IX - UN PEU DE HAINE

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Chapitre 31

Mathieu

Vendredi 14 août 2020

C'est officiel, cela fait un peu plus d'une semaine que le nouvel album a été annoncé. « Enna » est en précommande, il sortira le 28 août 2020. Il s'agit là de mon projet le plus personnel. J'ai fait une centaine de maquettes pour retenir seulement dix-huit titres. Je n'ai pas compté mes heures. On a énormément travaillé avec mes équipes pour aller jusqu'au bout de mes idées et j'ai hâte de partager ça avec les gens qui me suivent. J'espère que le public sera au rendez-vous, qu'il appréciera mon second album comme il se doit.

J'ai beau être surexcité à l'idée de me lancer dans l'aventure Enna. Une partie de moi a du mal à se réjouir de toute cette folie. Peut-être, car mes pensées sont ailleurs... Dans ce projet, j'aborde un tas de sujets divers. Je me livre davantage sur mes sentiments, sur ma vie, tout en gardant une certaine distance, toujours. J'ai écrit le titre « Mamie » pour ma grand-mère. Un morceau dont elle ignore encore l'existence mais qui risque de la faire sourire, du moins je l'espère. L'amour que je lui porte n'a pas de limites. Je la considère comme mon pilier. J'avais besoin de lui dire ce qu'elle représente pour moi. Les déclarations entre quatre yeux, ce n'est pas mon truc, j'ai préféré, comme à mon habitude, en faire un son. C'est ma façon à moi de m'exprimer et j'en suis plutôt fier.

Ma grand-mère n'est pas la seule à m'avoir inspiré. Sybille a eu une grande place dans ma tête ces dernières années. Dans « Mental », j'ai commencé à en parler, à me livrer. Cette mixtape était pour moi une parenthèse dans laquelle je pouvais me permettre de divaguer. Au final pour « Enna », je me suis aperçu que j'avais encore beaucoup de choses à dire et que j'avais besoin d'évacuer tout ça. Elle était toujours là malgré tout. Son retour m'a beaucoup chamboulé mais ça m'a aussi fait comprendre où j'en étais. Sybille n'est pas une ex que j'ai du mal à oublier, non, c'est LA fille. Celle qui vous marque, celle qui vous plonge dans un état fou, celle avec qui vous vous projetez et ça, ça mérite une seconde chance.

C'est avec un sac poubelle à la main que je descends les escaliers pour rejoindre l'extérieur du bâtiment. J'ai passé une bonne partie de l'après-midi à ranger l'appartement. Ma grand-mère rentre dans quelques heures de son séjour entre amies et je ne voulais pas lui provoquer une syncope avec tout ce bordel. Entre la vaisselle dans l'évier, mes affaires éparpillées un peu partout dans le salon, les serviettes en boule dans la salle de bains, la panière à linge qui déborde, je me devais de rétablir un peu d'ordre, c'est la moindre des choses. Habituellement, je suis un garçon ordonné, mais entre la sortie de l'album et ma déprime passagère, il y a eu un peu de laissé aller.

Ce qui s'est passé avec Sybille il y a deux semaines m'a mis un sacré coup au moral. Je sais que ma réaction n'a pas été exemplaire. Voir ce gars, inconnu, dans son appartement m'a fait un électrochoc. Ce n'était pas le type en serviette le problème, car je connais Sybille et je lui fais suffisamment confiance pour savoir qu'elle ne m'aurait pas trahi de la sorte. C'est tout le reste.  Ça m'a rappelé qu'elle s'était absentée plus de deux ans et qu'il avait dû s'en passer des choses dans sa vie. Avait-elle couché avec d'autres hommes ? Avait-elle ressenti ce qu'elle avait ressenti pour moi ? Au fond, je ne sais strictement rien sur sa vie en Australie et c'est en partie de ma faute. Je n'ai jamais évoqué le sujet, sans doute par peur de découvrir la vérité. Quand elle est venue devant chez moi pour discuter, je me suis braqué. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas mon mot à dire, nous n'étions plus ensemble mais ce n'est pas pour autant que ça ne me fait pas cogiter.

Je pousse la porte de mon immeuble, marche jusqu'au conteneur et balance cette foutu poubelle dans la foulée. Alors que je m'apprête à faire le chemin inverse, une voix féminine m'interrompt dans ma lancée :

- Mathieu Pruski.

Je tourne la tête, réalisant que la voix m'est étrangement familière avant d'écarquille les yeux, surpris :

- Nour ?
- En chair et en os !
- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je pourrais te retourner la question, dit-elle en croisant les bras.
- J'habite ici, lancé-je, plein d'incompréhension.

Elle m'observe de haut en bas, sérieuse. Essayerait-elle de me déstabiliser ?

- Ma source était bonne ! dit-elle fièrement. Tout le monde te connaît mais personne ne sait où te trouver, c'est dingue ?
- J'ai ma garde rapprochée mais faut croire que tu as su les amadouer.
- Impressionné ?
- Plutôt, oui ! Qu'est-ce qui t'amène ?
- Tu oses me poser la question ? lance-t-elle, d'un ton condescendant.

Je la fixe, perplexe, sachant pertinemment ce qui m'attend.

- Tu sais très bien qu'elle n'a rien fait avec Sacha, alors pourquoi jouer les abrutis, Mathieu ? reprend-elle, d'un ton sec.
- J'ai pas d'explications.
- À d'autres, PLK, dit-elle en levant les yeux au ciel. Tu sais très bien qu'elle est incapable de regarder un autre homme que toi. Surtout après ce qu'il s'est passé en Corse !
- Elle t'en a parlé ? demandé-je, intéressé.
- Évidemment ! 
- Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? insisté-je, curieux.
- Elle n'a pas eu besoin de me dire grand-chose, son regard, son sourire niais et ses rêveries ont clairement parlé pour elle. Je n'ai pas besoin de plus pour savoir qu'elle t'aime sincèrement. Alors qu'est-ce qui t'a pris ? Tu hésites ? C'est ça ?
- Non, bien sûr que non ! Je sais, j'aurais dû réagir différemment mais voir ce type chez elle m'a fait réaliser qu'on avait pas assez discuté elle et moi.
- Tu fais allusion à l'Australie ? me questionne-t-elle, prise d'un doute.
- Ouais...
- Laisse-moi deviner, tu as peur de découvrir des choses désagréables ?

Je me contente de hocher la tête en guise de réponse positive.

- Et elle, tu penses pas qu'elle a peur de découvrir des choses désagréables ? PLK le rappeur qui fait tomber toutes les minettes ? Sérieusement, Mathieu ? Fais-lui confiance ! Abordez le sujet qu'on en finisse une bonne fois pour toutes ! Si vous voulez repartir sur de bonnes bases, c'est la seule solution.
- Ouais, je sais..., avoué-je en passant la main dans mes cheveux, confus. Comment va-t-elle ?
- Elle a été mal mais tu me connais, j'ai pris les choses en main.
- Merci d'être là pour elle, dis-je, sincère.
- Tu n'as pas à me remercier, il faut que juste que tu agisses en conséquence.
- Qu'est-ce que je suis censé faire ? Elle doit m'en vouloir à mort...
- Tu me demandes des conseils ? Tu crois pas que j'ai autre chose à faire la veille de mon mariage ?
- Attends, quoi, bafouillé-je. C'est demain ?
- Oui et Sybille aura sûrement besoin d'un cavalier, alors si j'étais toi je commencerais à chercher une tenue pour la cérémonie.
-  Nour, je... Ne te sens pas obligée.
- Je t'inviterais pas à mon mariage si je ne t'appréciais pas. Sybille et toi c'est une évidence alors par pitié, Mathieu, prends les choses en main. Je t'envoie toutes les informations nécessaires sur ton compte Instagram. Je compte sur toi !

J'acquiesce d'un mouvement de tête, reconnaissant de voir à quel point Nour m'aide à arranger les choses. Elle me tourne les talons, et ni une ni deux, j'empoigne mon téléphone afin d'appeler Léa à la rescousse.

- Allô ? décroche-t-elle.
- T'es chez toi ?
- Oui, pourqu...
- Je passe te prendre ! la coupé-je. J'ai besoin de toi ! Il faut à tout prix que tu m'aides à trouver un costume. C'est urgent !

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant