IV - FIN DE MOIS

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Chapitre 15

Vendredi 26 mai 2017

Appuyée contre la barrière, j'observe attentivement le terrain. Ce soir, Noé est en condition et il compte bien le faire savoir à ses amis ainsi qu'à son entraineur. Cela fait un peu plus de quarante minutes que le match a commencé. Kevin, qui semble s'être remis de sa blessure à la cheville, poursuit la balle, déterminé, avant de se la faire prendre par le petit Samy. Nour qui se trouve à mes côtés l'encourage en hurlant, ce qui le pousse à accélérer davantage. Arrivé au milieu du terrain, il s'empresse de faire une passe à Noé. Mon petit frère se met alors à courir à toute vitesse et d'un grand coup de pied, lance le ballon dans les buts. Alerté, le gardien se jette sur ce dernier et le renvoie à l'un de ses équipiers. Il serre le poing, déçu.

- Allez, Noé, c'est super, continue ! le réconforte Olivier.

Je remarque à l'expression de son visage qu'il est agacé. J'essaie de capter son regard et lui décroche un sourire pour l'encourager à mon tour.

- Tu sais à qui il me fait penser ?
- Non ?
- À toi quand t'as su que tu étais sur la liste d'attente Parcoursup, me charrie-t-elle.
- En même temps, une si bonne moyenne pour être sur liste d'attente, c'est du délire ! me crispé-je à nouveau. Heureusement qu'ils ont fini par m'accepter.
- Tu vois ? Ses lèvres sont pincées exactement comme les tiennes et sa ride du lion se tend tout comme toi.
- Oui, je sais, avoué-je. On tient ça de notre père...

Mon sourire disparait tandis que je fixe le terrain, concentrée. Je sens les yeux de Nour se poser sur moi, mal à l'aise.

- Toujours aucune nouvelle ?
- Non, aucune. Il doit surement être occupé avec sa nouvelle famille, expliqué-je, amère.
- Je n'arrive pas à comprendre comment il a pu vous faire ça.
- J'ai arrêté d'y penser. Crois-moi, c'est la meilleure chose à faire.

La main de ma meilleure amie vient entrelacer la mienne en guise de soutien. Je n'aime pas parler de lui, mais Nour est la seule personne à qui je me suis confiée durant toutes ces années. Elle sait ce qu'il nous a fait vivre et sans elle, je n'aurais pas réussi à avancer, c'est certain.

- Parlons d'un sujet plus gai, tu veux ?
- Comme quoi ?
- Mathieu ? dit-elle, d'un large sourire.
- Je t'ai déjà tout raconté dans le moindre détail, Nour, râlé-je.
- Peut-être mais je ne m'en lasse pas ! Je te rappelle qu'il a débarqué en bas de chez toi parce qu'il avait envie de te voir. Sérieux, tu veux quoi de plus ?

Je ne peux m'empêcher de sourire telle une idiote. Le fait que Mathieu soit allé trouver Alix m'a surprise mais pas autant que ses paroles dans la voiture. J'ai beau tourner les dialogues dans tous les sens, j'en reviens toujours à la même conclusion : Mathieu m'a fait comprendre que je lui plaisais.

- Tu n'étais pas censé ramener Omar ? dit-elle en changeant radicalement de sujet.
- Si, pourquoi ?
- Alors qu'est-ce qu'il fait ici ?

Je relève la tête, perplexe, lorsque je l'aperçois un peu plus loin. Rayan se tient à quelques mètres. Il est vêtu d'un pantalon de survêtement noir, d'un t-shirt assorti et d'une paire de sneakers. Il salut un groupe de jeunes du quartier avant de se dirigeait vers nous.

- Il ne vient jamais ici d'habitude.
- Peut-être qu'il n'est pas là pour son frère...

Nour me donne un léger coup de coude. Le sourire qu'elle arbore m'oblige à lever les yeux au ciel. Où veut-elle en venir ? Je sais bien que la relation que j'entretiens avec Rayan a évolué ces dernières semaines, mais de là à insinuer qu'il est ici pour moi, j'ai du mal à le croire.

- Toujours aux premières loges à ce que je vois.

Sa voix grave raisonne, ce qui me pousse à sourire.

- Rayan Messaoud à l'entrainement ? Il va neiger, c'est sûr ! lance mon amie, d'un ton sec.
- Toujours aussi accueillante, Madani.
- Toujours. Qu'est-ce qui t'emmène ?
- Je sais pas si t'es au courant mais mon petit frère court sur le terrain avec le tien.
- Sans blague ? ironise-t-elle. Pour info, t'arrives un peu trop tard.

Il n'a pas le temps de lui rétorquer quoi que ce soit que le sifflet retentit pour annoncer la fin de l'entraînement.

- Bon, je vous laisse. Tu m'appelles ?
- Oui, souris-je.
- Passe le bonjour à Yliam de ma part, renchérit Rayan.
- Ouais, ça sera fait !

Nour part rejoindre le bord du terrain quand je me tourne vers mon voisin.

- Toujours aussi sympa, constate-t-il, d'un ton léger.
- Bien plus sympa que ta copine Sarah, réponds-je, amusée.
- C'est pas totalement faux.
- Qu'est-ce que tu fais ici ?
- J'avais du temps libre alors je me suis dit que j'allais passer récupérer Omar.
- Oh... Vraiment ?
- Ouais et puis, c'était l'occasion de te revoir, avoue-t-il.

Seule la teinte de mes joues semble vouloir répondre à sa réplique. Bizarrement, je me sens mal à l'aise.

- Rayan ! T'es venu ! nous interrompt Omar, enthousiaste.
- Pourquoi t'es là ? Tu viens jamais d'habitude, le questionne Noé sur la défensive.
- Dis donc, on t'en pose des questions ? dis-je en m'adressant à mon frère.
- J'ai réussi à me libérer, explique-t-il.
- Vous sortez ensemble ? demande Omar.
- On... Quoi ? bafouillé-je.
- T'as très bien compris, Sybille, insiste Noé.
- Je ressemble à Ansel Elgort ?

Les deux garçons hochent la tête en guise de réponse négative.

- Alors vous avez la réponse à votre question.

Je roule des yeux tout en souriant, amusée.

- Je vais finir par croire que tu l'envies.
- Je commence moi-même à me poser la question.

Sur le chemin du retour, l'ambiance est agréable. Les garçons se charrient tandis que Rayan et moi discutons de tout et de rien. Je suis étonnée qu'il ait tenu à nous rejoindre. Durant le trajet, ce dernier me propose de l'accompagner à une soirée demain soir mais je refuse, prétextant les révisions du BAC. Il y a quelques semaines j'aurais surement rêvé qu'il me fasse une telle proposition mais aujourd'hui, je n'ai pas la tête à ça. Que ce soit en rapport avec les cours ou bien avec Mathieu, cette fête n'est pas une bonne idée.

Arrivés dans le bâtiment, les garçons se précipitent dans la cage d'escalier. Rayan en profite pour me relancer une nouvelle fois mais ma décision reste la même. Il acquiesce, déçu, ce qui me pousse à m'excuser à nouveau. Les au revoir se font sur notre palier respectif avant qu'on ne rentre chacun chez soi.

- Vous arrivez pile pour le repas ! annonce ma mère.
- Tu ne devais pas finir à vingt-trois heures ? m'étonné-je.
- Si mais il y a eu un changement de dernière minute, j'ai accepté de faire les nuits ce week-end.
- Oh... Je vois.
- Pourquoi tu travailles tout le temps maman ?
- Pour nous, mon chéri. Il faut bien que quelqu'un fasse vivre cette famille, non ?

Je pose le sac de Noé à côté du canapé et pars me laver les mains. J'admire ma mère, je ne sais pas comment je ferais si j'étais à sa place. Je sais qu'elle est loin d'être la seule dans cette situation mais élever deux enfants avec un salaire d'infirmière, c'est loin d'être facile...

- Bientôt, je pourrai travailler moi aussi ! lance mon petit frère, fièrement.
- Quand tu auras obtenu ton bac on en reparlera, mon grand.
- Comment ça ? Mon copain Théo nous a dit qu'on pouvait arrêter l'école à seize ans ?
- Qui est ce Théo ?
- Un crétin sans doute !

Ma mère sourit à ma réplique tout en déposant le plat sur la table. Chaque fin de mois, c'est la même chose, maman accepte de faire plus de nuits pour pouvoir arrondir son salaire. Je sais que ça la pèse de savoir que je dois m'occuper de Noé mais elle fait son possible pour nous, alors comment lui en vouloir ?

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant