XIII - DÉGAINE DE BANDIT

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Chapitre 46

Mardi 8 septembre 2020

Cela doit bien faire une heure que nous sommes assis sur un petit muret de pierres à quelques mètres de l'entrée des urgences. Plus tôt dans l'après-midi, l'appel de Lesram a complètement bouleversé notre journée. À peine après avoir raccroché, Léa avait juste eu le temps d'attraper son sac à main et ses clés de voiture que nous étions déjà en route pour rejoindre l'hôpital Antoine-Béclère.

Arrivées sur place, Anis faisait les cent pas devant le bâtiment, son air soucieux nous a très vite inquiétées. On l'a salué avant de l'assiéger de questions. D'après ses dires, c'est le voisin d'Yliès, un certain Isaac, qui a pris soin de le prévenir. Il n'était pas entré dans les détails, la police était encore à ses côtés lorsqu'il lui a passé ce fameux coup de fil, de quoi laisser Anis dans le flou. Selon lui, notre ami se serait retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Il n'a donc pas cherché à comprendre davantage et s'est directement rendu aux urgences. Malheureusement, la personne présente à l'accueil l'a gentiment congédié en lui expliquant qu'avec les restrictions liées au Covid, elle n'avait pas le droit de le laisser entrer.

L'inquiétude dans le groupe se faisait cruellement ressentir. Le réseau dans cette partie de l'hôpital était quasi inexistant donc difficile pour nous d'avoir un lien direct avec Yliès. De plus, les garçons essayaient de prendre des nouvelles en nous harcelant de textos, ce n'était pas évident. Je me devais de faire marcher mes relations pour en savoir plus sur l'état de notre ami. J'ai donc envoyé un message à mon beau-père. Par chance, dans cette aile de l'hôpital, le réseau téléphonique est bien meilleur. Il m'a contactée à son tour et j'ai pu lui expliquer brièvement la situation. C'était il y a environ quarante-cinq minutes...

Alors que nous sommes en pleine discussion, j'aperçois la silhouette d'Olivier passer la porte principale. Il balaye le secteur du regard quand je bondis du muret de pierres pour lui faire signe avec ma main. Anis et Léa me suivent afin d'aller à sa rencontre :

- Comment va-t-il ? Tu as pu le voir ? le questionné-je, préoccupée, sans même le saluer.
- Il souffre de son genou mais pas de panique, il va bien, nous rassure-t-il d'un ton léger. Je me suis rendu aux urgences pour m'assurer qu'il serait pris en charge par l'un de mes confrères. D'après ce qu'il m'a dit, votre ami s'est sans doute déchiré les ligaments. Il lui a fait passer une radiographie, nous attendons les résultats.
- Il pourra sortir aujourd'hui ?
- Oui, d'ici deux, trois heures maximum. Si tu le souhaites, je me suis arrangé pour que tu puisses aller le voir mais c'est exceptionnel. Tu devras te munir d'un masque et te laver les mains. Seulement, je ne peux pas vous faire tous rentrer, j'espère que vous comprenez.
-  Bien sûr ! C'est déjà très gentil à vous d'avoir pris du temps pour nous aider et si Sybille peut aller le voir, ça va nous rassurer beaucoup, répond Anis, reconnaissant.
-  Merci pour votre aide, Monsieur Jouannet.
- Oui, merci beaucoup, Olivier.
- Si je peux aider, c'est toujours un plaisir.

On échange quelques minutes avant que mon beau-père ne m'escorte jusqu'aux urgences. En haut des escaliers, celui-ci m'indique la direction à prendre, ainsi que le numéro de la salle. Je le remercie une nouvelle fois et m'empresse de marcher jusqu'à la fameuse porte qui se situe à l'autre bout du couloir. Lorsque je l'atteins, je toque et m'avance dans la pièce. Il s'agit d'une
petite salle d'attente, Ilyès est assis sur une chaise, la jambe droite tendue sur le sol. Il relève la tête, je remarque immédiatement les hématomes sur son visage mais malgré ça, son sourire me rassure instantanément.

- Alors ça pour une surprise ! Qu'est-ce que tu fais ici ? 
- Mon beau-père m'a fait rentrer en douce.
- Il travaille ici ? s'étonne-t-il.
- Oui, il est neurochirurgien.
- Rien que ça ? La classe !
- Pourquoi tu es ici ? C'est quoi ces marques sur ton visage ? Et ta jambe ? Qu'est-ce qui s'est passé ? le questionné-je, paniquée.
- Si ça peut te rassurer, je réalise toujours pas ce qu'il s'est passé, c'est digne d'un putain de film.
- Rassure-moi, tu trempes pas dans des histoires bizarres ?
- Non, je suis clean ! C'est juste un gros malentendu. J'étais au mauvais endroit au mauvais moment et les keufs m'ont pris pour leur suspect.
- C'est à dire ? rétorqué-je, perplexe.
- J'étais chez Isaac, un gars de mon bâtiment. On a entendu du bruit alors on est sorti, sauf qu'en descendant les escaliers j'ai croisé un groupe de flics ravagés qui s'apprêtaient à faire une descente dans un appartement au quatrième. Ils ont vu un gars qui avait la vingtaine, la peau mate, tu crois qu'ils se sont posé vingt mille questions ? Ils ont même pas cherché à comprendre, ils ont cru que c'était moi. En voulant me débattre j'ai glissé dans l'escalier, un flic est venu me plaquer sur le sol, il était super agressif. J'ai dû clamer mon innocence au moins cinq minutes avant qu'ils comprennent qu'ils s'étaient trompés, du délire ! Quand j'ai voulu me relever, mon genou me faisait un mal de chien, l'un des gars m'a évacué et il a appelé une ambulance.
- J'hallucine ! Tu vas porter plainte j'espère ? 
- Pour quoi faire ? Ça va être classé sans suite, c'est une perte de temps.

Au fond, je sais qu'il n'a pas tort, c'est tellement injuste... Je me contente de déglutir, silencieuse, avant de prendre place à côté de lui.

- C'est qui, qui vous a prévenus ?
- Isaac a téléphoné à Anis, qui a appelé Lesram, qui lui nous a contactés. D'ailleurs, je crois que j'ai oublié de te dire quelque chose en arrivant...
- Quoi ? s'inquiète-t-il.
- Joyeux anniversaire ! lancé-je, euphorique.

Je viens ébouriffer ses cheveux bouclés quand un grand sourire s'empare de son visage.

- Merci ! J'aurais préféré un autre cadeau, si tu vois ce que je veux dire..., dit-il en scrutant sa jambe.
- Je m'en doute... Tu sais, j'ai eu très peur. On a tous eu très peur...
- Tu imagines il me serait arrivé un truc ? Qui vous aurez fait rire dans la bande ? Hein ?

Je lui donne un léger coup de coude, amusée par sa réplique.

- J'avoue, mais tu es là, certes avec une jambe un peu amochée mais tu es là. Tu as mal ?
- Quand je marche pas ça va, mais ça me lance de temps en temps.
- Et quand tu marches ? reprends-je.
- C'est limite insupportable.

Je m'apprête à lui répondre quand un homme m'interrompt dans ma lancée en se stoppant devant la porte, les yeux rivés sur son porte-notes.

- Ilyès ?
- Oui, c'est moi.

L'homme lui fait face lorsque son regard se pose sur moi. Il enchaîne de plus belle :

- Vous, vous devez être Sybille, la fille d'Olivier, c'est ça ?
- Oui, c'est bien moi, réponds-je, poliment.

Ses paroles me poussent à sourire fièrement. M'avait-il présenté comme sa fille ? Je dois admettre que ça me fait chaud au cœur.

- Alors c'est bien ce que je pensais, vous avez une déchirure des ligaments. Il faut éviter à tout prix de vous appuyer sur votre articulation blessée, ce qui est plus facile à dire qu'à faire, j'en suis conscient ! Un plâtre soulagera votre articulation pendant une dizaine de jours. Ensuite, on passera au port d'une attelle pour préserver la souplesse et la puissance de votre articulation, éventuellement en combinaison avec des séances de kinésithérapie. Si votre articulation est toujours instable trois mois après l'entorse, vous reviendrez et on vous proposera de coudre les ligaments. Chez les sportifs de haut niveau, cette intervention est généralement pratiquée immédiatement après l'accident, de façon à ce qu'ils puissent reprendre rapidement l'entraînement mais vous ce n'est pas le cas alors pas de panique, d'accord ? Si vous faites attention, on n'aura pas besoin d'en arriver là.
- D'accord, merci... Du coup, je vais vraiment avoir un plâtre ?
- Oui, une infirmière va venir vous chercher d'ici une trentaine de minutes.
- Merci beaucoup, docteur.
- Oui, merci ! reprend-il, dépité.
- Je vous laisse patienter en attendant la suite, d'accord ?

On acquiesce. Je profite de ce moment pour envoyer un message à Léa afin de la rassurer. Par je ne sais quel miracle, le message s'envoie du premier coup. Avec un peu de chance, on pourra peut-être maintenir ce fameux dîner d'anniversaire...

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant