VIII - BUNKOEUR

2K 103 48
                                    

Chapitre 28

Mercredi 29 juillet 2020

Stationnée à l'abri des regards, j'observe attentivement l'entrée du bâtiment. Mathieu est injoignable, je le soupçonne d'ignorer volontairement mes appels, ce qui commence sérieusement à me préoccuper. J'ai beau analyser la situation sous tous les angles, je ne comprends pas pourquoi je me retrouve dans un tel quiproquo. J'espère sincèrement qu'il ne se fait pas de films délirants à propos de Sacha. Peut-être qu'après toutes ces années, son impulsivité n'est plus ce qu'elle était, qui sait ? J'essaie de me rassurer comme je peux. J'ignore où il se trouve actuellement mais une chose est sûre, c'est qu'avec un peu de chance, il risque de rentrer chez lui et je serai là pour l'intercepter.

Cela doit bien faire quarante-cinq minutes que j'attends telle une agente du FBI infiltrée. Le temps commence à se faire long et les questions, elles, fusent à tout va. Va-t-il accepter de me parler ? Sera-t-il en colère ? Après tout, peut-être que je me monte la tête pour rien, il me connaît, non ? Plus les minutes passent, plus je sens mon ventre se tordre, nerveuse. Alors que je commence à douter de ma présence ici, une Audi grise fait son apparition. Pas d'hésitation possible, il s'agit bien de mon ex-petit ami.

Ce dernier sort du véhicule, empoigne un sac de courses et ferme la portière en prenant soin de verrouiller son joli petit bolide. Il marche en direction du bâtiment quand je prends mon courage à deux mains et sors de nulle part afin de l'interrompre dans sa lancée :

- Mathieu, on peut parler ?

Il se stoppe, surpris. Son regard en dit long sur son état d'esprit. Il m'observe scrupuleusement avant de reprendre son chemin comme si de rien n'était.

- C'est ton mec qui t'a appelée, c'est ça ?
- Sacha n'est pas mon mec ! affirmé-je, fermement.
- Pourtant il était chez toi à moitié à poil, non ? dit-il en composant le code d'entrée de son immeuble. C'est quoi au juste ? Ton plan cul ? Je comprends mieux ta réticence en Corse.
- Ma réticence en Corse ? répété-je, abasourdie. C'est le monde à l'envers là ?
- Tu joues à quoi ? reprend-il. Tu flirtes avec moi alors que t'as un gars ? T'es devenue quel genre de fille, Sybille ?

Je ne sais pas ce qui me blesse le plus : ses propos, le ton calme qu'il arbore pour me dire toutes ces choses ou son culot. Je sens mon cœur s'accélérer tandis que mes nerfs eux, commencent dangereusement à monter.

- Tu penses que je joue sur deux tableaux ?
- Les faits sont là.
- Tu vois, c'est ça ton problème. Tu peux être tellement borné quand tu t'y mets que ça en devient aberrant !
- T'as pas répondu à ma question.
- Tu penses sérieusement que je serais ici si j'avais quelque chose à me reprocher ? Tout ça est un immense malentendu, mais tu ne cherches même pas à comprendre !
- Comprendre quoi ? J'en ai assez vu pour me faire une idée de ce qu'il se passe.

Je le fixe, sidérée par son attitude.

- Si tu permets, j'ai encore pas mal de choses à faire, renchérit-il sèchement en ouvrant la porte.
- Non mais j'hallucine ! Tu n'essaies même pas d'approfondir ? Tu ne veux même pas une explication ? C'est quoi ton problème ? débité-je, exaspérée.
- Ah parce que c'est moi qui ai un problème ? sourit-il, tendu. Tu sais même pas à quel point je me retiens là !
- Te retenir de quoi ? Sacha est un ami ! Et par la même occasion, mon voisin ! Son chauffe-eau est tombé en panne avant-hier, je lui ai passé un double des clés pour qu'il puisse venir prendre sa douche, fin de l'histoire ! J'ai tenu à venir te le dire en face, car j'étais angoissée à l'idée que tu puisses t'imaginer quoi que ce soit, mais vu tes propos, l'idée que je me tape le premier venu ne te surprend pas. Non, l'Australie ne m'a pas dévergondée, Mathieu ! Mais manifestement tu as du mal à le croire.
- Ne déforme pas mes propos. Le mec savait même pas qui j'étais et tu parles d'un ami ?
- Le monde ne tourne pas autour de toi !
- Arrête, tu sais très bien où je veux en venir.
- Peut-être mais j'ai pas envie de rentrer dans ton jeu.
- Un jeu ? grimace-t-il. Tu crois que je prends mon pied là ?
- Ose me dire le contraire !
- Tu devrais aller retrouver ton soi-disant « pote », c'est mieux va !
- Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Je passe de l'adorable petite Sybille à la reine des putes, j'ai raté un épisode ?
- La reine des putes ? Carrément ? ironise-t-il.
- Prêcher le faux pour savoir le vrai n'est pas la solution ! De toute façon, même si Sacha avait été plus, je vois pas où est le problème ! On est plus ensemble toi et moi. Tu m'as quittée je te rappelle !
- Je t'ai quittée ? Incroyable ! marmonne-t-il, agacé.
- Et ce que je t'ai questionné, moi, sur tes conquêtes ? Tu veux qu'on aborde le sujet ? Très bien ! Avec combien de filles as-tu couché depuis notre rupture ? Dix ? Vingt ? Plus ?
- C'est toi qui es partie en Australie et c'est à moi de te rendre des comptes ?
- Ça en dit long, Mathieu, c'est bien ! Je pensais que tu avais changé mais je me suis visiblement trompée, ce n'était qu'une illusion...
- Ouais, une illusion. Désolé de te décevoir.

Il me fixe un instant, j'essaie de ne rien laisser paraître mais mes yeux se remplissent de larmes
malgré moi. Ses mots me font mal. Je m'empresse d'essuyer mes larmes d'un geste sec et acquiesce d'un mouvement de tête avant de lui tourner le dos. Durant quelques secondes,
j'espère secrètement qu'il va prononcer mon prénom afin de me retenir pour qu'on puisse s'expliquer davantage, mais je perds rapidement espoir en entendant la porte du bâtiment se refermer derrière lui. À ce moment précis, je n'ai qu'une envie : fuir.

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant