I - RETOUR AUX SOURCES

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Chapitre 2

Vendredi 12 juin 2020

- Désolée pour le retard, j'ai pas vu l'heure passer, annoncé-je confuse, en posant mes affaires dans l'entrée.

C'est naturellement que je m'avance dans le séjour. Une pièce spacieuse, à la décoration contemporaine, digne d'un magazine. Je salue mon beau-père d'une accolade avant de venir embrasser ma mère, qui termine la préparation de la salade, dans l'espace cuisine, ouvert sur le salon. C'est ici, dans l'un des quartiers huppés de la ville que vivent désormais maman et Noé. Un changement de vie mûrement réfléchi qui, à ce jour, comble notre famille de bonheur.

- Alors ces peintures ? Ça avance ? me questionne-t-elle, intéressée.
- Il ne me reste plus que les toilettes, après ça, l'appartement sera comme neuf !
- En voilà une bonne nouvelle ! s'enthousiasme Olivier.
- Je n'arrive toujours pas à croire que mon grand bébé a son propre appartement.
- Ça me fait drôle de vivre à la maison sans vous.
- Arrête, ça doit être le pied ! me taquine mon beau-père.
-  Ça, c'est pas totalement faux !

Je lâche un clin d'œil à ma mère, tout en l'aidant à disposer les plats sur la table. Après mon départ en août 2017, les choses ont commencé à changer. Maman et Noé sont partis vivre chez Olivier une semaine sur deux et ça, durant de long mois. C'est seulement en début d'année qu'ils ont pris la décision d'emménager « officiellement » ensemble. Noé n'a pas rechigné, bien au contraire ! Je crois que la piscine, le jardin et sa nouvelle chambre y sont pour quelque chose, mais ce qui prime par-dessus tout, c'est sa relation avec Olivier. C'est peut-être aberrant à dire mais il représente la figure paternelle qu'il n'a jamais eue. Il se comporte comme un père, sans les inconvénients, et tout ça a l'air de lui plaire, pour notre plus grande joie.

En mars, la pandémie est arrivée plus sérieusement et c'est là où j'ai pris la lourde décision de rentrer en France. J'ai passé une partie du confinement ici, dans cette belle maison. Me retrouver en famille m'a fait du bien, mais j'ai aussi compris que j'avais besoin de mon espace à moi. Mon contrat avec le LCS étant en suspens, j'ai proposé à ma mère de reprendre l'appartement familial pour m'y installer. Durant ces deux dernières années, j'ai réussi à mettre de l'argent de côté, de plus, le loyer ici est bien plus convenable qu'à Sidney. De quoi me motiver davantage. Un petit coup de peinture, quelques meubles et voilà que je suis en train de créer mon petit cocon rien qu'à moi.

Attablés, mon frère nous rejoint. Du haut de son mètre quarante-huit, ce petit monstre a bien grandi ! Noé est en cinquième. Un vrai adolescent... Au diable l'école ! Les copains, le foot et les jeux vidéo sont ses priorités. Le retrouver m'a fait du bien. Notre complicité ne s'est pas estompée, au contraire, je dirais même qu'elle s'est intensifiée. Me retrouver ici avec les miens me procure une sensation de bien-être incroyable. Je repense à tous ces soirs dans mon studio où je rêvais d'un moment comme celui-ci. J'ai beau avoir passé de très bons moments à Sidney, j'ai aussi eu des coups de blues... Pour moi, la famille est la définition même de la stabilité, et vivre loin d'eux n'a pas été évident. Être ici aujourd'hui est une vraie bénédiction et j'essaie d'en profiter au maximum !

- Au fait, hier on a goûté ta pâte bizarre ! m'annonce Noé.
- Et alors ? Verdict ?
- C'était dégueulasse !
- Jeune homme, ton langage ! le reprend ma mère en levant les yeux au ciel.
- Pour le coup, il a pas tort, grimace Olivier.
- Ça ne m'étonne pas, la Vegemite a cette réputation mais on finit par s'y habituer, souris-je.
- Ils en mangent vraiment ? insiste Noé, écœuré.
- Oui, les Australiens en raffolent !

La Vegemite est une pâte à tartiner brun foncé à base de sarriette inventée en Australie en 1922. La plupart des Australiens l'adorent, ce qui en fait un aliment emblématique. Cependant, son goût peut être polarisant pour ceux qui ne le connaissent pas. La pâte épaisse est faite d'un extrait de levure aromatisé aux légumes et aux épices. Cette gourmandise est pratiquement sans graisse, sans sucre et végétarienne, mais elle n'est pas sans gluten. Elle se consomme principalement au petit déjeuner, sur des toasts de pain de mie. On étale une bonne couche de beurre et ensuite une fine couche de Vegemite. Un conseil, ne faites surtout pas l'inverse, cela serait immangeable !

Le repas se déroule dans une ambiance agréable. Des rires, des taquineries, des discussions légères, ça fait du bien de se retrouver tous ensemble. J'aime nos dîners en famille ! Même si je dois reconnaître que depuis mon retour, ils se font rares... En effet, avec le virus, l'hôpital Henry Ford a été touché de plein fouet, comme la plupart des hôpitaux en France. Le corps médical a donc été mobilisé. Ces trois derniers mois ont été difficiles, maman et Olivier n'étaient pas beaucoup présents. Heureusement, j'étais là pour m'occuper de Noé.

Après un bon dîner et une partie de cartes animée, c'est aux alentours de vingt-deux heures trente que je me décide à quitter le domicile familial. Je fais un point rapide avec ma mère sur le planning de la semaine et récupère mes affaires dans l'entrée afin de rejoindre la cour extérieure où se trouve mon Vespa.

Installée sur mon scooter, je sors de la propriété. Le portail se referme derrière moi tandis que j'attache mon casque pour plus de sécurité. Je jette un coup d'œil rapide sur mon téléphone quand je sens une voiture ralentir à la hauteur. J'ignore la scène, bien trop occupée à répondre au message de Nour, quand une voix familière me sort brusquement de mes pensées :

- Sybille ?

Je relève la tête, perplexe, lorsque j'aperçois une jeune femme au volant d'un 4x4 BMW de couleur noire. L'absence de luminosité ne me permet pas de voir les traits de son visage. Je donne donc un léger coup d'accélérateur pour me rapprocher de son véhicule.

- Léa ?

Un grand sourire s'empare de mon visage, médusée.

- J'hallucine ! C'est vraiment toi ? demande-t-elle, surprise.
- En chair et en os !
- Mais qu'est-ce que tu fais ici ? lance-t-elle, euphorique.
- Je suis venue dîner chez mon beau-père.
- Ici ?
- Oui, ma mère a emménagé chez lui, il y a quelques mois.
- J'habite deux cents mètres plus haut, c'est dingue !
- Tu as déménagé ?
- Oui, mes parents ont divorcé.
- Oh... Je suis désolée.
- Tu n'as pas à l'être, parfois il est préférable de laisser ses parents se séparer, crois-moi sur parole !

Le ton léger qu'elle aborde en dit long sur son soulagement. De quoi m'apaiser instantanément.

- J'arrive pas à croire que tu sois là ! Tu es rentrée quand ?
- C'est tout récent, l'informé-je simplement, sans rentrer dans les détails.
- À cause du Covid, c'est ça ?
- Oui, grimacé-je. 
- Ce virus m'a clairement foutu le moral en vrac ! Mais par chance tout semble rentrer dans l'ordre ! J'organise un barbecue dimanche, ça te dit ? Ça serait l'occasion de rattraper le temps perdu ! Tu dois avoir un tas de choses à me raconter ?
- Un barbecue ? répété-je, dubitative.
- De toute façon, je ne te laisse pas le choix ! me coupe-t-elle, surexcitée. Tu as toujours le même numéro ?
- Non, j'ai dû couper ma ligne à mon départ. J'en ai un nouveau.

Léa me tend son téléphone afin que je puisse rentrer ce dernier dans son répertoire.

- Voilà !
- Super, merci ! Je t'envoie l'heure et l'adresse par texto, OK ?
- Tu es sûre que...
- À dimanche, ma belle !

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que Léa est déjà en train d'accélérer en agitant sa main en guise d'au revoir. Je la regarde s'éloigner, pensive. Un barbecue ? Chez Léa ? Dimanche ? Je soupire un grand coup avant de prendre la route, des questions pleins la tête...

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant