VII - ILS NOUS COMPRENNENT PAS

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Chapitre 21

Mathieu

Vendredi 24 juillet 2020

Assis sur le rebord du lit à baldaquin de la terrasse, j'observe l'horizon, pensif. Ma nuit n'a pas été aussi réparatrice que je l'espérais. Entre les souvenirs et les questions, je dois admettre que j'ai eu du mal à trouver le sommeil. Hier soir, la fin du jeu a soulevé un sujet important : ma relation avec Sybille. Les révélations de mon ex-petite amie ont eu l'effet d'une bombe. Découvrir qu'elle était dans la salle lors de mon concert à l'Olympia en 2019 m'a laissé sans voix. Pour être honnête, j'ai du mal à comprendre. Je suis partagé entre le soulagement et la frustration. Tenait-elle toujours à moi au point de vouloir à tout prix être là pour ce jour si particulier ? Tout se brouille dans ma tête. C'est avec ce genre de révélation que je réalise que je me suis peut-être trompé. Sybille était sûrement encore très attachée à moi, et ça, même après notre séparation. En revanche, je suis frustré. Pourquoi ne pas me l'avoir dit ? Ce soir-là, j'ai pensé à elle avant et après être monté sur scène. J'avais beau avoir le soutien de ma famille, de mes proches et du public, il me manquait quelque chose. Bien sûr, j'étais heureux, heureux de me produire sur la scène mythique de l'Olympia, heureux d'accomplir ce rêve qui me semblait inatteignable, il y a encore quelques mois en arrière. Cette date, je la dois à mon travail acharné, mais inconsciemment, tout me relie à elle. Son soutien sans faille, l'inspiration qu'elle m'avait apportée, nos souvenirs... J'aurais aimé la voir, voir la fierté dans ses yeux. Après le concert, j'ai repensé à cette soirée à la Cigale avec le Panama, ça m'a rendu nostalgique. Une partie de moi espérait que je la croiserais par hasard en sortant par l'entrée des artistes, comme à l'époque. Malheureusement ça n'a pas été le cas.

- Ah, t'es là !

La voix d'Ormaz me coupe dans mes pensées. Je jette un œil dans sa direction et me redresse légèrement, tout en ramenant la tasse de café à mes lèvres, comme si de rien n'était.

- Bien dormi ? demande-t-il en prenant place à côté de moi.
- Ouais, si on veut...
- Laisse-moi deviner, Sybille ?

Je reste silencieux à sa réplique et me contente de poser ma tasse sur le sol avant de tendre le bras derrière moi pour empoigner mon paquet de cigarettes.

- J'arrive pas à croire qu'elle était là, repris-je.
- C'est plutôt une bonne nouvelle, non ?
- Oui mais pourquoi nous l'avoir caché ?
- Mec, sérieusement ?

Je pose mon regard sur mon ami, plein d'incompréhension.

- Imagine elle t'aurait mis au courant de sa venue en France, qu'est-ce qui se serait passé ? Tu aurais cherché à la voir, elle serait venue au concert et quoi ? Elle serait repartie le lendemain à Sidney pour un an supplémentaire ?
- Et ?
- Ça t'aurait fait plus de mal que de bien, mon reuf. Je pense qu'elle a juste voulu te protéger. Tu sais, ça n'a pas dû être simple pour elle...

Les paroles d'Ormaz me font comme un électrochoc. J'avais pas vu ça sous cet angle, sans doute bien trop soucieux de ma petite personne.

- Pourquoi s'infliger ça ?
- À ton avis ? me questionne-t-il tout sourire. Cette fille n'a jamais cessé de t'aimer, ça crève les yeux ! Et ça tombe bien, car d'après moi, c'est réciproque, si tu vois ce que je veux dire ?

Ma mâchoire se contracte pour ne pas laisser fuiter un sourire. J'acquiesce timidement pour approuver ses dires quand Lesram nous rejoint. J'en profite pour allumer une clope.

- Mais dis donc, c'est le gars qui lance des questions pertinentes, le charrie Ormaz.
- C'est toi qui as commencé je te rappelle, rétorque-t-il, satisfait.
- Avec Emma ? C'était pour le bien du groupe ça !
- Le bien du groupe ? répète-t-il.
- Dis-moi que tu le fais exprès ? se désespère Moctar.
- Je vois pas de quoi tu parles.

Lesram se contente de hausser les épaules, un sourire malicieux au coin des lèvres, avant de s'adosser contre la balustrade. Bien sûr qu'il a compris.

- Ça parle de l'Australienne ? reprend-il.
- À ton avis ? Le Polak est pensif.
- Je sais, il a pas arrêté de gigoter toute la nuit, révèle Less d'un ton léger, en posant son attention sur moi. Sa réponse met fin à tes doutes, non ?
- Quels doutes ? demandé-je.
- Quand elle était là-bas tu pensais qu'elle était passée à autre chose. Ses actes prouvent pourtant le contraire.
- Ouais, clairement...
- Vous devriez peut-être en discuter ? On pourrait appliquer la solution d'Hanaé, et vous enfermez vingt-quatre heures dans une pièce ?
- Perso, je pense pas qu'ils parleraient beaucoup, s'amuse Lesram.
- Allez ça me fait passer pour un daleux !
- Non mais avec Sybille, tu te ferais pas prier, avoue !
- Ça, c'est pas totalement faux, dis-je en écrasant ma cigarette à moitié consumée dans le cendrier.
- Les garçons ? Le déjeuner est prêt ! raisonne la voix de Léa, à l'opposé de la terrasse.
- On arrive ! répond Ormaz sur le même ton pour qu'elle entende.
- J'ai la dalle ! se confie Lesram.

C'est sûr ces belles révélations que nous rejoignons l'extrémité de la terrasse pour aller déjeuner. Arrivés à table, je prends place en diagonale de Sybille. Cette dernière semble intimidée par ma présence et se contente de rester discrète. Je lui souris et elle me répond, comme soulagée de mon geste. Pense-t-elle que je lui en veux ? C'est possible mais ce n'est pas le cas. Ormaz a raison, nous devrions peut-être en discuter. Maintenant que j'y vois un peu plus clair, une chose est sûre : c'est que je ne compte pas en rester là.

ALL NIGHT - PLKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant