XII - TEMPS PERDU

1.8K 70 40
                                    

Chapitre 43

Lundi 31 août 2020

C'est quelque peu troublée que je me retrouve sur son palier, munie d'une tarte fraîchement cuisinée entre les mains. Plusieurs années se sont écoulées et voilà que je suis de retour dans ce bâtiment. Qui l'eût cru ? Les souvenirs qui me lient à ce lieu sont nombreux et je suis heureuse de pouvoir revenir ici à nouveau.

Déterminée, j'inspire profondément en annonçant ma présence à l'aide de la sonnette de porte, fixée sur la paroi. Mes mains sont moites, pourtant je ne suis pas nerveuse, mais impatiente à l'idée de la retrouver après tout ce temps. Malgré la distance, elle est restée dans mes pensées. Sa bienveillance, ses conseils et son soutien m'ont beaucoup aidée, notamment les semaines précédant mon départ, en 2017. C'est une personne que j'apprécie sincèrement. Seulement, à mon retour en France, la situation était bien trop délicate pour que je puisse débarquer chez elle comme une fleur. De plus, la pandémie ne m'a pas facilité la tâche... Heureusement, la situation a fini par évoluer, dans tous les sens du terme. Je ressens le besoin d'en faire plus. Ce matin, je l'ai donc contactée pour prendre de ses nouvelles et lui ai proposé de lui rendre visite, ce qu'elle a immédiatement accepté, ravie.

Lorsque la porte s'ouvre, un grand sourire s'empare de mon visage. Elle n'a pas changé ! Elle est toujours aussi charmante. Elle prononce mon prénom, visiblement émue, et s'empresse de me prendre dans ses bras.

- Tu as teint tes cheveux ? lance-t-elle en me fixant, captivée.
- Oui, j'avais besoin de changement.
- Ça te rend encore plus radieuse !
- Merci beaucoup, lancé-je poliment.
- Ne reste donc pas là, entre !

Je m'exécute en m'avançant dans l'entrée. Au premier coup d'œil, je remarque que l'appartement n'est plus tout à fait le même qu'à l'époque. En effet, un rafraîchissement a eu lieu. Les peintures, la décoration, il y a eu du changement. Mon regard se pose sur le nouveau buffet et je ne peux m'empêcher de sourire, attendrie, en voyant que les cadres avec les photos de Mathieu sont toujours présents sur le meuble.

- Vous avez refait l'appartement ? constaté-je, impressionné.
- Oui, il y a quelques mois, Mathieu a voulu le rajeunir. J'étais sceptique mais avec du recul, je lui en suis très reconnaissante.
- En tout cas, c'est très réussi, avoué-je, sincère. J'ai pris le soin de faire une tarte aux pommes à la cannelle. J'espère que vous aimez ?
- J'aime beaucoup les tartes, et la cannelle est une épice que j'apprécie tout particulièrement, mais il ne fallait pas t'embêter avec ça.
- Ne vous en faites pas, ça me fait plaisir ! Je me suis dit que ça s'accorderait bien avec le thé.

Elle acquiesce, tout sourire, comme pour valider ce choix culinaire et me fait signe de prendre place sur le canapé. La dernière fois que je l'ai vue, c'était dix jours avant mon départ pour l'Australie et aussi fou que ça puisse paraître, la grand-mère de Mathieu m'a beaucoup manqué.

- Ça me fait tellement plaisir de vous revoir.
- Le plaisir est amplement partagé, Sybille. Tu sais que j'ai conservé toutes tes cartes postales ?
- Vraiment ? m'étonné-je.
- J'adorais correspondre avec toi. Mais dis-moi, comment as-tu vécu ce grand changement ? Qu'as-tu pensé de l'Australie ? Est-ce que la vie est si chère qu'ils le disent dans les reportages ? Et les gens, comment sont-ils ? Tu as croisé des kangourous ?

Son débit de questions me pousse à esquisser un sourire, amusée. L'enthousiasme dont elle fait part me touche profondément. Elle aurait pu me détester pour ce que j'ai infligé à son petit-fils mais ce n'est pas le cas. Elle a toujours été juste et c'est ça que j'apprécie chez elle.

- Les reportages disent vrai. Le cout de la vie en Australie est bien supérieur à la France, ça c'est certain ! En revanche, les salaires s'adaptent en conséquence, du coup l'impact est moins flagrant mais pour les touristes, ça ne passe évidemment pas inaperçu. Pour ce qui est de la mentalité australienne, ils sont très sympathiques ! Du moins, bien plus que les Français ! C'est très agréable ! Bien sûr, il y a toujours quelques exceptions mais cela reste rare. Et pour les kangourous, j'en ai croisé à plusieurs reprises mais ils ne sont pas toujours aussi sympas qu'ils le laissent penser, de vraies têtes de mule, sans parler des araignées, vous seriez surprise de voir la taille qu'elles ont.
- Mon petit-fils Enzo m'a déjà montré des vidéos sur le sujet, c'est terrifiant ! En tout cas, je suis heureuse que tu aies pu réaliser ce rêve qui te tenait tant à cœur. Même si j'imagine que ça n'a pas dû être tous les jours facile...
- Oui, j'ai eu des jours très compliqués.
- Tu sais, quand tu es partie, j'étais soulagée que Mathieu t'ait écrit cette lettre. J'étais ravie de voir qu'il était déterminé à continuer cette relation malgré tous ces kilomètres. Malheureusement on sait tous que la distance a son lot de contraintes et je me doute que ça n'a pas été évident pour vous.
- En effet, le décalage horaire a eu raison de nous. Ça nous a complètement éloignés.
- Votre rupture l'a énormément affecté. Je me suis fait beaucoup de soucis pour lui comme pour toi, d'ailleurs. Tu étais à l'autre bout du monde, sans soutien émotionnel. Je sais que cette décision n'a pas été simple pour toi, dit-elle en venant poser sa main sur la mienne.
- Ça a été très difficile, c'est vrai.
- En juin son comportement a changé, j'ai tout de suite eu la puce à l'oreille. Je lui en ai parlé et il m'a dit que tu étais de retour, ça le travaillait beaucoup. En revanche, j'ai su que ce n'était qu'une question de temps et je ne me suis pas trompée ! Tu ne peux pas savoir à quel point ça me rend heureuse de te savoir de nouveau parmi nous !
- Vous m'avez beaucoup manqué vous aussi et je tiens à m'excuser de ne pas être venue avant et...
- Tu n'as pas à t'excuser ! me coupe-t-elle. Je suis déjà très touchée que tu aies pris de ton temps pour venir me voir.

Ses paroles sincères me vont droit au cœur. Alors que nous dégustons la tarte autour d'une tasse de thé, la discussion s'enchaîne rapidement sur mon retour. Mon travail en stand-by, ma famille, la Covid, nos loisirs, tout y passe ! Elle prend plaisir à me partager son nouveau passe-temps : la marche rapide. Elle s'y est mise avec l'une de ses voisines. J'en profite alors pour lui parler de mes restaurations de meubles. Emballée, elle m'encourage et me demande même quelques conseils pour la commode de sa chambre, de quoi me motiver davantage.

- Vous avez écouté l'album de Mathieu ? demandé-je en changeant radicalement de sujet.
- Bien sûr ! J'ai eu le droit à mon CD que je me suis empressée d'écouter en avant-première.
- La chanson qu'il vous a écrite est magnifique.
- J'ai de la chance d'avoir un petit-fils aussi aimant. Tu sais dans la famille on est très pudique sur nos sentiments alors on en a un peu discuté, mais je lui ai écrit une lettre pour lui dire que je l'aimais et à quel point j'étais fière de lui.
- C'est adorable.
- Il était très occupé ces derniers temps, j'espère que vous avez eu le temps de passer un peu de temps ensemble ?
- Oui, nous nous sommes promenés sur Paris vendredi soir et comme j'ai un appartement maintenant, ça lui arrive de venir passer du temps avec moi.
- Il m'a prévenue, sourit-elle. Il m'a dit que s'il ne rentrait pas à la maison, c'était qu'il était chez toi. Comme si je pouvais imaginer un autre scénario, sérieusement.

Elle lève les yeux au ciel, ce qui me pousse à rire. Cela me fait beaucoup de bien d'être ici avec elle. Nous nous sommes toujours très bien entendues et je suis heureuse d'avoir un lien si fort avec l'une des personnes qui comptent le plus pour Mathieu. J'aime cette relation et je compte bien la conserver le plus longtemps possible.

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant