I - RETOUR AUX SOURCES

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Chapitre 3

Samedi 13 juin 2020

Nageant dans la fierté et la satisfaction, je saisis mon téléphone pour immortaliser ma construction. Une bibliothèque en bois de type industriel, achetée quelques jours plus tôt sur internet. Je l'observe attentivement. Ce meuble correspond parfaitement à mes attentes ! Je partage la photo à Amy, une amie australienne, qui à ce jour n'est toujours pas convaincue de mes talents de bricoleuse, et m'empresse de placer mes livres ainsi que mes bibelots sur les étagères.

Il est vrai que depuis mon installation il y a un mois et demi, je me suis beaucoup investie dans cet appartement. L'idée d'avoir un chez-moi où je puisse librement exprimer mes envies me motive énormément. Mon budget décoration n'est pas très élevé mais je m'en sors plutôt bien. Je n'ai pas eu besoin de racheter l'intégralité des meubles, ma mère m'en a laissé quelques-uns. Pour le reste, j'ai dû m'adapter. Chiner en ligne est devenu l'un de mes passe-temps favoris ! Il faut être drôlement prétentieux pour penser que le monde de l'occasion est honteux. Personnellement, j'aime restaurer des objets ou du mobilier pour leur donner une seconde vie. Il y a plein d'avantages à cela et la créativité en fait partie.

Je rassemble le carton d'emballage et le place dans un sac spécifique. Le tri n'est pas une formalité mais ça me tient à cœur. Contribuer au recyclage est tout de même important, surtout dans les circonstances actuelles. Je ramasse le dernier morceau et tombe par hasard sur une vis que je n'ai encore jamais vue jusqu'à présent. Était-elle dans le kit ? Certainement... Je fronce les sourcils et m'approche de la bibliothèque, dubitative. J'essaie de la faire bouger mais celle-ci reste stable. Ouf, quel soulagement ! Qu'importe la vis ou le boulon, ce dernier aura sa place dans le tiroir fourre-tout, avec mes clefs, mes pinces à cheveux et mes vieux écouteurs d'iPod.

Mes affaires rangées et l'aspirateur passé, je traverse l'appartement pour rejoindre la pièce du fond : l'ancienne chambre de ma mère. Celle-ci a été transformée en un espace de rangement. C'est ici que je stocke tout mon bazar. Enfin... Un bazar qui est tout de même bien agencé. J'ouvre le placard mural et tends mon bras afin de replacer la boîte à outils à sa place initiale. Alors que je m'apprête à refermer la porte coulissante, une matière toute douce, ou devrais-je dire, une patte, attire mon attention. Je déplace légèrement les vêtements sur cintres et sors l'objet en question. Un gros nounours et pas n'importe lequel : Teddy Polak.

Une sensation étrange parcourt mon corps tout entier. La nostalgie refait brusquement surface, de quoi me replonger quelques secondes dans mes souvenirs les plus lointains. J'ai toujours eu un affect particulier pour les peluches, et ça, depuis l'enfance. Est-ce que cela est dû à Toy Story ? Nier serait absurde, évidemment ! Quoi d'autre ? Je fixe ce gros patapouf, rêveuse. Cette soirée à Deauville restera à jamais gravée dans mon esprit. Soudain, la culpabilité m'envahit. Maman a dû le placer ici après mon départ et je n'ai même pas cherché à le récupérer. Ce qui dans le fond est tout de même compréhensible, non ? Je mords ma lèvre inférieure, préoccupée. Même si cela est difficile, le laisser dans ce placard serait beaucoup trop cruel à mes yeux. J'empoigne l'ours et viens le blottir contre moi. Il sent la poussière. Ce bon vieux Teddy aurait bien besoin d'un bon bain ! Je referme la penderie et m'apprête à sortir de la pièce quand la sonnette de l'entrée retentit dans tout l'appartement.

- Déjà ?

J'accélère mes pas et dépose le nounours dans la chambre de Noé. Son antre n'a pas bougé. Il y a toujours son lit et quelques affaires. Il vient souvent à la maison. Cela lui permet de garder contact avec ses amis de la cité et bien sûr : sa sœur adorée.

Je jette un œil rapide au judas optique et ouvre la porte dans la foulée. Sacha me fait face, un sac de fast-food à la main. Il tombe à pic, je meurs de faim !

- Whouaaa ! Je vois qu'on est passé à la vitesse supérieure, dit-il en observant les murs du séjour.
- Tu aimes ?
- J'adore ! T'as fait du bon boulot !
- Et attends, t'as pas tout vu, annoncé-je fièrement en lui montrant la bibliothèque du regard.
- C'est toi qui l'as montée ?
- Impressionnant n'est-ce pas ?
- Tu mens !
- C'est si difficile à croire ?
- Depuis quand les jolies filles savent bricoler ?
- C'est cliché ça, non ? rétorqué-je, d'un ton léger.
- Totalement ! grimace-t-il, embarrassé. En tout cas, vous m'étonnez de jour en jour, mademoiselle Vasilis !

Je souris prétentieusement à sa réplique avant qu'il n'installe le repas sur la table de la salle à manger. Sacha n'est autre que mon voisin du dessous. On a fait connaissance à la fin du confinement lorsque j'ai commencé à re fréquenter l'immeuble. À force de se croiser dans le hall, on a fini par sympathiser et voilà qu'aujourd'hui nous sommes amis. Il faut croire que l'Australie a eu un réel impact sur ma sociabilité et j'en suis pas peu fière !

- Je te dois combien ? lancé-je, spontanément.
- Rien du tout !
- Sacha..., râlé-je.
- Quoi ? Je peux pas offrir un repas à ma voisine préférée ?
- Ça fait deux fois cette semaine.
- La semaine dernière, tu as payé les pizzas, m'informe-t-il.
- Et ? Tu crois qu'on est quitte ?
- C'est quoi ? Une compétition ? Lâche l'affaire, tu veux !

Réalisant qu'il n'est pas prêt à céder, je roule des yeux telle une enfant et m'installe face à lui. Le dîner se déroule dans une atmosphère agréable. Comme souvent, Sacha prend le temps de me raconter sa journée. Il travaille au Foot Locker de Vélizy-Villacoublay. Une zone commerciale à une dizaine de kilomètres de Clamart. Entre ses collègues et les clients sans gêne, c'est toujours un grand moment de rigolade !

- Elle a vraiment dit ça ? lancé-je, médusée.
- Ouais ! Célia savait plus où se mettre.
- En même temps c'est compréhensible...

Je ramène ma boisson à mes lèvres quand il reprend :

- Au fait, tu as quelque chose de prévu demain ? Je pensais qu'on aurait pu aller sur Paris.
- Ça aurait été avec plaisir mais je suis invitée.
- Un date ?
- Non, souris-je. Une amie m'a invitée à un barbecue.
- Ah oui ?
- Quoi ? Ça t'étonne ?
- Non, c'est juste que j'ignorais que tu avais des amis...
- Hey !

Il pouffe et j'en profite pour lui donner un léger coup de pied sous la table.

- C'est moi ou tu me fais du pied ?
- J'ai pas dû taper assez fort. Je recommence ?
- Non merci, ça ira. Du coup, tu vas à un barbecue ? reprend-il.
- Oui, j'ai recroisé une amie hier soir en allant dîner chez mes parents et elle m'a invitée.
- Cool !
- Ouais...
- C'est moi ou t'as pas l'air convaincue ?
- Disons que j'appréhende un peu de recroiser d'anciennes connaissances.
- Pourquoi ? Tu t'es embrouillée avec eux ?
- Non, du tout. C'est juste que mon départ a été compliqué et j'ai pas envie de me replonger dans les souvenirs, tu vois ?
- Je comprends. Mais cette fille qui t'a invitée, tu l'apprécies, non ?
- Oui, elle a toujours été bienveillante avec moi.
- Alors vas-y ! Si tu vois que ça devient trop barbant, tu rentres et on se regardera un épisode de Friends !
- Je savais pas que tu aimais cette série ?
- Seulement quand c'est nécessaire !

Je peux m'empêcher de sourire quand il reprend plus sérieusement :

- Après, tu sais, en trois ans les gens changent. Il se peut que ton amie ne traîne plus avec les mêmes personnes.

Ses paroles me font réfléchir. Je n'avais pas envisagé cette option. Est-ce que cela me rassure ? Oui et non... J'ai beau avoir la boule au ventre, une partie de moi a hâte de se rendre à ce barbecue.

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant