IV - PAS LES MÊMES

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Chapitre 10

Mathieu

Lundi 29 juin 2020

En grandissant, j'ai compris qu'il était important de ne pas prendre certaines situations trop à cœur, parfois cela nous mène sur un chemin sinueux et nous devenons aussitôt vulnérables. Très jeune, j'ai su me forger une carapace, cette carapace m'a aidé à devenir l'homme que je suis aujourd'hui. Avec du recul, l'indifférence a joué un rôle constant dans ma personnalité. En avoir trop peut être associé à la froideur, au mépris ou tout simplement à la négativité. Pourtant, c'est avant tout être ouvert, accueillant et réceptif. Faire des trucs indépendamment, sans rien attendre en retour. Ne pas se soucier des autres, un point c'est tout. C'est une sorte de bouclier. Avec le temps, on apprend à moins s'investir dans ce qu'il se passe autour de nous. Les émotions n'ont plus vraiment leur place ou, si elles surgissent, elles sont généralement superficielles et n'ont pas, ou très peu de répercutions réelles. Bien sûr, cela dépend des circonstances mais ça m'a évité de nombreuses déceptions, qu'elles soient amicales, familiales ou professionnelles.

Avant de rencontrer Sybille, je gérais plutôt bien l'indifférence. J'ignore pourquoi, mais cette fille a toujours eu un effet sur moi que je ne saurais expliquer. Son retour n'a évidemment pas arrangé les choses. J'ai beau faire comme si de rien n'était, la situation est très déstabilisante. Difficile de jouer le gars désintéressé quand elle se trouve à quelques mètres de moi. Je me contente donc d'appliquer l'un de mes autres talents : l'acting. Cependant, nos regards nous trahissent, heureusement pour nous, personne ne semble y prêter attention.

L'addition réglée, la bande n'est pas décidée à quitter les lieux. Appuyé contre le comptoir, je continue de discuter avec Abderahmane, mon ami et gérant des lieux. Ici, c'est un peu mon QG, ce qui ne passe pas inaperçu ; la certification de Polak trône dans la pièce principale pour le plus grand bonheur du chef. Alors que Léa est en train de parler avec Ormaz, sans doute pour lui soutirer des infos, je remarque Sybille sortir de l'établissement. Troublé, je commence à réfléchir et, pris d'un élan de je ne sais quelle connerie, je la suis à l'extérieur.

C'est naturellement que je passe la porte pour me retrouver sur le trottoir, face à la devanture du restaurant. Sérieusement ? Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Nerveux, je fouille dans ma sacoche et sors une clope. Sybille se tient à côté de moi dans sa jolie robe à carreaux, les yeux rivés sur son iPhone. Je l'ignore lorsqu'elle relève la tête. Elle m'observe un instant, je sens sa gêne à des kilomètres, pourtant, elle prend la parole :

- Je peux t'en prendre une ?
- Ouais, bien sûr.

Je reste de marbre et lui tends mon paquet. Elle accepte une cigarette, la positionne entre ses lèvres et c'est spontanément que je m'avance vers elle pour allumer cette dernière à l'aide d'un briquet.

- Alors comme ça, tu fumes ? demandé-je.
- Non, ça fait des mois que j'ai pas tiré une latte.
- Je me souviens qu'à l'époque, tu fumais uniquement quand t'étais stressée. 
- C'est toujours le cas.

Sa réponse me surprend. Soucieux, je poursuis sans réfléchir :

- T'es stressée là ?
- Ça t'étonne ?
- Un peu, ouais, dis-je simplement en tirant sur mon mégot. Si je te demande pourquoi c'est indiscret ?

Un sourire timide vient se dessiner sur son visage.

- À ton avis, qu'est-ce qui peut me rendre nerveuse ?
- Dis-moi.
- La situation actuelle. Nous, Léa et Lesram... J'ai... Enfin, j'ai l'impression que... C'est bizarre, non ? bafouille-t-elle.
- Je sais pas, j'y ai pas prêté attention.
- Menteur.
- Quoi ?
- Tes yeux t'ont trahi, Pruski.

Je hausse les sourcils et prends un air innocent qui, d'après moi, me rend d'autant plus coupable. Sybille le remarque et son sourire s'élargit. Je la fixe, pensif. Ça fait des années que je ne l'avais pas entendue prononcer mon nom de la sorte et aussi pathétique que cela puisse être, ça m'avait manqué.

- T'avais juste de la salade entre les dents, rétorqué-je pour contre-attaquer.
- Hey !

Je me retiens de rire, satisfait. Je tire de nouveau sur ma cigarette et reprends la conversation plus sérieusement :

- Léa réagit toujours au quart de tour quand elle voit Less avec une fille.
- Il sort avec Emma ?
- Non, c'est pas sérieux pour lui.
- Léa avait l'air mal...
- Elle ne sait pas ce qu'elle veut, ça aide pas.
- Pourtant, ça crève les yeux.
- Un coup c'est l'un, un coup c'est l'autre, ils se cherchent constamment.

Elle n'a pas le temps de répondre que la porte du restaurant s'ouvre brusquement. Aladin, Ilyès et Léa font leur apparition. Notre présence à l'extérieur attire immédiatement leur attention.

- Non mais je rêve, on leur tourne le dos cinq minutes et voilà qu'ils se cachent pour discuter, lâche Adrien.
- On est juste sorti prendre l'air.
- J'en doute pas, ma belle.

Le clin d'œil qu'il lui lance montre clairement qu'il n'en croit pas un mot.

- Ne l'écoute pas, il est relou, intervient Léa en levant les yeux au ciel.
- Dit-elle alors que mademoiselle tire la gueule depuis qu'Emma est arrivée.
- Je tire pas la gueule, nie-t-elle.
- Un peu quand même, renchérit Ilyès.
- Marcel est assez grand pour faire ses propres choix, ce qu'il fait avec elle ne me regarde pas, conclut-elle.

La porte s'ouvre une nouvelle fois, le reste du groupe nous rejoint, ce qui pousse Léa à annoncer son départ.

- Bon, je vous laisse.
- Déjà ? Tu viens pas avec nous chez Less ? la questionne Anis, étonné.
- Je ne pense pas que ma présence soit indispensable, si ?

Son sourire forcé montre clairement sa rancœur. Elle salue tout le monde d'un simple geste de la main et s'apprête à partir quand je l'attrape doucement par le bras.

- Tu m'envoies un message quand tu rentres ? dis-je discrètement à mon amie.

Elle hoche la tête et me dépose un bisou sur la joue avant de partir retrouver sa voiture.

- Sybille, tu viens avec nous ? l'interroge Lesram.
- C'est gentil mais... je vais rentrer.
- Et c'est pas la seule, annoncé-je. Je dois me lever tôt demain.
- Je vais les suivre, je suis K.O, lance Ormaz en baillant.
- Ah ouais, ça nous abandonne lâchement, râle Ilyès.
- Ça va ! On se revoit bientôt ! Hein, Sybille ? sourit Adrien.
- Avec plaisir !

Mon ex salue la bande à son tour avant de monter sur son Vespa. Elle enfile son casque sur ses cheveux blonds et démarre sans perdre de temps. Je ne peux m'empêcher de la regarder s'éloigner. Ormaz me donne un léger coup de coude, son sourire en dit long.

- Pas de commentaire, Moctar.
- T'inquiète, je suis une tombe, Polak.

Décidément, cette fille me fait toujours le même effet.

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant