XI - TOUT RECOMMENCER

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Chapitre 38

Mathieu

Vendredi 21 août 2020

Le diner récupéré, je démarre sans perdre de temps, direction le quartier de la Garenne. Ce soir, je consacre ma soirée à Sybille. Depuis notre officialisation, il y a cinq jours, j'enchaîne les interviews, les réunions chez Panenka et tout le processus lié à la sortie de mon nouvel album. J'ai donc décidé de prendre les choses en main pour lui accorder le temps qu'elle mérite. De plus, cette soirée, c'est peut-être l'occasion d'approfondir les non-dits du passé. Parler plus profondément de nous et repartir sur les meilleures bases possibles. Je sais qu'en abordant les sujets qui fâchent, la conversation pourrait prendre une tout autre tournure mais j'en ai besoin, on en a besoin. Je veux tout savoir et je veux qu'elle sache. Aucun secret. Il me semble que c'est ça la base d'un couple, non ?

Une fois sur place, j'empoigne le sac en kraft, verrouille mon Audi et marche jusqu'à l'entrée du bâtiment. Arrivé sur le palier, j'ai à peine le temps d'annoncer ma présence en appuyant sur la sonnette que la porte s'ouvre soudainement. Son sourire s'empare aussitôt de son visage, quant à ses yeux, ils me fixent avec un air dont je ne me lasserai jamais.

- J'ignorais que mon livreur aller être aussi séduisant.

Je me contente de sourire et viens embrasser ses lèvres avant de m'avancer dans le séjour. Je dépose le sac en kraft sur la table et commence à déballer le repas.

- Des sushis ? Tu lis dans mes pensées !
- Je me suis dit que ça te ferait plaisir.
- C'est réussi.

On s'attable rapidement afin de commencer à manger. Sybille me raconte brièvement sa journée. Elle m'explique qu'elle a mis plusieurs de ses meubles restaurés sur un site de vente entre particuliers et qu'elle a déjà quelques touches, de quoi la réjouir. Ma copine est douée et j'aime l'idée qu'elle s'épanouisse à travers ce passe-temps, qui pourrait peut-être, avec le temps, devenir plus que ça.

La discussion bifurque peu à peu sur mon album, elle me fait comprendre qu'elle a hâte d'écouter ce nouveau projet et je dois admettre que moi aussi, même si une partie de moi est toujours nerveuse à l'idée de partager de nouveaux morceaux. Alors qu'on échange sur le sujet, Sybille reçoit un message. Elle jette un coup d'œil à son écran sans trop d'implication lorsque son visage se décompose malgré elle. Elle fait mine de rien mais je ne peux m'empêcher de l'interrompre, intrigué :

- Tout va bien ?
- Oui, je viens de recevoir un message de Sacha, rien de très important.
- Sacha ? Le voisin du dessous ?
- Oui...
- Un problème ?
- Non. Enfin... J'en sais rien. On s'est disputés au début du mois et depuis, je préfère l'éviter.
- Tu veux en parler ?
- Ça t'intéresse ? demande-t-elle, étonnée.
- C'est quoi cette question ? Évidemment que ça m'intéresse, tout ce qui touche à toi m'intéresse, bébé.

Ses joues rougissent légèrement, touchée, avant de reprendre :

- Sacha est venu toquer chez moi, quelques jours après votre « rencontre ». Je lui avais jamais parlé de toi auparavant, tout simplement car j'aime avoir mon petit jardin secret. Il a rapidement compris qui tu étais, en même temps ce n'était pas très difficile, sourit-elle en levant les yeux au ciel. Il pensait qu'on était de simples amis. Sauf que quand je lui ai dit ce que tu représentais vraiment pour moi, il s'est emporté. Il comprenait pas pourquoi je lui en avais pas parlé. Et le pire dans tout ça, c'est quand je lui ai fait part de notre conversation. Tu sais, le moment où je t'ai dit qu'il n'était qu'un ami pour moi et que tu n'avais pas à t'inquiéter ? Là, les choses ont dérapé. Il a mal pris l'idée que je n'envisageais rien de plus avec lui. Il m'a fait comprendre que si j'étais avec toi c'était sans doute pour ta notoriété et c'est pour ça qu'il faisait pas le poids. C'est à ce moment précis que je lui ai demandé de sortir de chez moi et depuis, je préfère l'ignorer.

Je regarde attentivement mon poing se serrer discrètement. J'ai toujours dit que j'avais confiance en Sybille mais que je me méfiais des autres, et visiblement je n'avais pas totalement tort.

- Sacha est un gentil garçon, Mathieu. Il n'a jamais eu de gestes déplacés. Je crois qu'il a juste été blessé mais je lui en veux d'avoir pu penser ça de moi.
- T'essaies de me rassurer ?
- Je veux pas que tu te fasses de films.
- Ce type est un con, il a dû te dire ça sur le coup de la colère. Ça ne l'excuse en rien mais je suis mal placé pour juger ce genre d'action. En revanche, j'ai du mal à comprendre comment vous allez pouvoir continuer à vous fréquenter, sachant qu'il veut plus avec toi.
- C'est ce que je me dis aussi...
- Une discussion serait peut-être nécessaire.

Elle se met à sourire.

- Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?
- Merci d'être aussi patient, dit-elle en posant sa main sur la mienne. Je vois que tu prends sur toi.
- La maturité, lancé-je, d'un ton léger. Non plus sérieusement, s'il recommence, compte sur moi pour aller lui dire deux mots.
- Oui, chef !

Elle se contente de sourire, amusée, tout en continuant son repas. Ne serait-ce pas le moment d'entamer une discussion plus sérieuse ? Après tout, le sujet Sacha ne peut que m'aider à me lancer.

- D'ailleurs puisqu'on a abordé cette histoire avec ton voisin, ça serait peut-être l'occasion de parler de nous et de ces derniers mois, tu ne crois pas ?
- C'est-à-dire ? me questionne-t-elle, perplexe.
- On s'est promis de repartir sur de bonnes bases toi et moi et je pense qu'il est important qu'on n'ait pas de secrets l'un pour l'autre.

Elle pose sa bouteille d'eau sur la table, sans un mot. Elle hoche la tête en guise de réponse positive. Je vois son regard fuyant, serait-elle nerveuse ? 

- Je vais pas tourner autour du pot. J'ai eu des histoires sans importance. Je sais que tu n'es pas stupide et que tu t'en doutes mais je voulais que tu l'entendes de ma propre bouche.
- C'est vraiment nécessaire ?
- Oui, j'ai pas envie que ça soit tabou et je veux encore moins que ça te ronge au fil des mois. Je pense que c'est important d'en parl...
- Combien ? demande-t-elle, sèchement.
- C'est sans importance.
- Ça ne l'est pas pour moi, dit-elle les yeux remplis de larmes en fixant le plafond.
- Une dizaine de filles.
- C'était des filles d'une nuit ?
- Pas toutes. J'ai eu des plans cul si c'est ta question.

Je vois le visage de Sybille se fermer de plus en plus. Les larmes coulent sur ses joues quand elle est prise d'un sourire nerveux. Je sens sa colère monter peu à peu.

- C'est pour ça que tu as utilisé un préservatif l'autre soir ? Pour pas me refiler toutes les merdes du monde ? crache-t-elle, offensée.
- Qu... Quoi ? bafouillé-je, choqué. Non ! J'ai utilisé un préservatif, car je ne savais pas si tu prenais encore la pilule et si tout était OK de ton côté !
- Quelle conne ! Je suis qu'une putain de conne ! marmonne-t-elle. 
- Tous mes rapports étaient protégés, Sybille !
- Ouf ! Me voilà rassurée ! se crispe-t-elle, pleine d'ironie. Tu réalises que pendant que je pleurais toutes les larmes de mon corps, tu te tapais toutes les pétasses de Paris ?!
- Ah parce que tu crois que j'ai commencé juste après ton départ ? m'offusqué-je.
- T'es un mec, Mathieu ! Un putain de mec !
- Quand t'es partie j'étais malheureux ! Tu penses sérieusement que j'avais envie de toucher une autre fille ? Tu te fous de ma gueule ?
- J'en ai rien à foutre ! hurle-t-elle. Savoir que l'homme dont je suis amoureuse a couché avec une dizaine de filles après moi me dégoûte !
- Et toi ? Tu vas me dire qu'en Australie t'as rien fait ?

Elle se stoppe et me fixe un instant afin de se calmer.

- Si, mais mon quota est beaucoup plus décent.

Je reste muet. L'aveu que je redoutais le plus vient de tomber. La façon dont elle me fixe en dit long sur sa tristesse. Elle baisse le regard, les larmes ruissellent toujours sur ses joues. Elle me tourne le dos et part rejoindre sa chambre. J'entends la porte claquer et je sens comme une douleur dans ma poitrine. Sa phrase résonne dans ma tête et plus je réalise, plus ça me fait mal. Au fond, j'espérais le contraire mais c'est tellement égoïste. Pourquoi moi et pas elle, hein ? Je prends place sur le canapé et viens mettre ma tête entre mes mains. Peut-être que j'avais tort de vouloir aborder cette discussion. En tout cas une chose est sûre, il n'y aura plus de secrets, mais à quel prix ?

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant