V - IDIOTE

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Chapitre 13

Mathieu

Samedi 4 juillet 2020

Quand mon téléphone a sonné il y a une heure, j'étais dans ma chambre en train d'enregistrer des toplines. Pour être bref, cela consiste à chercher un texte et une mélodie sur une instru ou un beat déjà existant. Une tâche que je réitère chaque semaine. Parfois, il m'arrive d'être moins productif, comme aujourd'hui. Dans ce cas, je n'insiste pas et m'impose un break de quelques heures. Mettre la musique de côté et se changer les idées, pour revenir plus bouillant que jamais ! Voilà mon processus. Évidemment, c'était sans compter l'appel de Léa. Sa demande m'a surpris mais elle ne m'a pas rebuté pour autant. Mon amie aurait-elle sauté sur les circonstances pour y trouver une opportunité ? Peu importe, ça ne change rien. Elle n'a pas eu besoin de me convaincre, j'ai très vite accepté.

Les yeux rivés sur la route, je prends la direction du garage. Je suis sûr de moi, le dysfonctionnement provient des bougies. Pour une personne novice en mécanique, cela peut paraître compliqué, pourtant c'est tout le contraire. Mon regard se pose discrètement sur mon ex-copine. Elle n'a pas dit un seul mot depuis notre départ de la laverie. Elle semble mal à l'aise et je la comprends. D'après moi, le destin force un peu trop les choses, mais bon, loin de moi l'idée de me plaindre.

- Honnêtement, je pensais pas que tu l'aurais gardé, dis-je en faisant référence à l'ours en peluche, assis entre nous deux.
- Pourquoi, je m'en serais débarrassé ?
- Je sais pas, il représente une étape important de notre relation.
- C'est vrai, mais j'y suis très attachée, avoue-t-elle.

J'actionne mon clignotant, satisfait, et m'engage sur le chemin de terre. Un panneau publicitaire se fait remarquer. Sybille tique quelques secondes avant de réaliser où nous sommes. Enjouée, elle renchérit aussitôt :

- Attends, mais on est au... Mais non ? J'hallucine ! constate-t-elle, stupéfaite. Tu t'en souviens ? C'est ici qu'on s'est revu pour la deuxième fois !
- Ouais, je m'en souviens très bien.
- Heureusement qu'il a plu ce jour-là ! Tu imagines si j'avais refusé de monter ? On aurait pas fait connaissance et tu m'aurais jamais offert ces places de concert.
- J'aurais trouvé une autre solution.
- Quoi ? Je te faisais tant d'effet que ça ?
- C'est pas ce que j'ai dit.
- Alors pourquoi prétendre à une autre alternative ?

Elle me fixe un instant. Le petit sourire qu'elle arbore me fait toujours autant d'effet mais je ne laisse rien transparaître. Je me contente de hausser les épaules, simplement. Si elle s'attendait à ce que j'approfondisse davantage, c'est raté ! Je ne lui ferai pas ce plaisir.

Le véhicule à l'arrêt, je retire les clés du contact et demande à Sybille de me suivre, ce qu'elle accepte de bon gré. Ce garage, je le connais comme ma poche. C'est ici que j'ai travaillé durant des mois. Marc, le patron, est une personne que j'apprécie sincèrement, il m'a beaucoup appris et je lui en suis très reconnaissant. Tout à l'heure, je lui ai passé un coup de fil pour le prévenir de mon arrivée et c'est sans surprise qu'il était ravi de m'accueillir.

- Mais c'est qu'il est continuellement en train de bosser ce Marco Paneleti ! lancé-je d'un ton léger.

À l'entente de ma voix, ce dernier relève légèrement la tête. Il me sourit et prend appui à l'aide de ses bras pour extraire son chariot de visite, qui se trouve sous le véhicule.

- Le travail, c'est l'argent, tu le sais ! s'amuse-t-il. Comment vas-tu, mon garçon ?
- Ça va, et toi ?
- Si je suis là, c'est que tout va bien, dit-il en attrapant un chiffon pour s'essuyer les mains. Alors comme ça, tu veux trifouiller un Vespa ?
- Ouais, j'ai besoin de changer la bougie, t'as ça en stock ?
- Sûrement, oui ! Regarde dans la réserve, à côté du grand meuble en fer. Tu verras y'a une caisse, normalement les pièces sont étiquetées.
- OK, super !
- C'est pour ton amie ? demande-t-il, sans se souvenir de qui elle est.
- À ton avis ? dis-je d'un clin d'œil.
- Ah là là ! Toujours aussi séducteur ce petit !

Sybille, en retrait, se met à sourire et Marc, l'homme le plus sociable que je connaisse, saute sur l'occasion pour discuter avec elle. Je profite de ce battement pour aller dans la réserve chercher la pièce en question ainsi que quelques outils. À mon retour, je fais signe à Marco que tout est bon pour moi. Je rejoins donc le scooter, suivi de près par sa propriétaire.

Les portes arrière de l'utilitaire ouvertes, je m'empresse d'y déposer une planche pour y faire descendre le deux-roues.

- Au fait, d'où tu sors ce fourgon ? demande-t-elle, curieuse.
- Je l'ai emprunté à un ami. Ton Vespa dans le RS4, ça aurait été compliqué.

Je retire mon t-shirt et viens ouvrir le boîtier pour y changer la bougie. Je sens le regard de Sybille se poser sur moi, ce qui me fait sourire intérieurement.

- C'est moi ou tu me mattes là ? dis-je concentré, les mains dans le cambouis.
- Qu... Quoi ? bafouille-t-elle, mal à l'aise. Pas du tout, j'observe juste ta technique, rien d'autre.
- Mouais, rétorqué-je, sans la moindre conviction.
- Tu me crois pas ?
- Tu trouves pas que j'ai pris en muscle ?
- Si mais...

Elle n'a pas le temps de finir sa phrase qu'elle réalise son erreur. Sa main droite vient immédiatement se claquer sur sa bouche, honteuse.

- T'es cramée, Vasilis !
- C'est pas ce que tu crois !
- Quoi ? T'as le droit de te rincer l'œil, c'est humain !
- Je ne rentrerai pas dans ton jeu.
- Quel jeu ? C'est juste une constatation.

Fier de moi, je souris avant de me repencher sur la mécanique. J'enlève l'antiparasite qui est sur la bougie d'allumage. Il s'agit d'un coude en plastique noir avec un fil. Je les tire pour les débrancher. Je donne un petit coup de nettoyage à l'aide d'un souffleur afin d'éviter que les saletés arrivent dans la chambre du cylindre lorsque je remarque qu'elle est coincée. Pas de panique, je prends un peu de dégrippant, ce qui fait amplement l'affaire. La bougie extraite, je visse la nouvelle en faisant gaffe à être bien vertical dans le filetage de la culasse. Je termine l'opération avec une clé dynamométrique.

- Voilà, tout est OK.
- Quoi ? Déjà ? s'étonne-t-elle.
- Changer une bougie, c'est l'un des trucs les plus simples.
- Peut-être mais j'en aurais été incapable. Je sais vraiment pas comment te remercier.
- C'est pas grand-chose, t'inquiète.
- Combien je te dois ?
- Rien, c'est pour moi !
- Tu plaisantes, j'espère ?
- On est pas à vingt euros près, je m'arrangerai avec Marco, t'en fais pas pour ça.
- Il en est hors de question ! râle-t-elle. Tu m'as déjà rendu un immense service en me changeant la pièce. Je ne peux pas accepter !
- Je t'ai dit de laisser tomber, Sybille.
- Mathieu...

Elle prend un air agacé, ce qui la rend d'autant plus attirante.

- T'essaies de m'intimider là ? Toi ? La fille qui se trimbale avec un nounours géant ?

Son sourire s'élargit malgré elle, elle ne peut s'empêcher de venir taper légèrement mon bras en guise de mécontentement.

- T'es toujours aussi têtu !
- C'est toi qui parles ?
- Laisse-moi au moins t'inviter à dîner pour te remercier. Ça me gêne, vraiment !
- Ce soir ?
- Oui, pourquoi pas ?
- Désolé, mais Leto a été plus rapide que toi.
- Leto ? répète-t-elle, perplexe.
- Tu connais pas Leto ? C'est un rappeur. On mange ensemble ce soir. On feat bientôt et on doit discuter.
- Oh... Je vois.
- Une prochaine fois ?
- D'accord mais tu n'y échapperas pas, Pruski ! J'ai ton numéro maintenant ! précise-t-elle crânement.

J'acquiesce quand elle atteint l'utilitaire pour récupérer Teddy Polak. Elle sort la cordelette de son sac et l'attache contre elle. La scène est un peu surréaliste mais je trouve ça attendrissant. Si on m'avait dit que j'assisterais à ça, trois ans en arrière, je n'y aurais jamais cru, c'est certain !

- Bon, je vais y aller, annonce-t-elle.
- Fais attention sur la route.
- Promis.

Elle salue Marco au loin et me remercie une nouvelle fois avant de démarrer. Je récupère un chiffon pour essuyer mes mains et la regarde s'éloigner, perplexe.

On pourra dire que j'ai fait ma bonne action de la journée...

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant