II - HOMIES

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Chapitre 6

Dimanche 14 juin 2020

D'après une étude américaine, être embarrassée n'est pas embarrassant. Loufoque, n'est-ce pas ? Je suppose que les étudiants qui ont participé à cette analyse ne se sont jamais retrouvés dans une situation comme la mienne. Être conviée à un barbecue et faire face à un ex-petit ami qu'on n'a pas revu depuis trois ans ne peut qu'être incommodant. La mise en scène orchestrée par Léa a bien failli me coûter une syncope. Ventre serré, mains moites, vertiges, le revoir de mes propres yeux m'a clairement perturbée. Et comme si cela ne suffisait pas, la totalité des personnes présentes a pu constater ma gêne. De quoi rendre cet épisode d'autant plus déplaisant.

Malgré des retrouvailles malaisantes, la bande a su faire preuve de bienveillance. Aucune rancœur, que de la sympathie ! En dépit de mes réticences, ils ont su me mettre à l'aise et rien que pour ça, je leur en suis reconnaissante.

Concernant Mathieu, mon ressenti est bien plus complexe. Décrire tout ce que j'ai sur le cœur serait beaucoup trop long. Le revoir m'émeut du plus profond de mon cœur. Les souvenirs de notre relation seront à jamais gravés dans mon esprit et je serais stupide de vouloir m'en séparer. En revanche, évoquer ma vie à Sidney devant lui me contrarie. J'ai l'impression de réapparaître dans son quotidien uniquement pour le narguer. Cette journée était censée représenter de la joie et de la bonne humeur. Malheureusement, ma présence ne fait que raviver le passé.

Le repas terminé, c'est naturellement que j'aide mon hôte à débarrasser. Les plats en main, je rejoins la cuisine pour les récurer dans l'évier. Cela me permet de souffler à l'abri des regards. Du moins, ça, c'est ce que je pensais...

- Ah, tu es là ! apparaît Léa en ramenant la caisse vide des boissons. Je rêve ou tu es en train de faire la vaisselle ?
- J'aide à ma manière.
- Le lave-vaisselle est là pour ça, tu sais ?
- Peut-être mais il ne va pas m'en vouloir si je nettoie quelques plats, si ?

Léa se contente de sourire comme pour acquiescer à ma réplique. Elle pose la caisse dans un coin de la pièce et vient ensuite s'appuyer contre le plan de travail. Son attention se pose sur moi, confuse.

- Je suis désolée de ne pas t'avoir informée de leur présence. C'est juste que... Si je l'avais fait, tu aurais fini par décliner l'invitation. 
- Non, tu crois ?

Le ton léger que j'arbore en dit long sur le fond de ma pensée mais peu importe, ce qui est fait est fait, non ?

- Si ça peut te rassurer, tu n'es pas la seule que j'ai dupée, personne n'était au courant.
- Le connaissant, Mathieu doit t'en vouloir.
- Et ? Si tu penses que ça va m'arrêter, tu te trompes.
- Léa, j'ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie.
- Arrête, tout le monde est ravi de te revoir ! Et même si tu en doutes, Mathieu aussi, j'en suis persuadée !
- Ça complote pour la prochaine surprise ? nous interrompt Lesram.
- Pourquoi ça t'intéresse ? demande Léa.
- Absolument pas ! Je suis juste venu ramener les couverts et par la même occasion vous dire que les gars sont chauds pour un Mölkky.
- Merci pour l'info.

Less sourit poliment avant de rebrousser chemin jusqu'au jardin.

- Ça me fait plaisir de voir que vous êtes toujours ensemble, dis-je, spontanée.
- Désolée de te décevoir mais ce n'est plus le cas, grimace-t-elle, souriante.
- Attends... Tu plaisantes ?
- Non. On s'est séparé il y a un peu plus d'un an. On avait besoin de changer d'air, d'être un peu plus indépendants. Au début, ça n'a pas été évident mais sur la durée, on a su rester en bon terme.
- Vous étiez tellement adorables, boudé-je, déçue.
- Pas autant que toi et Mathieu.

Je lève les yeux au ciel, amusée. Bien joué, Léa. Un - un, balle au centre.

- Bon, on va se la faire cette partie de Mölkky ?

Emballées, on part retrouver les garçons à l'extérieur de la maison. La plupart d'entre eux sont en train de discuter dans leur coin, tandis que d'autres attendent pour fignoler les équipes.

- Je prends Sybille ! informe Ilyès, fièrement.
- Du coup, je vais dans l'équipe de Julien, c'est ça ? clarifie Léa.
- Oui, répond son frère.
- Deux Agostini dans la même team, ça promet, sourit Mathieu en tirant sur sa cigarette.
- Que le meilleur gagne, Polak !

Julien lui lance un clin d'œil et je comprends rapidement que mon ex-petit ami fait lui aussi partir de mon équipe. La bande adverse commence la partie avec un tir dans le vide. Ilyès en profite pour mettre en place l'ordre des joueurs. Il commence avec un trois, suivi de Léa qui tire un six. J'observe attentivement la compétition lorsque vient mon tour. Je repère ma zone et lance le morceau de bois avec le plus de précision possible. Mon chiffre est plutôt bon, il s'agit du neuf. Les garçons m'applaudissent mais je ne tarde pas à rejoindre le petit muret en pierres où se trouve Mathieu.

- T'es plutôt douée au Mölkky.

Le son de sa voix me fait clairement frissonner. Je le regarde un instant, étonnée, avant de poursuivre comme si de rien n'était :

- La chance du débutant.

Un léger sourire se dessine sur son visage quand il porte de nouveau son attention sur la pelouse, où se déroule le jeu. Prise d'un élan de confiance, je profite de ce moment pour éclaircir la situation.

- Tu sais, j'ignorais que tu serais présent aujourd'hui.
- Si tu l'avais su, tu serais venue ?
- Non. Ce sont tes amis avant tout. Je ne veux en aucun cas reprendre une place que je n'ai plu et je m'en excuse si cela t'a froissé.
- T'as entendu Ormaz ? T'es l'une des nôtres.
- Il a dit ça pour me sortir de l'embarras.
- Non, il le pensait. Ils le pensent tous. Et je leur en veux pas.

J'acquiesce d'un geste de la tête en guise de remerciement et pose malgré moi mes yeux sur ses mains, et tout particulièrement sur ses phalanges. J'ai beau être discrète, je ne suis pas aveugle. Depuis mon arrivée, un détail n'a pas manqué d'attirer ma curiosité. Le tatouage de Mathieu.

- Enna.
- Pardon ?
- Le tatouage, c'est marqué Enna.
- Oh... Je... Je ne voulais pas être indiscrète, bafouillé-je. Excuse-moi.
- C'est pas indiscret, t'inquiète.

Je déglutis, mal à l'aise, lorsqu' il reprend :

- Je vois que je ne suis pas le seul à avoir opté pour du changement. Du blond ? Sympa !
- C'est ironique, c'est ça ?
- Non, j'aime bien.

Je souris, touchée du compliment, quand il se lève pour aller jouer à son tour.

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant