ALL NIGHT - PLK

I - SYBILLE

Chapitre 2

Mercredi 26 avril 2017

Parfois il est bon de savoir se distraire, laisser aller son imagination sur des choses vagues, sans aucun objet fixe et certain. Se réfugier dans ses souvenirs, dans ses fantasmes, dans ses projets. Je suis sortie de la douche, il y a un peu plus de vingt minutes et voilà que je me retrouve sur mon lit à observer mon plafond, pensive. Un moment agréable dans lequel je peux me retrouver avec moi-même. Rêver, voilà ce que j'aime le plus. « Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve. » Cette phrase d'Antoine de Saint-Exupéry est l'une de mes préférées. Malheureusement, pour ça, il ne faut pas décrocher de ses objectifs. Mes rêves à moi sont encore trop flous. Quitter Clamart pour explorer le monde fait sans doute partie de mes priorités, mais je ne veux pas me faire d'illusion, je dois m'accrocher. Rien n'est encore gagné.

Nous sommes à cinquante jours du bac et plus ça va, plus j'ai l'impression de passer mon temps à réviser. Le lycée, les devoirs, la maison, Noé... Je n'arrête pas de courir. Aujourd'hui alors que je marchais dans les couloirs pour rejoindre ma classe, j'ai croisé Alix. Elle n'avait pas l'air très en forme. Elle était avec son groupe d'amies, des filles à la réputation peu glorieuse. Contrairement à d'habitude, nos regards se sont croisés mais je n'ai pas donné suite. On ne s'est jamais adressé un mot dans l'enceinte de l'établissement, alors pourquoi aujourd'hui ? Je lui en veux toujours de m'avoir parlé comme elle l'a fait hier soir. Je ne suis pas son punching-ball ! Je soupire, réalisant que mes pensées divaguent de plus en plus. J'attrape mon téléphone qui se trouve sur le lit pour ouvrir l'application « Pronote » afin de vérifier mon emploi du temps de demain. J'ai à peine le temps d'y jeter un œil que l'alarme de mon portable se met à sonner. Un message apparait sur l'écran « Interview TV Ansel ». Je fais un bon et me redresse dans la foulée avant d'éteindre la lumière de ma chambre pour aller dans le salon.

Noé et Omar sont assis sur le canapé, ils sont tellement obnubilés par cette émission de voitures qu'ils ne font même pas attention à moi. J'attrape la télécommande et m'installe sur la place disponible, déterminée à mettre la chaine numéro dix.

- Hey ! râle mon petit frère.
- Désolée, c'est mon tour.
- Pourquoi tu changes de chaine ? demande Omar, dubitatif.
- L'acteur préféré de ma sœur est en France et il se fait interviewer, répond Noé, blasé.
- C'est qui ?
- Il s'appelle Ansel Elgort, intercédé-je.
- Connais pas, rétorque le garçon en haussant les épaules.
- Bien sûr que si ! Il joue dans Carrie la vengeance, Divergente, Nos étoiles contraires...
- Sybille, je te rappelle que j'ai neuf ans...

J'ignore sa remarque et pose à nouveau mon regard sur l'écran de la télévision. L'émission commence à peine et je suis déjà surexcitée ! Ansel est à Paris quelques jours pour promouvoir son nouveau film « Baby Driver ». Malheureusement, je n'ai pas pu m'y rendre. Ce soir, je garde les garçons, du coup je suis contrainte d'observer tout ça de mon sofa.

L'interview se déroule dans une ambiance détendue. Ansel est une personne simple avec beaucoup d'humour. Je suis attentive à chacune de ses paroles. Yann, le présentateur, le questionne au sujet du film et je suis comme hypnotisée par ses réponses. Évidemment, je fais abstraction des messes basses de mon frère et de son acolyte. Les enfants peuvent être stupides parfois...

Alors que Yann lance la pub, la sonnette fait écho dans tout l'appartement.

- Ça doit être ma mère !

Omar se lève du fauteuil afin de récupérer son cartable et sa veste. Je l'accompagne jusqu'à l'entrée quand Noé ouvre la porte. Mon souffle se coupe aussitôt.

- Rayan ! lance Omar, enthousiaste.
- Comment ça va, microbe ?
- Où est maman ?
- Quoi ? T'es pas content de me voir ?
- Bah si, trop !
- Elle est encore au travail. Elle m'a demandé de passer te prendre pour pas embêter la maman et
la sœur de Noé.
- Oh... Il ne nous embête pas, tu sais ? intervient mon petit frère. Pas vrai, Sybille ?

D'après sa tenue, un survêtement du Paris Saint-Germain, Rayan revient tout juste de l'entrainement. Comment suis-je censée savoir ça ? J'ai mes sources. Je l'observe un instant, captivée. Du haut de son mètre quatre-vingt, de ses cheveux bruns et de sa peau mate, ce garçon de vingt ans a tout pour plaire. La famille Messaoud a emménagé ici dans les années deux-mille. Lorsque nous sommes arrivés dans la cité, il y a sept ans. Noé et Omar se sont retrouvés dans la même classe, ce qui nous a rapidement rapprochés. Mon coup de cœur pour Rayan ne date pas d'hier, mais il faudrait être stupide pour croire qu'un garçon comme lui s'intéresse à moi.

- Noé a raison, repris-je.
- Tout s'est bien passé ? me questionne-t-il en ébouriffant les cheveux de son frère.

Je hoche la tête en guise de réponse positive quand Omar reprend la parole :

- On regardait une émission sur les voitures mais Sybille a changé pour mettre Ansel Belbor.
- Ansel Elgort, rectifié-je.
- Elle est amoureuse de lui, ajoute mon frère, désespéré.
- N'importe quoi !
- Ansel Elgort ? C'est ça ton style de mec ? sourit Rayan.
- Quoi ?
- Non rien... Je ne savais pas, c'est tout.

Il élargit son sourire, je suis à deux doigts de faire une syncope.

- On y va ? dit-il en s'adressant à Omar.
- Yes !

Les deux petits se saluent d'un simple check, Ryan me regarde une dernière fois.

- Au fait, sympa le pyjama.

Il me lâche un clin d'œil, ce qui me met aussitôt mal à l'aise. Je baisse la tête sur ma tenue. Un t-shirt large avec pour logo Bob l'éponge. Je lève les yeux au ciel et referme la porte quand mon petit frère me regarde, les bras croisés.

- Il est gentil Rayan.
- Ouais, ça va, dis-je sans trop y prêter attention.
- Il dit que ton pyjama est beau mais moi je le trouve un peu abusé.
- C'est toi qui parles ? Maman t'a acheté un pyjama dinosaure la semaine dernière.
- Ouais mais j'ai neuf ans, t'as quel âge, toi ?
- C'est quoi ton problème ?
- Et toi ? C'est quoi ton problème ?
- T'es sérieux ?
- Et toi ? T'es sérieuse ?

Il plisse légèrement les yeux lorsqu'un sourire se dessine sur mon visage. Il se retient de rire. Ce petit m'épuise, une vraie kaïra.

On est interrompu lorsque la porte d'entrée s'ouvre à nouveau. Notre mère fait son apparition munie d'un carton de pizza, ce qui fait immédiatement réagir Noé. Elle nous embrasse et il nous faut moins de trois minutes pour nous installer à table. Je n'ai pas vu ma mère depuis hier midi. Entre ses horaires décalés et le lycée, c'est assez compliqué. Ce repas est donc l'occasion de passer un peu de temps en famille. Noé s'empresse de détailler sa journée d'école. Il nous parle de ce qu'il a mangé à la cantine ou bien de la blague idiote que lui a racontée Omar sur les éléphants. Maman poursuit la discussion en abordant le sujet « Alix ». Elle essaie de savoir si mon cours de soutien de la veille s'est bien passé. Je réponds positivement sans rentrer dans les détails. Je n'aime pas lui mentir mais lui dire la vérité ne ferait qu'envenimer les choses. Je n'ai pas envie de rabâcher ce moment gênant et encore moins de m'attirer des ennuis.