XII - DU MAL

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Chapitre 61

Mardi 15 août 2017

La peur provoque de nombreuses manifestations physiques : accélération du rythme cardiaque, bouffées de chaleur, sensation d'étouffement, gênes abdominales. Chaque personne réagit de façon différente à cette émotion qui perçoit des symptômes plus ou moins intenses. C'est le cas du stress ressenti avant un examen ou bien un événement inattendu. Exemple : la réapparition de mon ex-petit ami, la veille de mon départ.

La peur indique aussi la nécessité de prendre des dispositions rapidement, de façon à échapper à une situation périlleuse. Je ne peux pas le nier, c'est un fait. Durant un instant, j'ai songé à couper mon téléphone et à éteindre la lumière de ma chambre, pour me camoufler sous mes draps jusqu'à ce qu'il parte. Puéril, n'est-ce pas ? Je me suis donc ressaisie. Agir comme une lâche n'est pas la solution. J'ai beau appréhender cette discussion, je serais stupide de vouloir la fuir. Après tout, qu'est-ce que je risque ?

Je pousse la porte de mon bâtiment, nerveuse. Mes mains sont moites, mon ventre et ma gorge, noués. J'essaie de me rassurer comme je peux, mais la tâche est plus difficile que prévu. La dernière fois que nous avons échangé, les cris et les pleurs étaient au rendez-vous. Je n'ai pas envie de reproduire cette scène.

Lorsque j'aperçois Mathieu, il est appuyé contre son véhicule, les yeux rivés sur son téléphone portable. Il porte un short de sport blanc et un t-shirt assorti. Je m'avance vers lui. L'expression de son visage indique un soulagement certain. En revanche, difficile pour moi dans dire autant...

- Merci d'être descendue.

J'acquiesce, impassible. Je l'observe un instant. La fatigue et le manque de sommeil se font remarquer. Son teint est terne et sa peau marquée par les cernes. Visiblement, je ne suis pas la seule à vivre un mauvais moment et je crois que j'ai parfois tendance à l'oublier.

- On s'installe dans la voiture ?
- Oui...

J'ouvre la portière passager tandis que Mathieu fait le tour pour venir s'installer à côté de moi.

- Je croyais qu'on avait plus rien à se dire ? lancé-je, d'un ton sec.
- Arrête, tu sais très bien que c'était sur le coup de la colère.
- Peut-être mais ça n'excuse en rien ton attitude.
- Et j'en suis conscient.

Son regard sincère se plonge dans le mien. Est-ce que Mathieu Pruski serait en train de reconnaître ses torts ? Il faut croire que oui.

- Tu m'en veux ? reprend-il, craintif.
- À ton avis ? Tu minimises cette histoire depuis le début. Tu n'as été d'aucun soutien. À t'écouter parler mon projet ne vaut rien. Je suis déçue de voir que tu ne crois pas en moi.
- Tu te trompes, j'ai toujours cru en toi, t'es une fille brillante ! Et non, je n'ai pas minimisé la situation, au contraire ! Je me suis projeté et ça m'a fait flipper... « Et si l'Australie lui plait tellement qu'elle veut y rester ? », des questions comme ça, il y en a eu des centaines ! J'étais censé réagir comment ?
- Tu aurais dû m'en parler !
- Pour quoi faire ? Ça aurait changé quelque chose ? Réponds-moi sincèrement.
- Peut-être pas mais j'aurais su te...
- Me rassurer ? me coupe-t-il en souriant, nerveusement. C'est ça ?
- Oui !
- Tu me connais, Sybille, je peux avoir confiance en toi mais me demander d'avoir confiance aux autres, c'est impossible.
- Alors quoi ? Je suis censée rester à une distance convenable pour que tu aies un œil sur mon entourage ?
- Ne me fais pas dire, ce que j'ai pas dit ! Tu sais très bien que je ne suis pas comme ça.
- Excuse-moi, c'est juste que...

Je lève les yeux au ciel, les larmes me montent brusquement.

- J'ai jamais voulu faire un choix et je t'en veux de l'avoir fait pour nous.
- Et moi je t'en veux de vouloir privilégier l'Australie à notre relation. Je sais que c'est égotiste mais c'est comme ça. Je suis comme ça.
- Donc tu es venu jusqu'ici pour me dire ça ?
- Non, je suis venu, car Léa m'a dit que tu partais demain et j'avais besoin de te voir.
- Pourquoi ? lancé-je, perdue.
- Pour te demander de rester.
- Mathieu, je...
- Si tu m'aimes réellement, pourquoi tu pars ?

Sa question me prend de court. Je le fixe un instant, son regard poignant me déchire le cœur. La douleur glisse le long de mes joues.

- Parce que si notre amour est sincère, la distance n'est pas un obstacle.
- T'es poète maintenant ?

Il lance sa réplique d'un ton léger mais son sourire est crispé. Il baisse les yeux, désabusé.

- Ta valise est prête ?
- Oui, tout est prêt.
- Tu changeras pas d'avis ?

Je secoue la tête en guise de réponse négative.

- Je vois...
- Je suis désolée.

Mathieu est sonné. Il tend sa main droite vers la boîte à gant et ouvre cette dernière afin d'y sortir une enveloppe. Mes larmes coulent de plus belle lorsqu'il vient la poser sur mes genoux.

- Qu'est-ce que c'est ?
- Promets-moi de la lire.

Il vient coller son front contre le mien en prenant soin de serrer ma main dans la sienne.

- C'est quoi ? Des adieux, c'est ça ?

Il ne répond pas. Impossible pour moi de m'arrêter de pleurer, pourtant, c'est sans réfléchir que mes lèvres viennent se poser sur les siennes. Un baiser inattendu mais tout de même nécessaire pour des au revoir aussi dramatiques.

- Prends soin de toi.
- Mathieu, s'il te...
- Tu devrais y aller, abrège-t-il.

Je baisse les yeux et m'exécute, silencieuse. Je sors de la voiture, mon enveloppe à la main, et rejoins mon bâtiment, ravagée par la tristesse...

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant