ALL NIGHT - PLK

VI - DINGUE

Chapitre 15

Mathieu

Mercredi 8 juillet 2020

Ma voiture garée dans l'allée, je retire les clés du contact. Je tends ma main sur le siège passager pour y empoigner mon téléphone, lorsque plusieurs messages s'affichent sur l'écran. J'en profite pour répondre, mais ignore volontairement l'un d'entre eux avant de sortir du véhicule. Mon Audi contournée, j'ouvre le coffre pour y récupérer les deux cartons de pizzas et la bouteille de vin rouge achetée pour l'occasion.

Ce soir, Léa nous accueille chez elle pour une soirée entre potes. Une invitation de dernière minute qui nous permet de nous retrouver entre nous. Les kho, de la pizza, un peu d'alcool et surtout, de la rigolade, tout ce qu'on aime. Ces quatre derniers jours ont été très chargés pour moi. Entre mon entrevue avec Booska-P et la préparation de mon retour, j'ai pas arrêté. Alors cette petite pause ne peut que me faire du bien.

Je pousse le portillon, traverse la cour et monte les quelques marches qui me séparent de l'entrée. Je toc à la porte quand Léa ne tarde pas à venir m'ouvrir. Elle porte un short de sport et une brassière de couleur beige. Comme à son habitude, même en tenue décontractée, mon amie est toujours tirée à quatre épingles.

- Mathieu, ponctuel ? Ça pour une surprise ! me charrie-t-elle.
- Tu dis ça comme si j'étais toujours en retard.
- Quoi ? C'est pas la vérité peut-être ?
- Je fais des progrès ! La preuve, je suis le premier, non ?
- Exact, Ilyès et Anis sont encore en ville d'après ce que j'ai compris.
- Et Less ?
- Il compte passer ? Je suis pas au courant, dit-elle en levant les yeux au ciel tout en se décalant légèrement pour me laisser entrer.
- La communication est fluide dans ce groupe, c'est bien ça.

Mon ironie la fait sourire. Elle referme la porte derrière moi tandis que je m'avance jusqu'à la cuisine pour y déposer mes achats. Léa me remercie et m'invite à prendre place sur la terrasse. Elle me propose à boire. Je préfère commencer doucement et lui demande un soda, ce qu'elle m'amène dans la foulée.

Installés dans le salon de jardin, Léa s'empresse de faire le point sur ma musique. Mon son « C'est mort » sort demain sur les plateformes et le clip arrive vendredi. De quoi me rendre à la fois nerveux et surexcité.

- Assez parlé de moi, ma reuss. Et toi alors ?

Ça fait un bail que je me suis pas entretenu seule à seul avec mon amie. J'en profite donc pour en savoir un peu plus sur elle, sur sa vie en ce moment. Je suis soulagé d'apprendre qu'elle est enfin en vacances. La pause d'été va lui faire du bien, même si elle compte pas mal réviser. La discussion tourne beaucoup autour de ses cours mais le vrai questionnement n'est pas là. L'une des dernières fois où on s'est vu c'était pour notre repas à « Oui, chef ! » et ce soir-là, elle n'était pas dans son assiette.

- Et avec Less ?
- Quoi avec Less ? répète-t-elle, étonnée.
- Ah, tu vas faire comme si tout était normal ? Très bien, dis-je simplement en levant légèrement les mains en guise de rétractation.

Elle me regarde en esquissant un infime sourire. Elle sait très bien que son comportement de la dernière fois n'est pas passé inaperçu.

- C'est compliqué... Je sais pas si c'est une bonne idée. De plus, il y a cette fille, Emma.
- Donc tu lui laisses le rinté ?
- J'ai pas dit ça. J'ai pas envie de passer pour la fille jalouse qui veut à tout prix remettre la main sur son ex. J'ai l'impression que Marcel ne réagit pas. Je pense qu'il a tourné la page.
- J'en suis pas si sûr. Tu le connais, devant ses potes il fait toujours le mec. En plus de ça, c'est toi qui as initié la séparation de base, peut-être qu'il cherche juste à te faire galérer ?
- Ouais, peut-être...

Léa ramène sa boisson à ses lèvres, pensive, quand elle change brusquement de sujet.

- Bref ! Et toi ? Avec Sybille ? Comment ça se passe ?
- C'est moi ou tu essaies de détourner la conversation ?
- Je pourrais te retourner la question, sourit-elle, satisfaite.
- Il y a rien à dire de plus. Le dépannage du scooter s'est bien passé, si c'est ce que tu veux savoir.
- Top ! Après tout, elle avait besoin d'un pro, c'est pas moi qui aurais pu l'aider, m'explique-t-elle, d'un clin d'œil.
- Ça c'est sûr !
- Je suis contente de vous voir en bons termes.
- Ouais...

Un sourire forcé se dessine sur mon visage quand j'aperçois de nouveaux messages sur mon écran. Je laisse échapper un souffle d'agacement avant d'effacer les notifications.

- Un problème ?
- Non, t'inquiète.
- Mathieu...
- Y a rien. C'est une fille que j'ai fréquentée vite fait, elle m'envoie des messages. Elle est un peu trop sur mes côtes en ce moment.
- Un plan cul ? demande-t-elle, sans filtre.
- Plus ou moins.
- Le Polak s'en est lassé ?
- C'est juste que j'ai pas la tête à ça en ce moment.
- Sybille ?
- Qu... Quoi ? bafouillé-je. Ma vie ne tourne pas autour d'elle, Léa.
- Excuse ! D'ailleurs, puisque ta vie ne tourne pas autour d'elle mais que tu l'apprécies un minium, j'ai pensé à quelque chose, mais je voulais t'en parler avant de prendre une décision.

Je fixe mon amie, intrigué sur ce qu'elle s'apprête à m'annoncer, quand elle poursuit :

- Tu sais qu'on part bientôt en Corse et... et je me suis dit qu'on aurait pu proposer à Sybille ?
- À Sybille ? Mon ex ? La fille avec qui je suis séparé depuis bientôt trois ans ? la questionné-je, perplexe.

Elle se décompose brusquement avant de reprendre, mal à l'aise :

- Si ça te gêne, je comprends totalement, et puis merde, c'était maladroit de ma part, j'aurais pas dû, Mathieu. Excuse-moi.

Je l'observe un instant, amusé de sa gêne, et enchaîne calmement :

- Tu peux lui proposer.
- Quoi ? Mais tu...
- T'aurais vu ta tête ! la coupé-je, en imitant son regard.
- Alors toi ! dit-elle en me lançant un coussin. T'es sûr que ça ne t'ennuie pas ?
- C'est peut-être bizarre dit comme ça mais non, ça me dérange pas. Propose-lui, elle sera sûrement heureuse de nous accompagner.
- De nous accompagner ou de se retrouver avec toi ?
- Qu'est-ce que tu racontes, Agostini ?

Un sourire malicieux s'empare de son visage quand Anis et Ilyès débarquent enfin. Ils nous saluent avant de se joindre à nous. Lea s'empresse de faire le point avec les nouveaux venus.

- Mathieu est d'accord pour qu'on propose à Sybille de nous accompagner en Corse.
- T'as dit ça, genre ça nous étonne, s'amuse Ilyès.
- C'était prévisible, non ? me consulte Anis.
- Prévisible de quoi, frérot ? On s'entend bien, rien de plus.
- J'ai parlé d'un plus ?
- Vas-y, tu cherches les embrouilles toi aussi, conclus-je, honteux, pris au piège.
- On dit juste que ça reste Sybille, c'est tout. Nous aussi on serait ravis si elle acceptait de venir avec nous.
- Donc vous étiez au courant ?
- Évidemment !
- Et pour info, je suis pas « ravi », c'est juste que je n'y vois pas d'inconvénient, OK ? Embêtez plutôt votre pote là. Less vient toujours ?
- Bien sûr qu'il vient ! Je lui ai dit que s'il venait pas, Léa aller sûrement inviter un mec de sa classe, annonce Ilyès.
- T'as fait quoi ? intervient la principale concernée, surprise.
- T'aurais vu sa tête, il m'a dit direct : « À quel moment j'ai dit que je venais pas à Coti Chiavari
? Bien sûr que je serai là ! »
- Vous êtes épuisants à vous tourner autour comme ça. Vous allez vous rendre fous mutuellement.

La réplique d'Anis me fait sourire et je ne suis pas le seul. Mon attention se pose sur Léa qui fait son possible pour ne pas extérioriser sa joie. Lesram ? Jaloux ? Ilyes a toujours su jouer les bonnes cartes, il est doué pour ça. Prêcher le faux pour savoir le vrai, la technique est infaillible. En revanche, en ce qui concerne Sybille et nos vacances en Corse, je suis partagé. Ça fait des mois que je me bats pour tourner la page et voilà qu'elle réapparaît. Il est vrai que la situation ne me laisse pas indifférent... Va-t-elle accepter de nous accompagner ? Possible, mais pour l'instant, je ne préfère pas y penser.