VIII - ALL NIGHT

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Chapitre 30

Mercredi 14 juin 2017

Cela fait moins de dix minutes que nous avons quitté le parking du casino Barrière. D'après les panneaux, nous ne sommes qu'à une centaine de mètres à pied de l'océan Atlantique. La température est agréable. Je peux d'ores et déjà ressentir les bienfaits de l'air marin sur mon corps et ma respiration. Revenir à Deauville après toutes ces années me rappelle beaucoup de souvenirs mais je ne préfère pas m'y attarder.

- Tu viens souvent ici ? demandé-je, intéressée.
- À Deauville ? Non... Uniquement quand les gars veulent venir claquer au casino.
- Ils doivent être déçus que tu ne les accompagnes pas.
- Tu rigoles ? Chaque fois qu'on vient ici, on joue chacun de notre côté.
- Sérieusement ? lancé-je, étonnée.
- Ouais ! On se porte l'œil, c'est un cauchemar, m'explique-t-il, d'un ton léger.

Je souris à sa réplique lorsqu'on arrive sur le port. Il fait nuit noire, heureusement que les lampadaires sont là pour éclairer les quais ainsi que les pontons. Une trentaine de voiliers nous font face, de quoi m'émerveiller davantage. Nous longeons l'allée, intrigués par les différents styles de bateaux présents. Des vedettes, des zodiacs, des barques à pêche, des yachts, ils sont tous là ! Alors que Mathieu me fait remarquer la grandeur de l'un d'eux, un petit bateau s'apprête à amarrer. C'est naturellement que je lui propose mon aide. L'homme d'une soixantaine d'années me répond spontanément. Il se penche légèrement afin d'attraper l'une de ses cordes pour me la lancer. Cette dernière en main, je m'accroupis pour faire un nœud de taquet. Sa vedette en position, il coupe le moteur et me remercie dans la foulée.

- Il est rare de voir des jeunes filles faire des nœuds aussi efficaces !
- Vous trouvez ?
- Oui, il est très bien réalisé.
- Heureuse de voir que je n'ai pas perdu la main, souris-je. Bonne fin de soirée à vous.
- À vous aussi, les jeunes !

Nous faisons donc demi-tour. J'ai beau essayer de l'ignorer, je sens le regard de Mathieu se poser sur moi avec insistance. Je relève la tête, gênée.

- Qu'est-ce qu'il y a ?
- J'ignorais que tu savais amarrer des bateaux, lance-t-il, surpris.
- Il y'a un tas de choses que tu ignores à mon sujet, Pruski.

Un sourire narquois se dessine sur mon visage, de quoi le faire réagir de plus belle :

- J'attends une explication.
- Mon grand-père avait un bateau. Petite, nous allions souvent en mer ensemble.
- Ici ? À Deauville ?
- Oui, souris-je.
- Son bateau est encore ici ?
- Non, malheureusement, dis-je déçue, en baissant la tête. Lorsqu'il est décédé, mon père s'en est séparé.
- Oh... Je suis désolé.

Mon regard se perd un instant sur l'horizon. Bizarrement, me replonger dans les souvenirs me fait du bien. Je me revois sur le voilier avec mon maillot de bain une pièce rose pâle et mes lunettes fleuries. Les virées en mer avec grand-père se résumaient à quelques sandwichs au thon, mes petits sachets de bonbons, ses blagues sur les gros poissons et nos parties de pêche interminables. Voilà les souvenirs que je garde de lui. Contrairement à son fils, c'était un homme aimable, conciliant, affectueux, qui a toujours fait passer le bonheur des siens en priorité.

- Tu n'as pas à l'être, reprends-je en sortant de mes pensées. Comme tu as pu le voir, je n'ai pas perdu la main !
- Et rien que pour ça, tu m'épates !

Sa phrase me pousse à sourire, sincèrement. Est-ce que grand-père apprécierait Mathieu comme je l'apprécie ? Ses cheveux décolorés l'auraient surement fait rire, c'est certain ! Mais la façon dont il se comporte avec moi, sa bienveillance et toutes ses autres qualités auraient rapidement fait l'unanimité chez mon aïeul, j'en suis sûre.

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant