre la porte, un sourire de gêne s'empare de mon visage. Mon voisin m'analyse de haut en bas en prenant la parole :

- Sybille Vasilis se terre dans sa grotte ?
- Pardon, j'ai été très occupée ces derniers jours...
- J'ai vraiment cru que tu m'évitais, annonce-t-il, d'un ton léger.
- Non, j'avais juste envie de me retrouver un peu seule.
- On a tous nos petites phases, dit-il compréhensif. Je peux rentrer ?
- Euh...Oui, bien sûr ! bafouillé-je.

Je me pousse légèrement de manière à le laisser passer et referme l'accès derrière lui. Pour le mettre à l'aise, je lui propose à boire, ce qu'il accepte. Je sors alors une bouteille de thé glacé du frigo pour lui en servir un verre.

- T'as une petite mine, remarque-t-il en ramenant sa boisson à ses lèvres.
- Je suis un peu fatiguée...
- C'est la fatigue, t'es sûre ?

Je l'observe pleine d'incompréhension quand il poursuit :

- Je ne veux pas paraître intrusif mais tout ça n'aurait pas un rapport avec ce qu'il s'est passé l'autre jour ?
- Disons que cette histoire a eu quelques répercussions, effectivement.
- Quel genre de répercussions ? D'ailleurs, c'était qui ce type Sybille ?
-  C'est compliqué.
-  Compliqué ? répète-t-il. Excuse-moi d'insister mais ce gars ressemblait comme deux gouttes d'eau au rappeur PLK, ce qui est tout de même étrange puisque ce dernier vit lui aussi à Clamart. Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
- Qu'est-ce que ça change ?
- Donc c'était vraiment lui ?

J'acquiesce d'un simple geste de la tête.

- Mais non ? lance-t-il, ahuri. C'est qui pour toi ? Un pote ? Un cousin ? T'aurais dû me le présenter, on aurait pu faire des soirées ensemble et...
- Mathieu est mon ex, le coupé-je dans son euphorie.
- Attends... Quoi ? reprend-il, sonné. Le garçon avec qui tu étais avant de partir en Australie, c'est lui ?
- Oui.
- Bordel, c'est fou ! Du coup, il est venu chez toi pour te ramener des affaires ? prolonge-t-il d'un ton léger, comme pour me mettre à l'aise.
- On devait discuter.
- Discuter ? J'ai du mal à suivre, vous êtes toujours en contact ?
- Oui, on s'est revus au barbecue de Léa et depuis les choses ont évolué entre nous. On s'est plus ou moins rendu compte qu'on tenait toujours l'un à l'autre et... en Corse, on s'est rapprochés.
- Rapprochés ? C'est-à-dire ? me questionne-t-il, curieux.
- On s'est embrassés. On était plutôt proches, mais le fait qu'il te voie chez moi en serviette de bain a clairement tout remis en question. Il pense que toi et moi, on a déjà, enfin, tu vois ? grimacé-je.
- Donc tu batifoles avec lui depuis plusieurs semaines ?
- Disons qu'on se tourne autour, oui.

Du dépit se lit sur le visage de Sacha. Il ramène la main à son visage, pensif, avant de reprendre :

- Donc tu m'as menti ?
- Quoi ? rétorqué-je, médusée. Mais pas du tout !
- Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?
- Il s'agit de ma vie amoureuse, Sacha, je n'ai pas envie de la crier sur tous les toits !
- Je suis tous les toits ? Vraiment ?
- Arrête, ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit !
- Et pour nous, tu lui as dit quoi ?
- La vérité, qu'on était amis et que ça s'arrêtait là. Nous deux c'est impensable et j'espère qu'il finira par le comprendre.
- Impensable, carrément ? répète-t-il, vexé.

Mon voisin se braque et son comportement commence sérieusement à me mettre mal à l'aise.

- J'ai dit quelque chose ?
- Désolé de ne pas être assez bien pour toi.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? J'ai jamais dit ça !
- Tu sais très bien que tu es plus qu'une amie pour moi alors pourquoi tu me balances ça sans filtre ?

Je le fixe, stupéfaite. À ce moment précis tout devient confus, pourtant en y réfléchissant deux minutes, ses paroles prennent du sens. Merde.

- Je... Je suis désolée, bégayé-je. Je ne voulais pas paraître désobligeante, pour moi nous sommes amis et... Je ne voulais pas te blesser, ce n'était pas mon but.
- Faut croire que les rappeurs ont plus d'avantages.
- Pardon ? rétorqué-je, sèchement.
- T'as très bien entendu !
- Tu crois que je suis sortie avec lui pour sa notoriété ? C'est une blague ? Tu devrais partir de chez moi avant que mes mots dépassent ma pensée !
- Sybille, je... C'est pas ce que je voulais dire, se rattrape-t-il, confus. Excuse-moi.
- Je le répéterai pas une troisième fois, Sacha, sors de cet appartement !

Je l'escorte jusqu'à la sortie et claque la porte derrière lui. Je n'arrive pas à croire qu'il ait osé me dire ça. C'est la goutte de trop ! Je me laisse glisser le long de la paroi et viens enfouir ma tête entre mes mains. Les larmes refont surface. Décidément, le sort s'acharne...

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant