ALL NIGHT - PLK

XII - TEMPS PERDU

Chapitre 44

Mathieu

Samedi 5 septembre 2020

Cette semaine n'a pas été de tout repos. Entre le Planète rap et la promotion de l'album, je n'ai pas eu une seule seconde à moi. Heureusement, le week-end est là et je compte bien décrocher de cette folie médiatique durant les prochaines vingt-quatre heures. Studio ? Potes ? Soirée torride avec ma copine ? Pas vraiment... Disons que le programme est quelque peu différent. Ce soir, Nour et Iliam nous invitent à dîner. Les jeunes mariés sont enfin de retour à Clamart, pour le plus grand bonheur de ma petite amie. À peine arrivés, les tourtereaux ont pris possession de leur nouvel appartement. Le déménagement avait été fait en amont par la famille mais les cartons, eux, ne se sont pas défaits tout seuls. Sybille les a donc aidés à s'installer tout au long de la semaine.

- C'est moi ou t'es nerveux ?
- Pourquoi je serais nerveux ? rétorqué-je en appuyant sur la sonnette, comme si de rien n'était.

Un sourire se dessine sur son visage avant qu'elle ne détourne le regard, amusée. Le problème avec Sybille, c'est qu'elle commence à me connaitre par cœur. Ce repas m'intimide, c'est vrai, mais inutile d'en faire toute une histoire. Il s'agit de mon premier dîner de « couples » et j'ai du mal à me projeter dans ce genre de soirée. Est-ce que je vais être à la hauteur ? Je sais à quel point tout ça est important pour elle et je ne voudrais en aucun cas la décevoir. D'où cette légère appréhension.

Lorsque Nour ouvre la porte, son accueil est chaleureux. Elle nous invite à entrer avant qu'Iliam ne prenne le relais, ce dernier me met rapidement à l'aise. Nous avions pas mal sympathisé au mariage, cette soirée est donc une belle occasion d'apprendre à se connaître davantage. Je retire ma sacoche tandis que Sybille s'avance dans le séjour en observant attentivement la pièce. Elle remarque immédiatement les changements et s'empresse de les détailler : les rideaux, le vase, la bibliothèque, la lampe, tout y passe ! Un vrai radar, rien ne lui échappe !

- Pas trop dur cette semaine de déménagement ? demandé-je, intéressé.
- Si... Entre tous les cartons et les meubles à monter, on en voyait plus la fin. Heureusement que Syb était là pour nous aider, explique Nour, reconnaissante.
- Arrête, c'était juste un petit coup de main, c'était pas grand-chose.
- Modeste en plus ? se mêle Iliam.
- Du Sybille tout craché, ajouté-je.
- Toujours là, pour le meilleur comme pour le pire !

Nour enlace sa meilleure amie tandis que son mari s'installe sur le canapé du salon. Sur la table basse, un apéritif dinatoire qui nous met immédiatement l'eau à la bouche.

- Je vois que tu as sorti ton tablier, se réjouit Sybille. Nour a un don pour la cuisine, n'est-ce pas Iliam ?
- C'est vrai ! J'ai intérêt à tenir le sport si je veux pas finir en surpoids.
-  Tu fais quoi comme sport ? reprends-je, curieux.
- Du foot et un peu de boxe.
- Voilà un point commun, sourit ma copine, satisfaite.
- D'ailleurs, on organise souvent des matchs au quartier avec Hakim, Carlos, Farès et toute la clique. Tu devrais venir jouer un de ces quatre.
- Ouais avec plaisir !

Le sourire de Sybille en dit long et j'ai l'impression que cette soirée commence plutôt bien.

-  Qu'est-ce que vous voulez boire ? Niveau softs on a pas mal de choix. Ma mère a dévalisé le grossiste.
- Ah c'était pas une blague ? reprend ma petite amie, perplexe.
- Six cabas de canettes, je pense qu'elle a eu peur qu'on revienne de Zanzibar déshydratés, développe Nour en grimaçant légèrement.

Sa réplique nous fait rire. Iliam nous propose alors une multitude de boissons avant qu'on ne finisse par choisir la nôtre. Nos verres servis, la discussion dérive rapidement sur leur voyage de noces. Ils s'empressent de nous montrer quelques photos et je dois admettre que ça donne envie de partir se dépayser quelques semaines à l'autre bout du monde. Nour prend plaisir à nous détailler leur périple en prenant soin de glisser quelques anecdotes. Ils sont allés dans des endroits comme Nungwi ou Jambiani et ils ont fait quelques excursions comme celle de Mnemba Island ou le Safari Blue. J'ai eu du mal à tout retenir, mais ce voyage restera dans leur esprit pour le restant de leur vie, c'est certain !

- En tout cas, le mariage, ça vous réussit ! les félicite Sybille.
- Merci ! rougit-elle, touchée.
- Peut-être que vous aurez vous aussi la chance de passer par là ?

Il a à peine le temps de finir sa phrase que Nour s'empresse de lui donner un coup de coude, mal à l'aise.

- Tu sais, je n'ai pas une vision très flatteuse du mariage, alors je ne suis pas certaine que ça soit pour moi, répond-elle d'un ton léger.
- À cause de tes parents, c'est ça ?

La question d'Iliam est maladroite et Nour n'a qu'une envie : fuir la pièce au plus vite. Sybille se contente de sourire pour rassurer son amie et enchaîne comme si de rien n'était :

- Oui, toute cette paperasse administrative pour au final finir dans un tribunal, très peu pour moi ! lâche-t-elle simplement en ramenant sa boisson à ses lèvres. Je ne veux pas être négative mais mon père n'était pas un exemple alors je suis du genre pessimiste sur le sujet.
- Je la rejoins, mes parents aussi ont divorcé. C'est ma grand-mère qui m'a élevé, car c'était la guerre entre eux. C'est pas évident pour nous de se projeter. Mais bon... Vous arriverez peut-être à nous faire changer d'avis, qui sait ?
-  Ça serait un honneur.
- J'espère que vous êtes patients, rétorqué-je d'un ton léger.
- Qui a dit qu'on était pressés ?

Iliam me lance un clin d'œil, ce qui me pousse à élargir mon sourire. Décidément, ce dernier semble très emballé à l'idée du mariage et je ne peux pas lui en vouloir. C'est juste qu'on a tous des exemples et malheureusement pour Sybille et moi, ils n'étaient pas bons. Bien décidé à taquiner mon adversaire, je relance la discussion :

- Attends, mais qui dit mariage, dit bébé, non ?
-  J'ai capté, bien joué ! Un à un, c'est ça ?
- J'accepte le point volontiers ! 
-  Vous projetez d'avoir un bébé ? rebondit Sybille, enthousiaste.
- Disons qu'on a déjà évoqué le sujet mais pas dans l'immédiat.
- Moi qui rêve d'être tata...
- Et moi donc ! Un bébé PLK ? me charrie Nour.
- Oula ! Je veux avoir des enfants dans le futur mais actuellement ce n'est clairement pas notre priorité. Pas vrai, bébé ?
- Clairement pas ! répète Sybille.
- Bon, vous voulez bien arrêter les sujets qui fâchent ?
- C'est toi qui as commencé, Iliam, assume ! râle Nour.
- Non, je vais plutôt enchaîner avec le projet de Mathieu, je veux pas faire ma groupie mais j'ai adoré.
- Il l'a écouté en boucle dans l'avion, dit-elle en levant les yeux au ciel.
- C'est vrai ? Et tu as aimé ?
- J'ai adoré, ouais !

Nour grimace en me lançant un regard désolé. Parler de rap ou de mon projet ne me dérange pas, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Bien sûr, il y a des limites mais là je sens qu'il est investi dans la discussion, alors ça me fait plaisir de pouvoir échanger avec lui. Malgré ça, Nour en profite pour couper court en me demandant de la suivre en cuisine. Sybille et Iliam ne semblent pas y prêter une grande attention. J'acquiesce et la suis dans la foulée.

- Je suis vraiment désolée, je sais que tu n'es pas venu ici pour parler musique, mais Iliam aime beaucoup ce que tu fais, comme nous tous, alors je...
- Nour, respire, là coupé-je. Tout va bien, j'ai aucun souci avec ça.
- T'es sûr ? Je veux pas que tu te sentes mal à l'aise. Tu te rends compte, il a même abordé le sujet du mariage ? Qu'est-ce qu'il lui a pris ? dit-elle en passant la main dans ses cheveux, dépitée. C'était très gênant.
- Qu'est-ce qui te tracasse ? T'as peur que je parte en courant ?
- Disons que ce repas est important pour Sybille et je ne veux en aucun cas le gâcher avec des maladresses, surtout vis-à-vis de toi.

Je ne peux m'empêcher de sourire à sa réplique et réalise que je ne suis pas le seul à appréhender ce diner.

- J'étais dans le même état avant d'arriver ici.
- C'est vrai ? s'étonne-t-elle.
- Ouais, Sybille compte pour nous et on veut faire les choses bien.
- Rassure-moi, on s'apprécie tous les deux, hein ?
- Oui ! D'ailleurs, je t'en dois une belle avec l'invitation au mariage.
- Arrête, je l'ai fait avec le cœur. T'es un garçon bien et je suis heureuse que vous vous soyez remis ensemble, vraiment.
- Alors tu m'en veux pas pour tout ce qui s'est passé avec Sybille ?
- Non, bien sûr que non ! Certes, tu aurais pu éviter quelques situations délicates mais je ne suis personne pour juger votre histoire. En revanche, je serai toujours honnête avec toi, que ça soit positif ou négatif.
- Et j'apprécie ta franchise.
- Alors tout est OK ?
- Tout est OK !

Sa main vient taper dans la mienne, rassurée. Elle reprend rapidement ses esprits et me tend le plateau de mignardises avant qu'on ne rejoigne le salon, sereins. Finalement, cette soirée n'est pas aussi terrible que je l'avais imaginé.